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Les portraits des révolutionnaires du Web

 

Les portraits des révolutionnaires du Web

Par Claire Guillot

 

Comment montrer en images la force de la "révolution Facebook" dans les pays arabes ? Comment traduire visuellement le monde virtuel où les cyberactivistes ont crié leurs désirs de changement ? Le photographe Johann Rousselot, qui voulait traiter du rôle d'Internet dans les révolutions arabes en 2011, s'est rapidement heurté "aux limites visuelles du sujet".

"En Tunisie, j'ai photographié les cafés Facebook, les jeunes avec leur téléphone portable, les ordinateurs partout dans la rue... J'en ai fait un webdocumentaire, ce qui m'a permis de faire parler les gens, d'expliquer les systèmes qu'ils utilisent pour préserver leur anonymat. Mais pour les photographies, on tourne vite en rond."

A Perpignan, le photographe de l'agence Signatures présente une série de portraits d'activistes pris en Egypte, en Syrie, au Maroc, en Tunisie, en Libye : une exposition originale, qui risque de surprendre plus d'un visiteur. Il faut dire que le photographe a fait des montages d'images, dans un festival de photojournalisme où Photoshop est presque un gros mot.

"Je ne suis pas un manipulateur d'images, et là je ne cache rien, il est bien indiqué que c'est un montage, précise-t-il. Je ne trafique pas la réalité, au contraire, j'ai rajouté des informations. Après, que ça soit classé dans le photojournalisme ou pas, ça m'est un peu égal. C'est un travail d'auteur".

Pour chaque pays où il est allé, Johann Rousselot a fait des portraits, puis il a collecté d'autres images, et il a mêlé les deux. Mais ce qui aurait pu n'être qu'un gagdet un peu gratuit donne finalement de l'épaisseur et de la substance à ces portraits. Le photographe a certes joué avec l'aspect esthétique des mots en arabe ou des symboles informatiques, mais il s'en est servi pour composer des images qui ont du sens. Le tout est vraiment réussi.

A chaque fois, les motifs retenus sont en rapport avec les événements sur place, et la forme qu'y a pris la révolte populaire. En Tunisie, Johann Rousselot a suivi les fils Twitter, retrouvé les pages Facebook des intéressés et superposé les messages sur l'écran ou des termes informatiques sur les visages. Une façon d'évoquer la libération de la parole en Tunisie. "L'avenue Bourguiba était une immense agora."

En Egypte, Johann Rousselot s'est intéressé au street art qui a fleuri autour de la place Tahrir et a transformé ses portraits en pochoirs. En Libye, il a pioché dans les slogans et les caricatures couvrant les murs de Benghazi et les a incrustés dans ses images. "J'ai fait le montage en rentrant à Paris, et je suis allé dans un petit café à côté de chez moi, où des Marocains, des Algériens m'ont aidé à traduire les mots - ils faisaient ça avec un sérieux extrême, il y avait une vraie solidarité".

Au Maroc, le photographe s'est inspiré des portraits du roi qui sont omniprésents pour remplacer son image par celles des dissidents. Dans l'ensemble, ce sont sans doute les portraits des cyberactivistes syriens qui sont les plus réussis. Le photographe a glissé dans l'image des extraits des vidéos qu'ils téléchargent sur YouTube pour dénoncer les crimes du régime de Bachar Al-Assad : des images de cadavres semblent flotter sur la scène. "Un peu comme des fantômes qui reviennent les hanter - ils sont forcément marqués par toutes ces images atroces qu'ils transmettent".

Bizarrement, les cyberactivistes n'ont pas beaucoup réagi à la publication des images qui en font des icônes à la sauce Internet. "Sauf en Egypte, où les pochoirs ont beaucoup plu. On m'en a commandé plusieurs pour d'autres activistes !" Il faut dire que cette génération née un webphone à la main voit surtout la photographie comme un message qu'on partage le plus vite possible sur les réseaux sociaux, pas comme une image soignée destinée à figurer dans une exposition.

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