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Le CIO entre nazisme, fascisme et antisémitisme

Le CIO entre nazisme, fascisme et antisémitisme

 

 

Daniel Salvatore Schiffer - Philosophe

 

 

Les Jeux olympiques sont loués tous les quatre ans comme une immense fête sportive et populaire. Le philosophe Daniel Salvatore-Schiffer revient sur le passé peu reluisant des Jeux et du Comité olympique, entre fascisme et nazisme. On est bien loin de la trêve olympique !

 

Certes ces principes, que l’on voudrait universels, sont-ils magnifiques en soi. Sauf que cette instance suprême qu’est le Comité International Olympique (CIO) ne cessa, au cours de son histoire, de les trahir, pour n’en faire finalement que d’obscurs alibis, souvent purement théoriques, destinés à mieux dissimuler, sous couvert de moralité, ses graves dérives idéologiques (sans parler même de ce que j’appelais ailleurs, d’une formule très rimbaldienne, ses « horreurs économiques ».

1936, coup double pour HItler : les JO d'hiver et d'été

La plus condamnable de ces dérives idéologiques est, sans conteste, son honteuse compromission, sur le plan politique, avec le fascisme triomphant puis le nazisme naissant, le tout assorti d’une non moins détestable dose d’antisémitisme. Cette longue et impardonnable série de compromissions avec les pires régimes dictatoriaux eut lieu - peu de gens s’en souviennent aujourd’hui - lors des Jeux olympiques d’hiver de 1936, qui se tinrent, du 6 au 16 février, dans la petite ville allemande de Garmisch-Partenkirchen.

Cette année-là, ces Jeux, ardemment désirés par Hitler (arrivé au pouvoir trois ans auparavant) furent organisés afin de lui servir de vitrine tout autant que de tribune par Joseph Goebbels en personne, ministre de la Propagande du Troisième Reich. C’est un aristocrate belge, le comte Henri de Baillet-Latour, antisémite notoire, qui était alors le président, depuis 1925 (année ou Pierre de Coubertin abandonna cette fonction pour en devenir le « président d’honneur à vie »), du Comité International Olympique.

Voici ce que Baillet-Latour, obsédé par ce « double péril » que représentaient pour lui communistes et juifs, écrivait en 1940 : « Terrible bataille entre les barbares soviétiques et les Finlandais (…). Cette guerre que les Bolchéviques attendaient depuis 1920 devint un fait réel grâce à l’aide des Juifs, pour le seul bénéfice de la Russie rouge. » Et de déplorer, dans la foulée, que l’Allemagne nazie perdît ainsi, à cause de ces « méfaits » des Juifs, « le contrôle de la Baltique », dont, insistait-il, les Etats étaient pourtant « imprégnés de culture germanique depuis mille ans ».

C’est cette admiration pour cette « culture germanique », précisément, qui fit que ce même Baillet-Latour éprouva une grande fierté, lors de la cérémonie d’ouverture de ces Jeux olympiques d’hiver de 1936, à se faire photographier, ainsi que le montre un célèbre cliché, entouré, à sa gauche, d’Adolf Hitler, lequel se répandait alors en saluts nazis pour accueillir les athlètes à l’intérieur du stade, et, à sa droite, de Rudolf Hess, son diabolique dauphin. Un trio d’enfer, effectivement : le plus terrifiant des podiums olympiques, que l’actuel CIO prend bien soin, afin de ne pas ternir son image de marque, de ne pas divulguer !

Il est par ailleurs d’autres éléments, non moins accablants pour lui, que le CIO tente de passer tout aussi lâchement sous silence. Parmi eux, la course relais de la flamme olympique, symbole par excellence des olympiades modernes. Car si un de ces documents officiels stipule bien quelle fut l’invention, en cette même année 1936, mais lors de Jeux Olympiques d’été de Berlin cette fois, d’un certain Carl Diem, il omet sciemment de préciser, cependant, l’essentiel : Carl Diem, officier allemand, était lui aussi un dignitaire nazi, que le ministre des Sports du Troisième Reich (Hans von Tschammer und Osten, lui-même sous la tutelle de Goebbels), nomma, en raison de son pragmatisme bureaucratique et de son efficacité toute teutonne, Secrétaire général du Comité organisateur de ces mêmes Jeux.

Comme quoi idéal olympique et rêve nazi ont parfois fait bon ménage, aussi abominable fût-il, au cours de l’Histoire !

Berlin : les Jeux de la honte, et Coubertin complice

Berlin 1936, donc, du 1er au 16 août : les Jeux de la honte ! C’est à leur occasion que le Comité International olympique atteignit, en effet, un rare sommet d’abjection.

