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L’HISTOIRE DE LA CÉRAMIQUE DES CHEMLA

 

L'HISTOIRE DE LA CÉRAMIQUE DES CHEMLA

Rédigée par André Chemla, céramiste

 

A mon Grand Père Jacob Chemla
Homme tenace à la volonté de fer, allant jusqu'au bout de ses projets quelque peu insensés, et qui, relevant ce défi, arriva après bien des vicissitudes à rénover l'art de la céramique Tunisienne.

A mon Père Victor Chemla
Qui a été mon maître, qui a su m'initier à cet art si difficile mais tellement passionnant, travailleur acharné, technicien incomparable tant sur le plan professionnel que sur le plan artistique, d'un humanisme et d'une gentillesse légendaire.

A mes Oncles Albert & Moïse Chemla
Qui ont pris part à cette Aventure étonnante avec la volonté et la rage qui ont fait l'apanage de tous les Chemla, et le don hors du commun de décorateur de l'Oncle " Mouche " qui a créé la plupart des dessins et décors de la " Poterie d'Art ".

Je le dédie également à mes Enfants : Franck Haï Victor Robin et Delphine Elise, à mes Petits-Enfants : Ruben, Pinhas, Benyamin, Elodie et Pauline et mon Arrière Petit-Fils Yeouda, afin qu'ils ne puissent méconnaître l'Histoire et l'Aventure de trois générations de céramistes passionnés qui se sont totalement investis dans ce métier plein d'embûches, de tracas et de soucis, mais qui leur aura aussi apporté des moments d'excitation et de satisfaction incomparables.

Cet ouvrage n'est ni un livre, ni un roman, mais plutôt un compte- rendu le plus objectif possible sur la céramique des Chemla.

Il m'a été difficile de développer la partie relative à la période de Tunis et de l'avant-guerre par manque de documentation, mais j'espère avoir fourni l'essentiel de notre Histoire.

Paris Octobre 2002.

André Chemla

 

 

 

Le précurseur fut JACOB (fils de HAI CHEMLA et de HANAH COHEN BOULAKIA) né en 1857 et décédé en 1938 à l'age de 81 ans.

Il se maria avec RACHEL NATAF et ils eurent quatre enfants : JULIE (décédée en 1912 à l'age de 21 ans ), VICTOR (1892–1954), ALBERT (1894-1963 ) et MOISE dit MOUCHE (1897-1978).

A l'arrivée des français en 1881, lorsque le Protectorat se mit en place, il s'agissait pour le gouvernement français de créer une administration à l'image de celle existant dans la métropole. Plusieurs architectes furent sollicités pour construire les différents ministères (Palais de justice, Ministère des finances, Ministère de l'agriculture, etc…).

Ces grands architectes ont voulu donner à ces réalisations un cachet oriental avec des revêtements de carreaux et de panneaux semblables à ceux qui décorent le Palais du Bardo, la mosquée de Kairouan et plusieurs belles demeures Tunisiennes.

Malheureusement, il n'existait plus alors en Tunisie aucune entreprise artisanale, ni d'artisans capables de recréer les superbes céramiques de Qallaline du 17ème et 18ème siècle de l'époque Ottomane.

En 1881, M. Saladin, architecte de l'Office Postal, chargé de la restauration du Palais du Bardo, dut la mort dans l'âme faire appel à la fabrication européenne pour couvrir des surfaces murales qu'il eût souhaité voir revêtues d'authentiques carreaux arabes

Jacob Chemla était un homme sévère, érudit et conscient du prix de la réussite. Ouvert à tout et à tous, il touchait avec bonheur à toutes les formes d'art et de création, oukil (avocat auprès du tribunal Rabbinique de Tunis), écrivain de talent (il avait écrit des pièces de théâtre dont " Amour et Malice ", journaliste (il avait traduit de l'italien, qu'il maîtrisait parfaitement, " Le Comte de Monte-Cristo ", qu'il faisait paraître sous forme de feuilleton dans une revue en judéo-arabe), il traduisit aussi en judéo-arabe Cervantès et s'essayait également aux traductions de textes français en arabe et en judéo-arabe. Toujours à l'affût d'informations et d'innovations, curieux de tout, il se prit d'amitié avec les architectes Saladin, Roy, Blondel, Sadoux et surtout Raphaël Guy qui lui firent part de leur désarroi et de leur déception de ne pouvoir décorer toutes ces nouvelles administrations.

Jacob Chemla, sans jamais avoir fait le moindre métier de potier ou de céramique, promit à ses nouveaux amis de résoudre leur problème.

Il installa Place des Potiers à Tunis un atelier, il y construisit un four arabe à flamme directe suivant des plans archaïques qu'il releva dans des livres très anciens, et les cascades d'ennuis, de problèmes et de catastrophes se succédèrent à un rythme accéléré. Après bien des tâtonnements, car la tâche était ardue, il obtint quelques résultats.

Plus les difficultés apparaissaient, plus Jacob s'obstinait, et plus sa fortune fondait comme neige au soleil. Des fournées entières étaient brûlées ou sous-cuites, les émaux et les couleurs ne réussissaient guère, parfois elles boursouflaient ou alors elles coulaient ou se délavaient.

Après un travail acharné et avec une obstination rare, Jacob trouva enfin ce qu'il avait tellement cherché : de magnifiques carreaux aux couleurs chatoyantes lui apparurent enfin. Ils étaient très proches des anciens émaux, car, comme les anciens, Jacob n'avait utilisé que des produits locaux (sable de Mégrine pour la silice, cuivre, étain et plomb étaient oxydés et broyés sur place).

Donc, Jacob Chemla étant complètement ruiné, son fils aîné Victor dût quitter l'école à l'âge de 13 ans pour aider la famille qui traversait une période très dure : sa fille Julie tomba malade et contracta la tuberculose, les frais médicaux très onéreux absorbèrent les derniers francs de Jacob.

Il faut dire que ce choix fut la perte du bien-être matériel de cet homme passionné et de celui de sa famille.

Victor était le chimiste et technicien c'est lui qui d'une manière plus moderne et plus rationnelle parvint un jour avec son père à maîtriser la fabrication des émaux, à réussir les cuissons et à améliorer la technique, il était également un bon décorateur et signait ses pièces par une fleur .

Les pièces artistiques de cette époque firent rapidement l'admiration des tunisiens, puis celle de leurs voisins des pays frontaliers : Algérie, Égypte, Libye.

Jacob ne pouvant plus assurer les études de ses deux autres fils, il les fit participer à ses projets.

Albert, son deuxième fils, était doué pour le commerce ; homme de contact, il suivait la dernière mode occidentale. C'était le " public-relations " de la famille (il quitta plus tard l'entreprise familiale pour s'établir à Alger, où il s'engagea avec succès dans diverses importantes affaires commerciales ) ; il participa aussi à la décoration de nombreuses pièces de poteries, de panneaux et de carreaux, il signait ses pièces d'un petit chat à l'allure humoristique.

Le troisième fils de Jacob Chemla, Moïse (dit Mouche), était un décorateur hors pair ; il excellait de façon remarquable dans tous les genres de décors : panneaux muraux, grandes jarres décorées, calligraphie arabe, mais il y ajouta son talent pour transformer l'esprit et l'influence du répertoire turc, persan et tunisien ce qui fait qu'il était aisé de reconnaître facilement le style Chemla (Mouche signait d'un petit poisson stylisé).

