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Le témoignage du correspondant de la Ména en Tunisie (1ère partie)

 

Le témoignage du correspondant de la Ména en Tunisie (1ère partie)(info # 013003/11) [Entrevue]

Propos recueillis par Sandra Ores © Metula News Agency

 

La Ména : Karim, bonjour. Depuis la révolution tunisienne, tu n’as plus publié d’articles dans ces colonnes. Rappelons que tu es le correspondant officiel de la Ména à Tunis. A quoi étais-tu occupé, à la place d’écrire, durant les évènements survenus dans ton pays ?

 

Karim Al Tounsi : Les évènements en Tunisie ont commencé après le suicide du jeune homme Mohamed Bouazizi, dans la ville de Sidi Bouzid, le 17 décembre 2010. En quelques jours, cela a déclenché une véritable Intifada populaire dans le pays.

 

Afin d’exprimer, nous aussi, notre rejet du régime de Ben Ali, la formation politique à laquelle j’appartiens, ainsi que plusieurs autres partis politiques légaux et illégaux, ont organisé, le 29 décembre, une manifestation, à l’avenue Bourguiba, la grande avenue de Tunis.

 

Etaient présents, entre autres : le Parti Ouvrier Communiste Tunisien (le POCT, parti illégal sous Ben Ali), le Parti Social de Gauche (PSG), le Parti Démocrate Progressiste (PDP), l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT), ainsi que quelques islamistes du mouvement Ennahda [parti de "La Renaissance"], mais en petit nombre uniquement. Les islamistes n’ont, en effet, pas vraiment participé à cette Intifada, contrairement à ce qu’ils prétendent, à l’instar des media. Ils avaient peur, et n’ont joué aucun rôle important dans cette révolution.

 

Nous avons ensuite continué à nous mobiliser contre le régime. Mon parti m’a envoyé à Sfax - je suis le représentant de cette ville au sein du parti -, pour y organiser une manifestation. Le 12 janvier, 40,000 personnes sont ainsi descendues dans les rues, principalement des militants. La foule rassemblait des avocats, des responsables politiques, des médecins, des infirmiers, ainsi que des membres de toutes les organisations composant la société civile.

 

Il y eut d’importantes confrontations entre les forces de police, qui lançaient des bombes lacrymogène et tiraient des coups de feu, et les manifestants, qui leur répondaient avec des pierres. Le siège du RCD [Rassemblement Constitutionnel Démocratique – l’ancien parti du président déchu. Ndlr.] a été incendié ; puis la ville, de façon assez incompréhensible, s’est soudainement vidée de la présence des policiers.

 

Le soir, rentrant chez moi, j’ai été arrêté à deux kilomètres de mon domicile par des agents de sécurité en civil, qui circulaient dans une voiture banalisée. Ils m’ont gardé en détention une cinquantaine d’heures ; je n’ai cependant pas été torturé, probablement du fait que je suis avocat ; en revanche, d’autres gens l’ont été : j’entendais des cris, des insultes - mais je n’ai rien vu.

 

J’ai été libéré le 14 janvier vers vingt-et-une heures, c’est-à-dire après le départ de Ben Ali. Le couvre-feu était en place, mais, malgré cela, le sentiment d’insécurité demeurait très fort, car de nombreuses bandes de voyous pillaient des magasins. En marchant dans la rue, j’ai pu observer des scènes effrayantes. C’est finalement un camion de l’armée qui m’a ramené chez moi.

 

La Ména : Quel a été ton rôle lorsque tu as été libéré, as-tu continué à organiser des manifestations ?

 

Karim Al Tounsi : Le lendemain de mon arrestation, mon parti a négocié avec le Premier ministre, Mohamed Ghannouchi. On m’a demandé si j’acceptais de faire partie du gouvernement ; moi, je n’étais pas contre.

 

Cependant, aujourd’hui, on nous reproche d’avoir participé à un gouvernement dirigé par un homme qui avait appartenu au régime de Ben Ali avant sa chute.

 

La Ména : Quel est le programme de ton parti politique ?

 

Karim Al Tounsi : Nous sommes un parti libéral et laïc.

 

La Ména : Quel poste vises-tu lors des prochaines élections ?

 

Karim Al Tounsi : Je vais me présenter à l’élection, prévue en juillet, de l’Assemblée constituante.

 

La Ména : Peux-tu raconter à nos lecteurs les douze dernières heures de Ben Ali en Tunisie ?