Son président, le même comte Henri de Baillet-Latour, par ailleurs toujours aussi immanquablement flanqué du « Führer », déclara avoir alors éprouvé une « grande joie à la suite de ces merveilleux Jeux olympiques ». Quant à son prédécesseur, le baron Pierre de Coubertin, qui admirait « intensément » Hitler et que vénérait Maurras au temps où il était directeur de la très pétainiste « Action Française », il fut plus dithyrambique encore à leur égard : « Je veux remercier le gouvernement et le peuple allemands pour l’effort dépensé en l’honneur de la onzième Olympiade », affirma-t-il peu avant leur cérémonie d’ouverture, lors d’un entretien accordé à la radio allemande. Et d’ajouter, lors de son discours de clôture : « Que le peuple allemand et son chef soient remerciés pour ce qu’ils viennent d’accomplir. »

Quant à ceux qui, embarrassés par ce type de commentaire, lui demandaient s’il ne nourrissait pas quelque scrupule à soutenir pareil régime, ils n’obtenaient, en guise de réponse, que ce genre d’aberration : « Comment voudriez-vous que je répudie la célébration de la onzième Olympiade ? Cette glorification du régime nazi a été le choc émotionnel qui a permis le développement qu’elles (les olympiades) ont connu ! »

Quoi d’étonnant, face à semblable enthousiasme et devant pareille publicité, si Hitler, qui n’en demandait pas tant pour vanter son régime aux yeux du monde, projeta de lui ériger une gigantesque statue, comme seuls les délires nazis pouvaient les concevoir et construire, en plein centre du stade de Berlin ? Mieux : il le proposa officiellement, pour le remercier, comme lauréat du prix Nobel de la paix (sic) : ce que à quoi la prestigieuse Académie d’Oslo se refusa bien évidemment, à juste raison, d’acquiescer !

Voici, à ce sujet, une photo de la cérémonie d’ouverture des JO de Berlin en 1936, où l’on voit Adolf Hitler, arborant la croix gammée, saluer le drapeau olympique. On y distingue, à sa droite, entre lui et Rudolf Hess encore, le président du CIO, Henri de Baillet-Latour.

Certes le comte de Baillet-Latour n’était-il jamais, argueront ses défenseurs en vue de l’excuser, qu’un homme de son temps, ni plus ni moins coupable qu’un autre face aux compromissions de l’Europe tout entière par rapport à l’avènement du nazisme. De même, insisteront-ils, le baron de Coubertin n’était-il jamais, en France, qu’un homme de la Troisième République : celle-là même qui, engluée dans l’antisémitisme ambiant, condamna arbitrairement, sous la présidence de Félix Faure, le capitaine Dreyfus.

Peut-être ! A cette différence près, toutefois, qu’il y eut néanmoins, à l’époque, des consciences suffisamment vigilantes et éclairées, dotées de lucidité intellectuelle tout autant que de courage moral, pour dénoncer cette sorte d’esprit de Munich, capable des pires capitulations, avant la lettre. Au sein de ces hommes exemplaires émergea alors le grand Georges Clemenceau, qui publia notamment, dans son journal L’Aurore, le « J’accuse » d’Emile Zola, mais que, face à son opposition pourtant radicale vis-à-vis de l’hitlérisme de Coubertin, personne n’écouta cependant. Et ce, malgré le soutien appuyé, sur cette épineuse mais importante question, de Léon Blum.

La suite de ces sombres événements lui donna, hélas, tragiquement raison lors de la Seconde Guerre mondiale : 50 millions de morts en Europe - le pire carnage de l’histoire de l’humanité - et 6 millions de juifs exterminés à Auschwitz !

Un antisémite et un franquiste à la tête du CIO

Il y a encore ceux qui nous diront envers et contre tout, nantis de cette obstination confinant à l’aveuglement, que l’hitlérisme n’était pas encore, à l’époque, le nazisme, et que personne, donc, ne pouvait prévoir le désastre à venir. Faux, dans la mesure où cette fatidique année-là, 1936, fut précisément celle durant laquelle Hitler mit stratégiquement en place, avec la nomination de ses plus fidèles lieutenants aux postes clés et leviers de pouvoir, tout le système idéologique du Troisième Reich, dont la création des unités SS avec écusson à tête de mort (la Totenkopffuerbande) par Himmler, l’édification du NSDAP (le Parti National-Socialiste des Travailleurs Allemands, qui régentait l’institut pour l’étude de la « question juive ») par Goebbels, et l’affectation de Göring au double poste de commandant en chef de la Luftwaffe ainsi que de la politique d’ « aryanisation » (en réalité mise en œuvre, dans toutes les organisations sportives du Reich, depuis 1933 déjà). Et ce, à l’encontre, non seulement des juifs, mais aussi des tziganes et des homosexuels, considérés médicalement, selon les théories de l’eugénisme alors en vogue, comme « dégénérés » tant sur les plans biologique qu’anthropologique.