Mais la situation financière devenant de plus en plus catastrophique, on était très loin des rêves grandioses qu'avait caressés Jacob. Il quitta la place des potiers pour créer une association à Nabeul (ville située à 50 kilomètres de Tunis) où il existait de nombreux potiers, fabriquant des céramiques grossières et ordinaires, utilitaires ; il voulait y faire participer des artisans et apprentis à la création de céramiques artistiques de qualité.

Il n'arrivera pas à mener à bien ce nouveau projet car la subvention promise par le gouvernement ne fut jamais versée. Ce fut provisoirement la fin de l'aventure, il était question que les enfants reviennent à leurs études ou entrent dans la vie active sous d'autres horizons. Ce furent des heures de doute et de désespoir, où la misère s'était installée dans le foyer.

Heureusement, Monsieur Guy vint au secours ; connaissant le talent des Chemla, et ayant la certitude de la réussite de l'entreprise, il tenta de nouveaux efforts auprès du gouvernement, sans résultats. Et c'est sur ses propres deniers qu'il permit finalement à Jacob de subsister.

C'est alors que quelques industriels de Tunis, amis de Jacob, l'aidèrent à s'installer Route de la Goulette.

Puis sept années passèrent, sept longues années durant lesquelles aucune personnalité gouvernementale ne fit la moindre visite et n'apporta une aide quelconque. De son côté, Monsieur Guy en fut réduit à obliger des clients personnels à utiliser les céramiques de Jacob : et, grâce à son obstination, la Gare de Bizerte fut décorée par des carrelages Chemla, mais le relèvement permis par ce travail fut à peine sensible.

Le Résident Général de France semblait s'intéresser à l'art de la céramique tunisienne, mais après bien des discours et des promesses verbales, éphémères, il n'y eut aucune concrétisation, jamais, jamais.

Durant ces années si difficiles, Jacob, aidé de son fils aîné Victor, poussait de plus en plus son art, la technique s'améliorait de jour en jour et gagnait en certitude, les choses étaient enfin au point.

Hélas ! trois fois Hélas ! La grande guerre de 1914 survint...

Avec la Guerre, inévitablement, les rares commandes cessent. Les associés de Jacob d'alors ne veulent plus entendre parler de nouveaux frais. Ils ont en mains le meilleur de l'œuvre des Chemla , mais se soucient peu du caractère sentimental de cette affaire. Ils licencient la presque totalité des ouvriers, bien qu'ils soient tous excellents et formés après tant d'efforts, et engagent Jacob et Cie à chercher d'autres emplois.

Cette fois encore, la fatalité les prenait à la gorge.

Et une fois de plus, M. Guy s'obstina. A aucun prix, il ne voulut consentir à un arrêt de la fabrication des céramiques Chemla ; il recommença en son nom des démarches auprès de Gouvernement qui lui promit une fois de plus son aide, mais une aide qui serait efficace.

M. Guy revint tout confiant, Jacob quitta ses associés, leur abandonnant tout : actif, passif, et inventaire de toute garantie.

Quelles étaient les promesses du Gouvernement, et que valaient-elles ?

Elles étaient :

1° Payer le loyer d'une usine artisanale pour la fabrication des produits Chemla.

2° Aider l'usine pécuniairement, par une large subvention .

Que valaient-elles ??

Rien, moins que rien, puisque aucune promesse ne fut tenue.

C'est à ce moment qu'un grand malheur frappa la famille Chemla : la fille aînée de Jacob, Julie qui souffrait de la tuberculose vint à mourir. Jacob, désespéré, se culpabilisa en pensant qu'il n'avait pas toujours eu les moyens de nourrir sa fille pour la fortifier et l'aider à lutter contre cette redoutable maladie. Toute la famille fut consternée. Jacob ne voulait plus rien entreprendre, ce deuil qui le frappait si durement lui enleva toute volonté. Son épouse Rachel sombra dans une profonde dépression dont elle ne se releva jamais. Elle mourut quelques années plus tard de chagrin et de désespoir.

Jacob devint veuf. Il engagea une femme, Maïcha, avec ses deux filles, Rachel et Aimée ; celle-ci devint une très grande décoratrice en travaillant à la Poterie.

C'était de braves gens, qui s'occupèrent de Jacob avec dévouement et affection jusqu'à sa mort. Maïcha s'éteignit à l'âge de 95 ans à Bercheva en Israël. Un jour André rencontra à l'occasion d'une fête familiale la fille de Aimée, Michoue Bellilis ; il fut frappé par sa ressemblance avec sa mère, ils échangèrent des histoires sur leurs familles et depuis ils ont gardés d'excellentes relations. Ce fut d'ailleurs Michoue, conseillère juridique et fiscale, qui s'occupa de la vente du fond d'André quand il prit sa retraite.

Ce fut alors Victor qui releva le défi ; il remua ciel et terre ; et confiant, il avait trouvé la disponibilité d'une Usine (celle d'ailleurs où ils exercèrent leur art jusqu'à la fin des années 58, où l'activité s'éteignit définitivement).

Le propriétaire de cette nouvelle usine exigea un loyer d'avance, soit 3000 francs. ainsi qu'une caution de plusieurs milliers de francs. C'était beaucoup trop lourd et à nouveau les beaux rêves allaient s'envoler.

Tout de même, M. Guy s'obstina vers la réussite, et s'entourant de l'appui d'un ancien Trésorier Général, et du Colonel Flick, ancien Président du conseil de Guerre, M. Guy avec son beau courage habituel réclama à plusieurs instances, aux Services Economiques et Indigènes et à la Direction de l'Enseignement l'aide promise, et non réalisée.

Pour toute réponse, il entendit : nous ne pouvons tenir aucun engagement, c'est la guerre. Le seul moyen de soutenir les Chemla est de leur accorder une subvention annuelle de 500 francs.

Décidé à ne pas échouer si près du but, Monsieur Guy, toujours en avant, télégraphia donc à une de ses connaissances américaines, Miss B.B. Hooker, à laquelle il demanda d'entrer en relations commerciales avec les Chemla, la priant de prendre des commandes auprès d'architectes américains de la côte ouest des Etats-Unis, friands de carreaux décoratifs de style Hispano-Mauresque. Il demanda aussi à Miss Hooker de verser une avance sur l'exécution des commandes.

Miss Hooker consentit en avançant la somme de 5.000 francs.

Il fallait, pour en finir, indemniser les ouvriers congédiés par les ex associés ; Miss Hooker expédia donc trois mille autres francs.

Avec ces premières sommes, ils purent payer au propriétaire de l'usine 6 mois de loyer d'avance, et ils commencèrent la construction d'un premier four .

Cependant un malheur plus grand, plus irréparable que nul autre devait les accabler cette année là. Monsieur Guy, leur Ange Gardien, leur soutien, leur Réchauffeur d'enthousiasme (comme ils disent) tomba malade et s'alita pour ne plus se relever. Lui qui, le premier, fut le partisan acharné de la rénovation des Arts Indigènes, il disparut en pleine maturité, à la force de l'âge, sans avoir eu le bonheur de voir la réussite d'un art auquel il avait donné sa foi toute entière.

