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Les juifs de Libye pourront-ils un jour rentrer chez eux?

 

Les juifs de Libye pourront-ils un jour rentrer chez eux?

Il rêve de retourner en Libye et d'y construire une synagogue. Sa famille a été contrainte de partir. La chute du régime Kadhafi va-t-elle permettre le retour des juifs de Libye?

 

 

Je suis un juif de Libye. Bien que ma famille et moi ayons été forcés de fuir la Libye pour Rome après la guerre de 1967 entre Israël et ses voisins arabes, je me considère encore comme juif, libyen et italien—et fier d’être les trois. Je suis revenu quatre fois depuis 1967, mais chaque fois j’ai été obligé de repartir. Bien que beaucoup de temps ait passé, je sens encore la fraîcheur de l’air de Tripoli et sa lumière si particulière: chaude sans être aveuglante. Je veux encore sentir cette lumière—mais dans une Libye stable, dans un pays prônant la liberté, la justice et l’état de droit, qui protège la liberté de religion pour tous ses citoyens et honore son héritage juif.

La révolution en Libye représente une opportunité unique de réintégrer la communauté juive dans le tissu social de mon pays natal. Cependant, comme j’ai pu le constater en personne quand la foule a empêché mes tentatives de réhabiliter la synagogue de Tripoli en criant des slogans antisémites. Les attitudes haineuses que Mouammar al-Kadhafi était trop heureux d’encourager ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Maintenant que l’ère post-Kadhafi est arrivée, j’espère que les nouveaux dirigeants de Libye conviendront de la nécessité d’un changement et que des histoires comme la mienne l’aideront à se réaliser.

La communauté juive représentait 4% de la population

L’histoire des juifs de Libye remonte au IIIe siècle avant J.-C., passe par l’expulsion des juifs d’Espagne en 1492 pour se poursuivre jusqu’au XXe siècle. Ma communauté a vu Romains, Ottomans et Italiens venir et repartir. Pendant des centaines d’années, nous avons coexisté pacifiquement avec les musulmans libyens, malgré les tensions provoquées par les perturbations politiques. Assez récemment encore, en 1931, avec environ 24 500 personnes, la communauté juive de Libye représentait 4% de la population du pays (en comparaison, la communauté juive américaine, la plus grande de la Diaspora actuelle, ne représente que 2% de la population des États-Unis).

Mais les guerres du XXe siècle ont décimé notre communauté. Les problèmes commencèrent en 1938 quand une loi raciale anti-juive inspirée du nazisme déboucha sur une intensification des persécutions, et que des centaines de juifs libyens furent tués dans des émeutes. En 1949, de nombreux juifs furent forcés de fuir après de nouvelles émeutes libyennes en réaction à la création d’Israël. En 1969, à l’arrivée de Kadhafi au pouvoir, il ne restait qu’une centaine de juifs. À cette époque, Kadhafi confisqua les capitaux et tous les biens de tous les juifs libyens, y compris de ceux partis en 1967 et avant, et déclara que les juifs ne pourraient ni revenir, ni faire renouveler leurs passeports.

«Mon rêve de retour»

Ma famille s’est construit une nouvelle vie à Rome, mais je n’ai jamais oublié d’où je venais et n’ai jamais abandonné mon rêve de retour. En 2002, j’ai été le premier juif à obtenir l’autorisation de revenir pour rendre visite à ma tante, Rina Debach. Quand elle a enfin reçu l’autorisation de partir, en 2003, elle a rejoint notre famille à Rome où elle est morte 40 jours plus tard. Elle a été la dernière juive à quitter la Libye, et son départ a marqué la fin de plus de deux millénaires de présence juive ininterrompue dans le pays. S’il ne reste aucun juif en Lybie aujourd’hui, la population de la Diaspora d’origine, constituée de 38 000 membres, est aujourd’hui forte d’environ 200 000 personnes résidant pour la majorité en Israël et en Italie.

Depuis, j’ai fait de nombreux voyages en Lybie dans le cadre d’un projet de reconstruction et de réconciliation au nom de la communauté juive libyenne, en tant que représentant du World Organization of Libyan Jews (WOLJ). En 2007, mon soutien à la normalisation des relations entre la Lybie et les États-Unis m’a valu d’être réinvité par le gouvernement libyen. Après avoir travaillé bénévolement à l’hôpital psychiatrique de Benghazi, j’ai commencé à tenter de restaurer la synagogue Dar al-Bishi de Tripoli, qui date de la fin des années 1920 mais s’est beaucoup dégradée au fil des ans. Le régime de Kadhafi a fini par m’empêcher d’y travailler: j’ai été brusquement arrêté, interrogé et, sans aucune raison ou explication, dépouillé de tout ce que je possédais et déporté.