Ainsi est-ce en cette même année-là, 1936 toujours, que les premières persécutions antisémites apparaîtront, en Allemagne, au grand jour : pas moins de 114 lois antijuives y seront édictées pendant le seule période s’étalant entre les Jeux Olympiques d’hiver, à Garmisch-Partenkirchen, et ceux d’été, à Berlin, tandis que tous les athlètes juifs de l’équipe nationale allemande, et certains de tout premier plan (Erich Seelig pour la boxe ; Daniel Prenn pour le tennis ; Gretel Begmann pour le saut en hauteur), en seront systématiquement exclus.

Davantage, le 16 juillet 1936, soit deux semaines avant l’ouverture de ces JO d’été, 800 Tziganes et Rom résidant à Berlin furent arrêtés arbitrairement, lors d’une rafle orchestrée par la police allemande, puis internés tout aussi abusivement, sous la garde des SS, dans un camp - ce fut là le premier camp de concentration de l’histoire nazie - alors spécialement aménagé à cet effet : celui de Marzahn, quartier situé dans l’est de Berlin. La plupart de ces prisonniers-là, dont beaucoup y furent exécutés sommairement, n’en sortiront jamais plus !

Voici, à ce sujet, une photo, datant de cette époque-là, du camp d’internement de Marzahn-Berlin, avec, comble du cynisme, les propres roulottes des gitans en guise de baraquements de fortune.

Sur ce premier crime de guerre commis par le Troisième Reich, en plein Jeux olympiques, ni le puissant président du CIO, Henri de Baillet-Latour, ni son illustre président d’honneur à vie, Pierre de Coubertin, lesquels étaient pourtant parfaitement au courant de cette situation ainsi que l’attestent de nombreux documents historiques, ne pipèrent jamais mot, le couvrant ainsi honteusement, du haut de leur prestige international, d’un très complice, et d’autant plus coupable, silence.

Pis : le président du Comité national Olympique américain d’alors, Avery Brundage, antisémite chevronné, nazi convaincu et membre actif de deux associations ultra racistes Outre-Atlantique, America First et Sigma Alpha Epsilon Fraternity, relativement secrètes et toutes deux proches du tristement célèbre Ku Klux Klan, convainquit les Etats-Unis d’Amérique, sous prétexte que « les Juifs étaient bien traités par le Reich », de ne pas boycotter ces Jeux de Berlin.

C’est précisément pour ces services alors rendus à la cause olympique que ce très zélé disciple d’Hitler, et que Göring recevait régulièrement en grande pompe, fut nommé, en 1952, président du CIO, puis, en 1972, Président d’honneur à vie lui aussi !

Son prédécesseur, le suédois Sigfrid Edström, président du CIO de 1946 à 1952, se livra, lui, à un odieux marchandage : il conditionna la reconnaissance du Comité National Olympique de l’URSS à la libération de Karl Ritter von Halt, ancien Reichsportführer (ministre des Sports sous Hitler) retenu captif par les Soviétiques et lui-même élu membre, en 1937, du comité exécutif du CIO. Ritter, pour corser l’affaire, retrouva, intact, son siège, de 1951 à 1961, de président du Comité national olympique d’Allemagne ! Vous pouvez par ailleurs consulter cette photo de l’entrée triomphale d’Adolf Hitler, entouré des principaux membres du CIO (dont Baillet-Latour et Brundage), lors de la cérémonie d’ouverture, le 1er août 1936, des JO de Berlin.

Et puis, très amère cerise sur le gâteau, il y eut cette funeste mais décisive date du 18 novembre de cette même année 1936, soit trois mois après, à peine, de la clôture de ces Jeux de Berlin. C’est ce jour-là, en effet, qu’eut lieu le départ des aviateurs allemands de la légion Condor , placés sous les ordres de Göring, pour aller combattre en Espagne, contre les républicains, aux côtés des fascistes de Franco, au premier rang desquels émergeait alors, franquiste parmi les franquistes, un certain Juan Antonio Samaranch, qui militait déjà, en ce temps-là, dans les rangs serrés des très fascistes Phalange Espagnole Traditionaliste (FET) et autres Juntes Offensives National-Syndicalistes (JONS), mais qui, surtout, deviendra lui aussi, de 1980 à 2001, l’inamovible président du CIO !