Quelques jours avant sa mort, il leur disait " Je vais mourir, avec le regret de vous avoir poussé vers un art ingrat, et mourir, trop tôt, sans avoir vu votre réussite, dont je suis certain, réussite fille de mes conceptions et de mes certitudes. Je l'ai pourtant promis à votre Père, cette réussite. Hélas ! la mort ne me permettra pas d'atteindre le but, celui que je vous avais destiné. Mon plus grand regret sera qu'après ma mort le Gouvernement restera toujours le Gouvernement, c'est-à-dire qu'il continuera de promettre sans jamais tenir ; si cela vous est possible, continuez votre œuvre jusqu'à la fin de vos moyens, je suis certain de votre réussite, et souvenez-vous de moi ".

Quelques jours plus tard, Monsieur Guy succombait, sa mort laissa la famille Chemla désemparée et sans courage. Mais tout de même, le même jour un nouveau four était cuit et pleinement réussi, mais toutes leurs ressources étaient épuisées.

La famille Chemla n'oublia jamais les bienfaits de Monsieur Guy, ils fleurirent sa tombe chaque année lors des fêtes de la Toussaint.

C'est à ce moment-là qu'arrivèrent les 3.000 F de Miss Hooker ; presque en même temps, Madame Guy, fidèle aux aspirations de son cher époux défunt, préleva sur sa modeste fortune un millier de francs qu'elle leur prêta au nom de leur ami regretté.

Ces sommes leur permettaient de continuer leurs efforts et de poursuivre leur marche vers une réalisation plus complète de l'art de la céramique et de la poterie tunisienne.

Jusqu'à présent, on peut dire que si, parfois, le hasard s'est montré un tant soit peu favorable et propice, jamais la chance ne leur a souri avec continuité. Pour quelques rayons d'espoir ensoleillés, que d'orages et que de jours sans entrain et d'heures de doute et d'angoisse.

Tout comme l'avait prédit M. Guy, les commandes commencèrent à affluer, Miss Hooker, affectée par le décès de son Grand Ami jura la pleine réussite de l'entreprise et commença à envoyer des ordres de commandes de plus en plus nombreux. Ce fut le début de la grande Aventure Américaine.

De grosses entreprises de négoce de New-York commencèrent à importer des carrelages décorés main, des panneaux de différentes dimensions et diverses poteries.

Ces articles firent fureur et furent de plus en plus demandés. Il fallait faire de gros investissements pour répondre à ce flot de commandes, les Chemla furent obligés de prendre de nouveaux associés, dont la briqueterie des Frères Bellaïche et Gozlan, et l'entreprise s'appela désormais Bellaïche et Chemla (on peut encore de nos jours voir à l'Ambassade du Royaume Uni, Porte de France à Tunis, dont toute la décoration intérieure et extérieure fut réalisée à cette époque, une plaque sur laquelle est portée la signature " Bellaïche et Chemla ").

Au niveau local, il y eut la décoration, lors de sa rénovation, de la Grande Synagogue de la Hara de Tunis, où l'on pouvait admirer de magnifiques panneaux Chemla (malheureusement après l'indépendance de la Tunisie, une décision stupide et criminel ordonna la destruction de cet édifice, patrimoine des Juifs de Tunis). On peut également admirer encore à Djerba une petite Synagogue décorée avec goût et amour par Jacob Chemla, le bâtiment a été classé au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO. Il a été demandé à André Chemla (céramiste et petit-fils de Jacob) de rénover de nombreux carrelages manquants.

Pour en revenir à l'Aventure Américaine, Miss Hooker refusa l'association avec les Bellaïche, elle passa de très grosses commandes en faisant des avances importantes pour apporter de l'oxygène dans la trésorerie des Chemla. Les Bellaïche quittèrent la société qui s'appellera désormais " La Poterie D'art, Les FILS DE J. CHEMLA ", sise au 32 route du Bardo (près Tunis). Il fut décidé de construire deux autres fours et l'usine compta jusqu'à 72 décorateurs.

D'Afrique du Nord aussi les commandes arrivèrent en masse, il y eut la décoration de la Gare de Philippeville, de l'Hôtel Saint-Georges et du Palais du Gouverneur à Alger.

Ils firent de nombreuses Expositions : à Marseille en 1922 où ils eurent le Grand Prix de l'Exposition Coloniale, également le Grand Prix des " Arts Décoratifs " de Paris 1925, et ils furent membres du jury à l'Exposition Internationale de Paris en 1931 .

Les américains demandèrent de plus en plus de produits Chemla, les villas de nombreuses grandes stars de Hollywood furent décorées, ainsi que le palais de justice de Santa-Barbara et le théatre d'Arlygton en Californie. Certains commerçants de la côte Ouest des Etats-Unis se déplacèrent jusqu'à Tunis pour obtenir des céramiques Chemla ; il faut s'imaginer ce qu'était un voyage pareil dans les années 1927 : il fallait traverser le pays d'ouest en est par le train, puis prendre ensuite un paquebot Transatlantique New-York-Le Havre, faire le Havre-Marseille en chemin de fer et enfin la traversée Marseille-Tunis en bateau. Tout cela était très long et très coûteux, et lorsque le malheureux commerçant au terme de ce dur voyage s'entendait dire qu'il ne pouvait pas lui être livré plus de trois à quatre mille carreaux par mois, il disait souvent avec son inimitable accent américain " Mais, Messieurs les Frères Chemla, cela ne paye même pas le prix de mon voyage !".

Donc, ce succès fut immense, mais malheureusement comme toujours dans l'histoire de cette famille, ce ne fut que de courte durée, car la grande crise de 1929 et le Crash de Wall Street mirent fin définitivement au commerce avec l'Amérique. Il y eut une modeste reprise après la guerre dans les années 46-47, mais qui ne donna pas grand chose. Par la suite, Miss Hooker mourut, après avoir tenu la promesse faite à son ami M. Guy, non sans avoir gagné beaucoup d'argent et récupéré largement sa mise de fond chez les Chemla, qui lui témoignèrent une reconnaissance profonde.

Grâce au commerce avec les américains, les Chemla purent enfin devenir propriétaires de l'Usine et des terrains attenants. Ils avaient consolidé leur situation et les différentes Expositions Internationales où ils furent primés leur donnèrent une notoriété très large. L'Exposition Internationale de Paris en 1931 fut un énorme succès, les visiteurs s'arrachaient les pièces Chemla, leur stand était devenu l'une des curiosités. Il faut dire que le jeune Béchir, tourneur de 13 ans, épatait par sa virtuosité en réalisant à toute allure toutes sortes de poteries, devant une foule admirant sa dextérité ; de plus on décorait de petites pièces en biscuit (brutes non émaillées) devant les visiteurs avec le jus de caroubes, qui est une technique très employée en Afrique du Nord.

D'autres expositions furent moins satisfaisantes, comme celle de 1937 à Paris. En effet au lieu de placer les Souks Tunisiens, Algériens et Marocains au sein de l'Exposition, ils furent inclus dans le Parc des Attractions, qui était à l'extérieur du complexe. Les céramistes Chemla eurent quand même la médaille d'Or et furent classés Hors Concours.