Les promesses creuses de Kadhafi

J’ai rencontré Kadhafi lors de son passage à Rome en juin 2009 lorsqu’il invita la communauté juive libyenne à lui rendre visite le jour de Shabbat dans une grande tente qu’il avait fait ériger dans un parc municipal. Le fait qu’il ait programmé le rendez-vous précisément ce jour-là démontrait que son objectif relevait principalement des relations publiques. Si la plupart des membres de la communauté ne purent y assister puisque c’était un jour de sabbat, je m’y rendis dans ma robe libyenne traditionnelle, une étoile de David autour du cou.

M’adressant à lui en italien, je le pressai d’ouvrir la synagogue Dar al-Bishi. S’il ne m’était pas permis d’espérer grand-chose, vu son indifférence et ses promesses creuses, je fut ravi de découvrir que cette rencontre m’avait en quelque sorte aidé à me débarrasser de mes craintes et à regagner une partie de la dignité que je ressentais avoir perdue en tant que réfugié: Kadhafi ne pouvait plus me nuire, et mes identités libyenne, juive et italienne me rendaient fort.

Lors de mon dernier voyage en Libyeau printemps 2011, j’ai rejoint les rangs des rebelles anti-Kadhafi en retournant travailler bénévolement à l’hôpital psychiatrique de Benghazi, où j’ai montré aux rebelles comment traiter le syndrome de stress post-traumatique (SSPT). J’étais dans les montagnes au nord de tripoli quelques mois plus tard, à travailler sur le SSPT avec des Berbères. À l’instar de la plupart des Libyens, leurs souffrances n’étaient pas uniquement le fruit du conflit actuel mais également de 42 années de catastrophes provoquées par la dictature. Ils avaient désespérément besoin de vaincre leurs peurs et de découvrir que l’espoir était de nouveau permis—l’espoir d’une vie meilleure dans la liberté.

Et après la chute de Mouammar Kadhafi?

Après la libération de tripoli, j’ai de nouveau essayé de déblayer la synagogue Dar al-Bishi. Alors que j’avais reçu l’autorisation du Conseil National de Transition (CNT) et du gouvernement local pour entreprendre ces travaux, une foule s’est rassemblée, hurlant «Il n’y a pas de place pour les juifs en Libye» et arborant des panneaux à la fois en arabe et en hébreu, pour s’assurer, je suppose, que j’avais bien reçu le message. Encore une fois, il me fallut partir. Mais cette fois je m’en allai dans la dignité, pas dans la peur: je partis au moment et de la manière que j’avais choisis. Je voulais signaler au CNT que je travaillerais avec lui pour restaurer le calme et qu’il fallait qu’il travaille avec moi. Et ce faisant, il me vint davantage de force.

Malgré toutes ces difficultés, je garde espoir. Je continuerai à faire tout mon possible pour que la présence juive en Libye ne soit pas oubliée et que les juifs, et toutes les minorités, puissent récupérer la place qui leur revient en Libye. Je sais que cela prendra du temps. Les nouveaux dirigeants de Libye sont confrontés à d’immenses défis, comme la construction des éléments de base de la vie civile et administrative, et le rétablissement d’un lien entre fossés ethniques et régionaux. Mais une partie de ces efforts doit intégrer la préservation et la protection des quelques sites patrimoniaux juifs qu’il reste. J’exhorte également le CNT et les autres organes similaires à reconnaître et à rencontrer le WOLJ en tant que représentant légitime de la communauté juive libyenne.

La communauté internationale peut-elle faire pression?

L’espoir a souvent besoin d’un coup de pouce. La communauté internationale doit elle aussi agir. Les États-Unis et leurs alliés de l’Otan ont joué un rôle décisif en aidant le peuple libyen à gagner sa liberté, et aujourd’hui ils peuvent aider à orienter le nouveau gouvernement vers un chemin de justice et de réconciliation. Ces pays doivent envoyer un message au CNT et aux autres dirigeants libyens et leur dire qu’ils peuvent prouver le sérieux de leur discours sur la démocratie et les droits humains en rompant avec le passé de la Libye et en accueillant les juifs et les autres minorités. C’est une proposition gagnant-gagnant pour tous les acteurs concernés par le développement et le succès de la Libye.

Les citoyens américains peuvent aussi apporter leur pierre à l’édifice en pressant l’administration de Barack Obama de respecter ses propres valeurs. La Maison Blanche ne doit pas seulement se concentrer sur le développement économique et financier, mais aussi sur les droits humains. Comme nous l’avons souvent vu, la manière dont les pays traitent leurs minorités est un bon présage de leur comportement envers leurs voisins et le reste du monde.

La Libye connaîtra plus facilement paix et stabilité si elle est pluraliste, ouverte et tolérante. La Libye doit devenir un pays libre, juste et démocratique, basé sur l’état de droit, dans lequel toutes les minorités du pays—y compris les juifs qui ont été contraints de fuir—sont accueillies de nouveau dans le giron de la famille libyenne. Nous pouvons faire une différence à ce point de jonction critique, avant que le ciment ne sèche, en apposant l’empreinte de la démocratie, des droits humains et du pluralisme religieux, pour que la Libye devienne un modèle de réconciliation et de tolérance.

David Gerbi

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