Pour tragique rappel, c’est cette même légion Condor, contre laquelle bataillèrent héroïquement les brigades aériennes du grand Malraux, qui, cinq mois plus tard seulement, le 26 avril 1937, bombarda, de sinistre mémoire, le village de Guernica : massacre que Picasso immortalisa, avec le génie pictural que l’on sait, dramatiquement.

No passeran, disaient les résistants espagnols… Sauf pour ce futur président du CIO que fut donc l’indigne marquis de Samaranch, qui, nommé par Franco, en 1967, secrétaire des Sports dans le Gouvernement Espagnol, ne craindra pas d’affirmer encore, au soir de la mort de ce sanguinaire dictateur, advenue en 1975, que « la figure et l’œuvre réalisée par la Caudillo s’inscrira dans l’histoire comme l’un des plus grands Chefs d’Etat du XXe siècle ». No comment !

Quand Jacques Rogge honore la mémoire de l'antisémite et nazi Baillet-Latour

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Mais j’entends déjà les supporters et autres inconditionnels partisans du Comité international olympique crier là au scandale, sinon à l’infamie : ce n’est là qu’histoire ancienne, sur laquelle ce même CIO a tourné la page, me rétorqueront-ils. Ce à quoi je leur répondrai, pour ma part, que non, justement ; et qu’il y a même là, au contraire, de nos jours encore, une étrange et non moins répréhensible continuité. Le CIO n’a jamais fait, sur tous ces points, son mea culpa. Il n’a jamais rien renié de son sombre passé, ni n’en a jamais reconnu ses terribles responsabilités. Au contraire : préférant pratiquant la politique de l’autruche, il ne cesse, encore aujourd’hui, d’exalter, sans vergogne et avec un rare aplomb, son histoire. A croire que le CIO s’avère dénué, en la matière, de toute conscience !

Ainsi, pas plus tard que le 2 juin 2010, Jacques Rogge, actuel président du CIO, se rendait-il à Virton, petite ville des Ardennes belges, pour y aller s’incliner, ému et une couronne de fleurs à la main, sur la tombe de son prédécesseur et compatriote Henri de Baillet-Latour, celui-là même qui fut responsable de l’organisation, dans l’Allemagne nazie de 1936, des Jeux Olympiques d’hiver comme d’été. Rogge en profita, par la même occasion, pour inaugurer, à grand renfort de discours, quoique dans une relative discrétion afin de ne pas heurter certaines sensibilités, un musée en son honneur. Pour ceux qui en douteraient encore, le journal Le Soir, premier quotidien de Belgique, a consacré dans son édition du 4 juin 2010 un article à cet événement passé, à l’époque, quasiment inaperçu

Pis, deux ans auparavant déjà, le 3 octobre 2008, ce même Jacques Rogge donnait-il naissance officiellement, parrainée conjointement par l’Université Catholique de Louvain (UCL) et l’Université de Gand, à la cinquième chaire olympique au monde, financée, à hauteur de 85.000 euros par année académique et pendant trois ans, par le fonds Inbev-Baillet Latour.

Avec Simon Wiesenthal pour un démantèlement du CIO

A l’heure où tout négationnisme historique, comme toute sympathie ouvertement fasciste ou signes ostensiblement pronazis, se voient durement pénalisés, à juste titre, par la législation de la République Française et la plupart de nos démocraties d’Europe, qui osera donc mettre cette organisation criminelle qu’est le Comité International Olympique, du moins au vu de ses multiples et manifestes collusions avec les pires des totalitarismes militaro-idéologiques, hors la loi ?

A tout le moins, ne fût-ce que par respect des victimes de la Shoah, se doit-il d’être, au plus vite, démantelé. C’est là, urgent, un sacro-saint devoir de mémoire !

Mieux : les valeurs de l’olympisme elles-mêmes, dont l’universalisme des principes philosophiques, y gagneraient ainsi, de surcroît, en crédibilité morale.

C’est cela même que, pourtant conscient de la difficulté de pareille tâche, me confia un jour de mars 1993, alors que je m’entretenais en tête à tête avec lui, dans ses bureaux de Vienne, Simon Wiesenthal en personne, qui n’eut de cesse, jusqu’à sa mort survenue en 2005 de traquer les criminels nazis et à qui l’on doit notamment l’arrestation d’Eichmann, le machiavélique concepteur de la solution finale, et son historique procès, en terre d’Israël, à Jérusalem même, pour crimes contre l’humanité.

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