Vers les années 1928 à 1930, de nombreuses commandes furent réalisées : " La Villa Persane " ou Dar Merrion, sur la Route de Bizerte, près du Bardo : une somptueuse demeure conçue par le grand Architecte Victor Valensi (également auteur de la Grande Synagogue de Tunis de L'Avenue de Paris). La Villa Persane avait été construite pour M. Merrion, consul des Etats-Unis et milliardaire ; il y donna de grandioses soirées dans ses magnifiques jardins décorés de bassins, de jets d'eau, de bancs recouverts de très beaux carrelages décorés. La bibliothèque était un vrai chef d'œuvre, tous les murs étaient recouverts de superbes boiseries sculptées, en ébène, dans le plus pur style oriental.

Il y eut également, à Sidi Bou-Saïd, la décoration des superbes villas des propriétaires des Magasins Monoprix, grandioses avec leurs jardins des Mille et Une Nuits trônant au dessus du Golfe de Tunis. Également, toujours à Sidi Bou-Saïd, il y eut la décoration du Restaurant " Dar Zarouk ", ainsi que quelques revêtements muraux dans la villa du baron d'Erlanger.

La presque totalité des mosquées construites en Tunisie étaient décorées par des carreaux et panneaux Chemla. Il en fut de même pour plusieurs demeures de la Famille Beylicale et de familles bourgeoises dans tout le pays.

C'est vers les années 1930 qu'Albert, le second fils de Jacob, décida de s'installer à Alger en abandonnant la poterie pour se lancer dans le négoce ; il fonda La Pharmédy ainsi que de nombreuses autres affaires, ce qui fit de Victor et Mouche, avec le vieux Jacob, les seuls prestataires de l'affaire, Albert restant toujours propriétaire des terrains en indivis.

Victor, souffrant du saturnisme qu'il avait contracté dans son jeune âge en manipulant constamment pour ses recherches plusieurs produits plombeux et toxiques, fut souvent obligé de faire des cures en France, tant à Vittel qu'à Royat pour soigner son insuffisance rénale et sa tension artérielle. A 21 ans, il était obligé de marcher avec une canne. Il mit constamment en garde son fils André, céramiste comme lui, contre les dangers du saturnisme.

C'est en août 1938 que mourut Jacob Chemla, homme exceptionnel, rénovateur de la Céramique Tunisienne. Il avait eu la récompense de son labeur infatigable et de sa ténacité, en recevant plusieurs décorations prestigieuses, car le Gouvernement du Protectorat le fit Chevalier de la Légion d'Honneur, il fut promu grand commandeur du Nichard Iftihkar par sa Majesté Le Bey de Tunis, il fut décoré Officier d'Académie, il a été membre fondateur de la Société de l'ancien Hôpital Israélite ; il était ancien secrétaire de la Société de Secours Matrimoniaux et de la Société de l'Assistance Fraternelle ; il était créateur de la Société Musicale El Allal. Il fut l'auteur de plusieurs ouvrages à partir de 1887, et membre actif de la Société d'entraide des membres de la Légion d'Honneur. Toutes ces décorations furent volées par un des ouvriers tunisiens pendant la guerre, au cours de pillage par les occupants allemands de l'usine et de la très belle villa attenante, habitée par Victor et sa famille.

La situation des Chemla s'était à présent bien améliorée, mais hélas ! survint la guerre, avec la débâcle de 1940, les restrictions. Sous Vichy arriva le statut des juifs et son cortège de vexations. Une grande partie des ouvriers de l'usine étaient des Italiens qui habitaient à l'usine et qui visaient la confiscation des biens des juifs. Le personnel tunisien marquait également son hostilité par les idées nationalistes que lui inculquait le Néo-Destour et la propagande des régimes nazis. Il y régnait un très mauvais esprit et l'antisémitisme battait son plein. Les nouvelles sur le sort des juifs dans les pays occupés par les nazis devenaient de plus en plus mauvaises, et les Chemla, se souvenant de leurs relations Américaines, se mirent en rapport avec leurs anciens clients. Ceux-ci répondirent positivement, et proposèrent de monter une unité de céramique d'art en Caroline du Nord, région tempérée qui eut convenu parfaitement aux Chemla. Les démarches allaient bon train, et c'est alors encore une fois que le destin vint troubler ces projets : l'Amérique entre en guerre à la suite de l'attaque surprise des Japonais sur Pearl Harbour. Et tous ces beaux projets tombèrent à l'eau.

Le Général De Lattre de Tassigny, alors Commandant en Chef des troupes de Tunisie, était un grand amateur de céramiques et de l'artisanat d'art en général, il se rendit à plusieurs reprise à la Poterie où il aimait admirer la dextérité d'un tourneur ou celle d'un décorateur, à la grande joie de ces derniers à qui il distribuait de biens généreux pourboires ; il acheta plusieurs poteries, plats et vases décorés.

Les nouvelles d'Albert qui se trouvait à Alger étaient alarmantes : le statut des juifs y était appliqué avec zèle et exagération, et bientôt sa situation devint intenable. Il faut dire que grâce au Bey de Tunis et de l'Amiral Esteva, Résident Général, les juifs de Tunisie étaient relativement mieux traités que leurs coreligionnaires de France et d'Algérie. Il fut donc convenu de faire revenir à Tunis Albert et sa famille. Quelques semaines seulement après son installation, au début du mois de novembre 1942, les Alliés débarquaient en Algérie et au Maroc. Ce pauvre Albert se sentit piégé et dut subir pendant six mois l'occupation allemande en Tunisie.

Cette occupation a été durement ressentie par la population juive de Tunisie : prise d'otages parmi les élites, travail obligatoire (STO) pour tous les juifs de 18 à 50 ans, réquisition de biens, d'usines et de villas, versement de vingt millions aux troupes d'occupations Italo-Allemandes, couvre-feu, et obligation faite à la communauté juive d'équiper et de financer les travailleurs juifs ; il y eut également la déportation de plusieurs dizaines de personnes de la Communauté vers les camps de la mort, d'où certains ne revinrent jamais.

Tunis subissait presque journellement de sérieux bombardements des Alliés, et il y eut de nombreuses victimes parmi la population civile.

Or que se passait-il chez les Chemla ? Victor et sa famille furent chassés de leur villa et les Allemands l'occupèrent ainsi que l'usine. Ils durent attendre la libération pour reprendre une semi-activité, car alors les troupes françaises prirent le relais en continuant à occuper une partie importante de la fabrique.

Ici, je veux raconter l'anecdote qui nous débarrassa de cette réquisition abusive, qui aurait pu durer, comme à l'usine voisine de G.B.C., jusqu'à la fin de la guerre. Le commandant Fayeux, grand ami des Chemla, qui rentrait d'Algérie avec le grade de Lieutenant-Colonel après avoir combattu les troupes de l'Axe au côté des Alliés, vint s'inquiéter pour savoir ce qu'il en était advenu de ses chers amis. Quelle ne fut pas sa stupeur quand il vit ces soldats français dans l'usine. Il demanda aussitôt à leur chef, effrayé de se trouver tout d'un coup face à cet Officier Supérieur : " Que faites-vous en ces lieux ? vous les occupez ? en empêchant une fabuleuse famille d'artistes d'exercer son art et en la faisant mourir de faim ? Je vous donne 24 heures pour déguerpir ". Ce fut chose faite, grâce à ce brave Lieutenant-Colonel Fayeux.