 

Karim Al Tounsi : Plutôt les vingt dernières heures, Sandra ! La veille de son départ, le 13 au soir, Ben Ali a prononcé un discours dans lequel il promettait des réformes politiques et sociales. Son intervention n’a cependant pas calmé les Tunisiens ; ce n’était pas une question de réforme, mais un changement radical à la tête du pays que la population réclamait.

 

Le 14 au matin, Ben Ali rédigea un nouveau speech, dans lequel il souhaitait annoncer son divorce de Leïla Ben Ali, sa femme, et son intention d’arrêter les membres de la famille Trabelsi [sa belle-famille très controversée. Ndlr.]. Il avait également l’intention de décréter la dissolution du gouvernement et du parlement, et d’inviter le peuple à des élections législatives.

 

Il n’aura jamais l’occasion de prononcer ce discours.

 

Leïla Ben Ali, de son côté, avait planifié le renversement de son mari d’ici les prochaines élections présidentielles qui devaient se tenir en 2014. Elle espérait, en effet, lui succéder, grâce à une ruse imaginée avec l’aide du chef des forces de sécurité présidentielles, Ali Seriati.

 

Seriati, lui, désirait également accéder au pouvoir, renverser Ben Ali, et éliminer son concurrent direct, qui n’était autre que… Leïla Ben Ali. Il s’était ainsi rallié, le 13 janvier, à Abdelwahed Ben Abdallah et Abdelaziz Ben Dhia, les conseillers les plus proches du dictateur aujourd’hui déchu.

 

Ces deux hommes se sont retournés contre leur chef, craignant de se faire arrêter, après avoir entendu le discours du 13 janvier ; car Ben Ali y avait annoncé d’importantes réformes politiques. Ce qui signifiait qu’il prévoyait de se séparer de certains membres de son gouvernement et de son entourage.

 

Les trois hommes prévoyaient ainsi de renverser leur président, ainsi que sa femme et toute la famille Trabelsi, le lendemain, 14 janvier.

 

Ledit 14 au matin, le président se trouvait dans son palais de Sidi Dhrif (à côté du palais de Carthage).

 

Seriati conseilla à Ben Ali d’agir de la manière suivante : il devait quitter le pays, prétextant une maladie à soigner à l’étranger [l’ex-autocrate est réellement malade, il souffre depuis des années d’un cancer métastasé. Ndlr.]. Dans l’entre-temps, des attaques – exécutées par des milices commanditées par Seriati – seraient perpétrées contre des institutions tunisiennes. Le peuple penserait ainsi que les heurts et violences dans le pays étaient dues à des attaques terroristes, et non au soulèvement des Tunisiens mécontents des forces de sécurité du régime. Le pays entrerait par la suite dans un processus de violence ; Ben Ali reviendrait alors, en héros, et rétablirait le calme.

 

Pendant son absence, ce devait être le Premier ministre, Mohammed Ghannouchi, qui assumerait ses pouvoirs.

 

Ben Ali et Leïla ont accepté ce plan, c’est pour cette raison que des sommes d’argent ont été retrouvées dans le palais ; elles avaient été laissées afin de payer les milices et de financer leurs attaques.

 

Ghannouchi s’est rendu au palais dans l’après-midi et fut forcé, plus que probablement sous la menace des armes, d’enregistrer un discours, qui fut diffusé le soir même.

 

Suite à cet enchaînement d’évènements, personne ne peut retracer avec certitude ce qu’il s’est réellement passé. Mais on peut chercher à saisir, en tentant de répondre à certaines questions : la première concerne le rôle de l’armée.

 

Certaines personnes affirment que le chef d'état-major de l'armée de terre tunisienne, le général Rachid Ammar, a participé à ces manigances ; et que le couvre-feu annoncé par l’armée, qui avait commencé à exactement 17 heures, avait en fait pour rôle de faciliter la fuite de Ben Ali. L’avion de Ben Ali a, en effet, décollé à 17 heures 5 minutes.

 

Autre question : pourquoi Ben Ali et Leïla n’ont-ils pas averti leurs familles de leur départ ? Je pense qu’il y avait un accord entre Ben Ali et l’armée, et que, l’une des clauses de cet accord régentait la fuite de Ben Ali, ainsi que l’arrestation de quelques membres des familles Trabelsi et Ben Ali. Ces arrestations avaient pour objectif de calmer le peuple, et de donner à l’armée une certaine légitimité populaire.

 

Le fait que certaines personnalités, tel Slim Chiboub, le gendre de Ben Ali, aient été arrêtées, et aient pu quitter le pays sans que personne ne comprenne comment, accrédite cette hypothèse.

 

 

 

A suivre…

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