L'armée américaine avait demandé aux Chemla s'il était possible d'aller dans quelques hôpitaux faire une démonstration de céramique, afin de remonter un peu le moral aux nombreux grands blessés. Ils le firent, on emporta par camions deux tours à potier à pieds, ainsi que des poteries brutes en biscuit non émaillé, et sous les yeux admiratifs de ces pauvres jeunes gens, nos deux tourneurs faisaient surgir de leurs doigts si agiles toutes sortes de poteries, vases et autres objets. Quant aux décorateurs, ils marquaient sur les pièces dessinées (au décor de jus de caroubes) les noms et prénoms de ces braves soldats. Nous étions contents d'avoir fait une bonne action, mais surtout d'aller ensuite dans les immenses dépôts réservés à l'Armée Américaine pour y choisir gracieusement toutes sortes de friandises et nourritures rares, dont nous étions tellement privés.

Après avoir pansé toutes ses plaies, l'usine tenta de redémarrer, le manque de matières premières et le pillage dû à l'occupation freina nettement la reprise.

Albert retourna à ses affaires à Alger, et il fut question de moderniser l'usine. Un soit-disant ingénieur de Sèvres, Monsieur Rondeau, voulut monter une unité de fabrication de vaisselle utilitaire, qui faisait défaut en Tunisie. Mais ce monsieur n'était nullement pressé, des mois et des mois passèrent avant qu'on ne voit la moindre pièce sortir de toutes les machines fabriquées suivant ses plans, tant et si bien que ce gouffre financier engloutit rapidement une trésorerie déjà affaiblie par l'occupation allemande .

Par contre, il y avait une forte demande en carrelages, tuiles demies rondes vernissées vertes, et poteries décorées, car il y avait une pénurie de cadeaux de tout genre. Ce Monsieur Rondeau resta plus de 2 ans à l'usine et lorsque les premières pièces de vaisselle ont enfin commencé à être fabriquées, ce fut la fin de la guerre et il y eut une importation massive, de France, de tous les produits divers qui avaient tant manqué en Tunisie.

L'erreur fut fatale, alors que la demande de produits traditionnels Chemla étaient toujours très forte, tous ces investissements s'avéraient inutiles. C'était Victor qui avait eu raison, il aurait voulu plutôt moderniser le mode de cuisson, en passant des vieux fours arabes trop grands, d'un coût élevé en personnel (un four au bois demandait 3 jours et 2 nuits pour cuire, avec 3 ouvriers pour charrier les fagots d'olivier) pour un résultat pas toujours satisfaisant, aux fours électriques modernes équipés d'une pyrométrie et d'une régulation automatique avec 100 pour 100 de rendement.

André était le second fils de Victor, doué en dessin et passionné de céramique (à 15 ans et pendant la guerre il composa et réalisa tout seul la décoration du Restaurant " Le Bagdad " sous la conduite de l'architecte Victor Valensi, pour le compte de l'imprésario M. Maruani, qui s'était réfugié en Tunisie pour échapper à l'occupation en France ; on peut encore voir à Tunis, sur l'ancienne avenue Jules Ferry, un grand panneau extérieur représentant une caravane, et qui est devenu une des curiosités touristiques de la ville).

Il aurait voulu faire des études d'ingénieur des travaux publics, mais en 1948 il arrêta ses études pour entrer en qualité de géomètre-topographe au Ministère de l'Agriculture, et plus tard aux Travaux Publics au service des Grands Travaux.

Il participa à quelques salons : Salon Tunisien de 1950 et 51, XVIIIème exposition de l'Afrique Française en 1950.

Monsieur Victor Boublil, qui avait une superbe boutique au Colisée, au 55 avenue Jules Ferry : " Aux tapis d'Orient ", proposa à André de faire une exposition dans ses locaux. Ce qui fut fait au mois d'avril 1951. L'exposition eut beaucoup de succès, Monsieur Mzali, Ministre du commerce et de l'industrie était présent au vernissage, ainsi que le Représentant de Son Altesse le Bey de Tunis, de nombreux journalistes et un public admiratif.

Cela encouragea André qui décida de tenter sa chance à Paris, il expédia toutes ses œuvres et réussit à organiser une exposition aux arcades du Lido sur les Champs-Elysées, au mois de décembre 1952, au " Palais de L'Orient ".

Il y eut quelques articles élogieux sur différentes revues, et il fut interviewé par Pierre Dumayet sur la radio de l'O.R.T.F. ce qui fit venir pas mal de monde.

Il participa également à la troisième exposition d'Arts Plastiques en avril 1953, à la galerie " Roméo et Juliette ", avenue Georges V. Mais André n'avait qu'un but, celui d'ouvrir un jour son propre atelier. Les grosses charges de sa famille ne lui permirent pas durant toutes ces années de faire les économies nécessaires à son installation.

Il a fallu attendre août 1954 pour que ce beau rêve devienne réalité. En empruntant, en se serrant la ceinture, et en réunissant les dernières maigres économies de son père, il commanda en France un four électrique et loua une petite boutique au 55 Bis rue Kléber. Il remit sa démission aux Travaux Publics et se lança à son compte pour enfin faire le métier de céramiste.

Sa première commande fut la décoration de panneaux et de carrelages pour le Palais de La Beya (épouse du Bey) à Carthage. C'était la grande joie, mais hélas, un mois à peine après son installation, le 20 octobre, le 23 tichri le jour de Simha Torah pour les Juifs (un jour de grande fête, car c'est la fête de la Torah), son modèle, son maître, son conseiller, son très cher Père Victor, mourut en quelques heures dans les bras des siens, emporté par une hémorragie cérébrale à l'âge de 62 ans, après un coma de quelques heures. Peine immense, consternation, et retour en catastrophe de Paris, de Jacques son fils, étudiant en médecine, pour assister à l'enterrement.

Les hommes de loi mirent plus de deux ans pour régler cette difficile succession.

Et que devint André pendant tout ce temps ?

Il mena son petit bonhomme de chemin, malgré les problèmes et la situation politique instable de la Tunisie ; il décora plusieurs villas ainsi qu'un hôtel à La Marsa, il avait des clients tant à Tunis qu'en province qui lui achetaient une partie de sa production, qui était diversifiée car il excellait aussi bien dans le style oriental (Tunisien, Persan et autres ) que dans un style moderne figuratif ou abstrait.

Il organisa plusieurs expositions : l'une, en mars 1955 dans le hall du Journal " La Presse ", eut un réel succès et un très grand retentissement. En mai 1956, il exposa à la Galerie " L'Art Pictural " toujours avec le même succès, et enfin en mai 1957 à la Galerie " L'Atelier ". Il exposa également à Ferryville (près de Bizerte).

La situation se dégradait de plus en plus, et après l'indépendance de la Tunisie les européens commencèrent à quitter le pays en masse. André était le seul membre de sa famille encore à Tunis, ils s'étaient tous installés à Paris.

Voyant tous ses parents, clients et amis déserter Tunis, André décida d'aller lui aussi s'installer en France ; il aurait bien choisi le midi, vers la Côte d'Azur, mais sa famille le pria de rester près d'eux à Paris. Léo lui trouva un tout petit atelier au premier étage, dans une cour au Passage De Dantzig, dans le XVème arrondissement de Paris, près de " La Ruche ", lieu célèbre où vécurent Modigliani, Soutine, Chagall et autres célébrités. Il se déplaça à Paris au mois de juin pour signer l'achat de cet atelier et retourna à Tunis pour régler ses affaires.

Compte tenu de la situation, la vente de la villa était devenue impossible, car les Tunisiens se donnaient le mot pour ne plus rien acheter aux gens qui partaient, afin de faire chuter les cours au plus bas. Ne pouvant attendre indéfiniment un client éventuel qui ne se présentait d'ailleurs pas, ils décidèrent de louer la villa en attendant des jours meilleurs. Le locataire, un membre de la Famille Beylicale, ne régla qu'un premier mois, puis refusa de payer le loyer. Il fallu le faire expulser, ce qui ne fut pas facile et prit un temps très long ; finalement on trouva un acquéreur en 1958.

Il faut ici parler de la légende de cette villa, que l'on appelait " La Villa des Jasmins " : aux dires de plusieurs personnes de bonne foi, on y sentait le jasmin car les propriétaires, qui étaient de grands artistes, avaient versé du parfum de cette fleur dans l'eau qui avait servi à couler le ciment. Évidemment, ce n'était qu'une légende….

Pour en revenir à l'usine, Mouche continua encore pendant quelques années à y travailler. Puis il s'installa en France, dans une ancienne chapelle désaffectée, à La Garde-Freinet dans le Var, où il continua son activité artistique jusqu'à sa mort en 1978.

C'était un très grand artiste et il contribua beaucoup à la renommée de la Poterie d'Art. Mais aucune des trois filles de Mouche (Simone, Lucette et Monique) ne prit sa succession dans le métier de la céramique.

Quant à Albert, après avoir subi pendant plusieurs années les problèmes très graves liés à la guerre d'indépendance de l'Algérie, c'est au cours d'un de ses voyages à Paris qu'il mourût en quelques heures d'une crise cardiaque en 1963. Ce fut André, à 3 heures du matin à l'hôpital, qui récita pour lui le " Chéma Israël ".

Aucun des Chemla ne sait ce qu'est devenue aujourd'hui " La Poterie d'Art " sur la route du Bardo, à l'entrée de laquelle on pouvait lire, sur une arche : " Poterie Chemla ".

Ainsi s'éteignit la deuxième génération des Chemla.

André, s'étant donc installé à Paris en août 1957, y poursuivit la tradition familiale en représentant la troisième génération de cette prestigieuse famille de céramistes d'Art.

Ses débuts à Paris ne furent pas faciles, il débarqua en plein mois d'août où tout était fermé et il lui fallut attendre le début du mois de septembre pour récupérer les clés de son atelier.

Il contacta quelques fournisseurs, et commença à produire quelques échantillons de céramique. Il fit une tournée auprès de quelques commerçants, sans trop de succès, car il n'était pas dans la tendance de l'époque ; de plus il avait utilisé ses derniers francs. Il envisageait son retour à Tunis où il avait gardé, par prudence, son atelier de la rue Kléber en continuant d'en régler le loyer ; c'est alors que ce cher Monsieur Boublil, son grand ami de toujours, de passage à Paris, lui régla trois tableaux de Miniatures Persanes qu'il avait vendu sur les œuvres laissées en consignation à Tunis. Cette manne tombée du ciel lui permit de tenir et lui remonta le moral, il prépara une belle collection de dessus de table en céramique, qui étaient très à la mode, et fit une tournée dans les belles boutiques et Grands Magasins de Paris. Le succès fut fulgurant, il eut de très grosses commandes qu'il fallait honorer de suite car c'était la pleine saison des fêtes. André travaillait tout seul jusqu'à 14 heures par jour, aidé parfois avec gentillesse par son frère Léo. Malgré son acharnement il ne put honorer toutes ses commandes, mais il avait réussi en quelques semaines à s'imposer et à se faire connaître à Paris, à redresser une situation désespérée et surtout retrouver un moral d'acier qui était l'apanage des Chemla.

Mais comme toujours dans le destin des Chemla, dès que les choses s'arrangent, il se passe des évènements graves. Au début 1958, la situation en Algérie se dégrada en créant une crise politique sans précédent, les gouvernements de l'époque ne purent faire face à cette situation difficile, les affaires se mirent à stagner et il fallut attendre le retour du Général de Gaulle au Gouvernement en mai 58 pour espérer une reprise éventuelle.

Pendant tout ce temps, André ne vendit pratiquement rien et dut attendre la fin des vacances pour voir ses gros clients se manifester à nouveau, ce qui entama lourdement sa trésorerie ; mais pendant tout ce temps de crise, il exécuta les quelques rares commandes en cours, et il prépara un stock important de marchandises et put ainsi faire face à la forte demande à l'approche des Fêtes de fin d'année.

La mode du dessus de table en céramique battait son plein et les commandes des Grands Magasins dépassaient souvent les huit cents pièces par mois. En 1962, André quitta son atelier du Passage de Dantzig, pour un atelier et appartement situés Boulevard Mortier dans le XXème arrondissement de Paris.

Craignant de stagner dans cette routine monotone, et lassé de cette production surtout alimentaire, André chercha d'autres débouchés auprès de décorateurs et installateurs de magasins. Bientôt il agença un grand nombre de Boutiques, Hôtels et Restaurants. Sa parfaite maîtrise de la décoration de laves de Volvic, matériau ingélif et idéal surtout en façade lui apporta bientôt de belles commandes Il décora plusieurs édifices tant publics que privés, de très beaux halls, salles de bain, cuisines, piscines etc…pour de grandes personnalités et vedettes diverses. Il participa également à la restauration d'hôtels particuliers et de châteaux

En 1966, il entreprit la décoration du Restaurant Aron sur les grands boulevards dans le style oriental qu'il aimait tant. Ce fut un retour aux sources, il put reprendre tous ses chers dessins familiaux, et pendant près d'une dizaine d'années collabora par d'innombrables panneaux et des miniatures persanes à l'embellissement de cet établissement. On a dit souvent que ce restaurant est un Musée André Chemla.

En mai 1967 il y eut la Guerre des Six jours entre Israël et les Pays Arabes du moyen orient. Le côté Sioniste d'André le poussa à envisager de s'installer en Israël pour y créer un style National Israélien comme l'avait fait jadis son illustre Grand Père Jacob en Tunisie. Il se présenta à l'Agence Juive d'immigration où il fut reçu par des ricanements et une incompréhension totale. Il rentra dégoûté de cette entrevue en ratant ce rendez-vous qui aurait changé peut être le cours de sa vie. Il y trouva une similitude avec celui aussi raté par ses parents pour la Caroline du Nord.

Il décora le Restaurant " Le Djerba " à Biarritz par une série de panneaux et de tableaux de miniatures persanes en avril 1968. Il exécuta toute une série de personnages japonais inspirés d'estampes anciennes pour le salon de coiffure de Jacques Dessange de la rue des Saints Pères à Paris, ainsi que plusieurs salons de coiffure avec l'installateur " Beautex " rue de l'Échelle à Paris.

Il fut contacté à cette période par l'un des plus important établissement de sanitaires et carrelages de France " C.M.R. " qui lui proposa d'exposer dans leur show room ses différentes productions.Ils firent de gros investissements de publicité pour promouvoir et le faire connaître (il y eut dans le métro de grandes affiches avec des céramiques d'André), il faut dire que cela leur permettait de toucher une clientèle à la recherche de carrelages originaux et haut de gamme.

C'est ainsi qu'André décora de très belles demeures d'artistes, de Ministres (dont des P.D.G. de très grosses sociétés, des personnalités diverses, des princes étrangers ayant des biens en France, etc, etc..)

Son ami Monsieur Manent, artiste peintre, lui proposa de partager sa salle d'exposition dans une galerie à Troyes dans l'Aube au printemps 1975 ; il prépara pas mal de pièces et panneaux, ainsi que des tableaux de céramique et il vendit la presque totalité des œuvres exposées. Quant à ce pauvre monsieur Manent, il ne fit aucune vente, ce qui gêna beaucoup André qui voulut prendre à son compte tous les frais de l'exposition, mais Monsieur Manent refusa obstinément de changer quoi que ce soit à ce qui avait été convenu .

En 1976, il reçu en son atelier la visite d'un grand acteur, qui à cette époque avait un succès fou au théâtre, afin de lui commander pour sa salle de bain plus de quarante m2 de lave émaillée dans les tons de bleus nuances, ainsi que la crédence et les murs de sa cuisine à Paris avec un très joli décor de style anglais. La même année, il décora également la salle de bain et la cuisine d'un très grand chanteur.

A partir des années 75, il trouva son atelier trop petit pour pouvoir évoluer et se mit en quête de chercher un atelier plus grand ; il trouva un beau local en rez-de-chaussée, avec un petit appartement (qu'il transforma en bureau et salle d'exposition)

Il fit un emprunt auprès des banques pour y faire de gros travaux de remise en état.

En 1978 les grands décorateurs qu'étaient les Frères Mercier du Faubourg Saint Antoine, qui décorèrent avant guerre le palais de L'Empereur du Japon, découvrirent le travail d'André au Restaurant Aron ; ils cherchaient un céramiste capable de décorer le hall d'un grand Hôtel qui accueilait de très hautes personnalités à Ryad en Arabie Saoudite. C'est ainsi que commença la grande Aventure avec les Émirats du Golfe .

La première commande d'André fut 12 grands panneaux qui ornèrent le hall de ce grand Hôtel (André eut le plaisir un jour, de voir à la télévision Le Président Chirac faire un discours, lors d'un voyage en Arabie, avec en toile de fond un de ses panneaux ; il réussit à l'enregistrer avec son magnétoscope ) .

A partir de ce jour, ce ne fut qu'une suite de commandes importantes et toujours très urgentes avec les Pays du Golfe (Palais, villas, hôtels avec piscines, vasques et jets d'eau). En I980 il décora d' une grande fresque de près de 10 m. de long le lycée Pablo Neruda par une des citations de ce poète, dans la ville de Roncq dans le Nord.

Il termina l'embellissement du troisième étage du restaurant Aron par un soubassement tout autour de la salle surmonté d'une douzaine de très belles miniatures persanes rehaussées d'or et de platine.

Le 20 septembre 1981, Elise Chemla, celle que tout le monde appelait " Maman Chemla ", la veuve de Victor, s'éteignait à l'age de 81 ans, plongeant toute la famille dans une profonde tristesse. C'était une femme exceptionnelle, tant par son dévouement, sa gentillesse, sa délicatesse, sa ténacité. Elle repose à Troyes, à deux pas du pavillon de son fils Jacques, ce qui permet à ses enfants et petits enfants de se rendre souvent sur sa tombe. Tous ceux qui l'aimaient ne l'oublieront jamais…

En 1981 et 82, André Chemla décora le grand salon de l'Hôtel du Golfe à Qatar et eut une nouvelle commande pour le salon de coiffure de Jacques Dessange à Paris.

Il exécuta toutes les fresques du complexe Emsalem à la Porte de la Villette, dont une vue représentant la ville de Jérusalem, ainsi que des panneaux avec des animaux de la ferme. Il décora également un très gros complexe de boucherie musulmane par de grandes fresques décoratives et calligraphies diverses.

En 1983, il fut contacté par les " Éditions de la Différence " pour reproduire, sur de la céramique en carreaux de grès cérame de 5X5, deux tableaux de Jean-Michel Folon représentant " La Pensée dans la Ville " et " La Fumée " en soixante exemplaires numérotés, il exécuta aussi un triptyque du peintre André Masson sur carreaux de faïence. Il était également prévu de reproduire trois tableaux de Salvador Dali, mais de gros problèmes de trésorerie de l'éditeur ne permirent pas de poursuivre ce projet.

Durant l'année 1984, les frères Mercier lui demandèrent de fournir des céramiques pour la Mosquée du Sultan d'Oman, elle fut surnommée " La Petite Mosquée Bleue " par ses décors dans les tons de turquoises et de bleus intenses qui ornaient le Mirhab et le soubassement qui courait tout autours de la salle. En 84 et 85 il décora des Palais et des Villas en Arabie Saoudite. Il fit également à cette époque une grande composition abstraite pour le hall d'un bureau de poste en banlieue Sud de Paris. Il décora trois grandes boutiques dans la Ville Nouvelle d'Evry . Dans cette même année le grand Décorateur Alfredo Pinto lui passa commande de toute une série de panneaux et de calligraphies pour l'Émirat de Bahrein.

Plus tard, pour un cinéma de Charleville-Mézières, il reproduisit des panneaux de faïence d'après des affiches de l'époque de plusieurs films : Les Orgueilleux, Les Oiseaux d'Alfred Hitchcock, Marius de Marcel Pagnol illustré par Dubout, Mon Oncle de Jacques Tati, Sept Ans de Réflexion avec la célèbre photo de Marilyn Monroe sur la bouche de métro, etc….

Dans les années 87 il étudia et réalisa à la demande d'un grand décorateur, rue Blanche à Paris, de grandes plaques de laves émaillées dans le style égyptien ancien avec des personnages et des hiéroglyphes pour habiller une très grande salle de bain.

Ici, il faut faire un retour vers les années 1977 pour insister sur la passion et l'admiration d'André pour les Céramiques d'" Iznik " de Turquie du XVème Siècle. Il était fasciné par leur magnifique couleur Rouge tomate, en relief, inégalée à ce jour. Sa visite au Palais de Topkapi à Istanbul fut un émerveillement, quand il se trouva enfin en présence de ces merveilleux panneaux muraux avec leurs turquoises et bleus intenses et surtout ce fameux Rouge qui fit la gloire des poteries et carreaux " Iznik ". Comme son père Victor (qui s'en était rapproché un peu), André rêvait de retrouver un jour ce magnifique Rouge ; il ne manquait pas, presque à chaque cuisson, de tester avec tous les colorants nouveaux la recherche de cette couleur. Et un jour ! Oh miracle ..! quelle ne fût pas son émotion et sa stupeur, quand à la sortie du four il prit dans ses mains ce petit plat qui enfin, sur son décor insignifiant d'échantillon, reflétait ce magnifique Rouge tant recherché. Il eut alors une pensée émue pour son cher Père, il aurait voulu le lui dire sur sa tombe, qu'il avait enfin trouvé ce qu'il avait tant cherché, mais hélas Victor était enterré à Tunis ; mais il eut l'occasion de le faire plusieurs années après lors d'un de ses voyages en Tunisie. Pendant près d'une semaine, André a admiré ce petit plat aussi bien depuis son réveil qu'à la fin du jour, car avant de dormir il le posait avec respect sur sa table de nuit, il ne le quittait ni pendant son petit déjeuner ni toute la journée, et même en travaillant sur sa table de dessin il y portait sans cesse son regard jusqu'au soir. Bref ! ce fut un moment de satisfaction intense.

Tous les panneaux et carreaux " Iznik " qu'il décorait désormais étaient rehaussés de cette magnifique couleur, et ressemblaient à s'y méprendre à ceux du XVème siècle. Les architectes et décorateurs spécialistes de motifs orientaux en étaient demandeurs, et étant en admiration devant ces coloris, ils firent des commandes de plus en plus importantes. 

En février 88, André habilla le fond de la piscine d'un palais de Fès au Maroc, par un magnifique tapis en carrelage de plus de 90 m2.

Bruno Pittini, le premier coiffeur de Jacques Dessange, qui voulait ouvrir un salon de coiffure à New-York, lui commanda une fresque murale de près de 20m², représentant des personnages japonais de près de deux mètres de haut, avec des kimonos très travaillés rehaussés d'or et de platine sur un fond jaune paille avec des paillettes d'or et des lustres d'or.

Monsieur Didier Bariani, maire du Xxème arrondissement de Paris, avait proposé à plusieurs reprises à André de faire une exposition de céramique dans sa Mairie . Il se décida un jour de mener à bien ce projet et de préparer pour la circonstance toute une série de vases, poteries, plats et coupes, ainsi que des tableaux et panneaux. L'exposition ouvrit ses portes du 26 septembre au 9 octobre 1991. Ce fut un énorme succès, il y eut un nombre considérable de visiteurs et la presse s'intéressa également à cet événement, qui eut de grandes répercussions .

Le succès fut tel qu'il l'encouragea à faire d'autres expositions, c'est ainsi qu'il exposa au " Centre des Arcades " à Troyes en juin 93. C'est à cette époque également qu'il réalisa avec le grand peintre Olivier Debré la décoration d'une station du métro de Toulouse.

En décembre 1994 s'ouvrait à l'Institut du Monde Arabe à Paris une très grande Exposition : " Couleurs de Tunisie " (25 Siècles de Céramique) ; elle fut organisée grâce à Madame Mouliérac Secrétaire Générale de l'Institut et surtout par la volonté tenace de Alain Loviconi auteur du livre " Faïences de Tunisie " où il parle longuement des céramiques Chemla ; mais où on y relève malheureusement plusieurs erreurs dues à un manque de documentation .

Cette exposition à l'Institut du Monde Arabe rendit un grand hommage à Jacob Chemla et à ses descendants en exposant de nombreuses pièces historiques, une vitrine entière, et la majorité des pièces du XIX et XX siècle exposées étaient pour la plupart des poteries et carreaux Chemla. A cette occasion, Madame Mouliérac et André Chemla furent interviewés par le journaliste José Arthur pour la Radio " France-Inter ".

Par la suite André fut interviewé à trois reprises par le journaliste Bernard Deutch pour " Radio-Bleue " .

Il organisa encore deux autres expositions, à L'Ermitage en décembre 94, à Rueil-Malmaison, sous le Patronage de monsieur Jacques Baumel, député-maire ; et au Musée Vera Jardin des Arts, à Saint-Germain-En-Laye en décembre 95, sous le haut patronage de monsieur Michel Péricard, maire et député des Yvelines. Il fut interviewé pour ces deux expositions par le journaliste Stéphane Calvo pour les Radios Juives : Radio J. et Radio Chalom.

En cette même année, Monsieur Emsalem lui demanda une seconde fois de décorer son nouveau grand local dans le XIXème arrondissement. de Paris, ce fut un très gros travail car il y avait une très longue frise qui faisait le tour complet du complexe, ainsi qu'une énorme enseigne portant le nom " EMSALEM " flanqué de deux très grandes Ménoras. Les murs du long et large couloir de l'entrée étaient ornés de motifs représentant les grandes fêtes juives ; il décora également la boutique attenante, " La Ménora ".

Le 30 juin 1996, André Chemla décida enfin de prendre sa retraite après 48 ans de travail continu.

Il continua toutefois de faire de la céramique sous toutes ses formes, dans sa petite maison de campagne située dans l'Aisne, où il monta un petit atelier et fabriqua un four à gaz lui permettant ainsi de cuire ses œuvres.

Il donna pendant plus de trois ans et bénévolement deux fois par semaine à près de dix élèves, des cours de céramique dans son ancien atelier qu'il avait cédé à Madame Amado. Plusieurs de ses élèves s'installèrent à leur compte.

En novembre 2000 et pendant tout le mois, il exposa ses céramiques avec Myriam Franck sculpteur, et Mariza Jonath artiste peintre, au " Viaduc des Arts ", au 55 Avenue Daumesnil, dans le XIIème arrondissement de Paris ; il fut interviewé par la Journaliste Fannia Pérez pour la radio Juive, Radio Judaïca. Cette exposition eut un grand succès, on en parla sur plusieurs journaux, et nos trois artistes décidèrent de renouveler l'expérience en mai 2002 ; le succès fut à nouveau au rendez-vous, malgré l'agitation dû aux élections présidentielles et législatives, ainsi que la situation tendue au Moyen-Orient.

Les deux enfants d'André Chemla Franck Haï et Delphine n'ont pas pris la relève : comme dans beaucoup de familles juives, le premier se dirigea vers la médecine et la seconde vers le droit.

Ici s'arrête momentanément cette Histoire de la Céramique des Chemla, mais ce n'est pas un point final, car André nous réserve encore de nouvelles surprises, et qui sait ? il y aura la cinquième génération, ou sixième (puisqu'il vient d'avoir un arrière petit fils prénommé Yeouda) qui prendront peut-être la relève ??….

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Dédé,

Un très beau récit qui m'a permis de connaître ton histoire.
Cela fait tes longtemps que nous nous sommes point vus.
Un grand bonjour de ma mère Dany.

Claude HAGEGE

Merci pour ce beau texte, qui ravive tant de souvenirs.
J'ai eu le bonheur, enfant, de connaître Mouche, et de passer quelques semaines dans son atelier de La Garde-Freinet, au début des années 1970. Il m'avait demandé de l'aider à peindre des carreaux d'une grosse commande. Je passais les pigments sur les desseins qu'il me passait. Je me souviens de la fraîcheur de la chapelle dans un été particulier, où les vagues d chaleur succédaient à des journées de mistral. Il travaillait dans le silence. parfois, l'après-midi se passait sans qu'un mot soit échangé, rythmé par le tintement des carreaux posés sur la table de séchage.
Parfois, le soir, nous dînions ensemble, avec mon père et ma grand-mère.

 

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