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Maha Issaoui, blogueuse tunisienne

 

Maha Issaoui, blogueuse tunisienne

Par Isabelle Mandraud

 

ELLE N'AURAIT MANQUÉ LE RENDEZ-VOUS POUR RIEN AU MONDE. Le 17 décembre 2011, Maha Issaoui, 24 ans, était à Sidi Bouzid pour commémorer avec les siens l'an un de la révolution tunisienne. C'est d'ici, dans sa ville natale, au coeur d'une région agricole délaissée, que cette jeune blogueuse de la génération Ben Ali, née la même année, en 1987, que l'accession au pouvoir de l'ex-président Zine El-Abidine Ben Ali, a participé à l'insurrection qui a abouti en moins d'un mois à la chute de l'ancien régime.

Trois jours après que Mohamed Bouazizi se fut immolé par le feu, en signe de désespoir après la confiscation de sa charrette de fruits et légumes par la police municipale, Maha Issaoui met en ligne des photos de révolte et tient informé des événements le monde stupéfait sur son blog Sidi Bouzid sur Facebook. Le "printemps arabe" vient de naître.

"Le plus important, c'étaient les manifs", assure Maha Issaoui. Mais c'est sa vidéo, où elle parodie avec ses amis Leila Trabelsi, l'épouse de l'ancien chef de l'Etat, sur l'hymne national tunisien, qui marque le plus les esprits. Ce qui se dit tout bas en Tunisie sur le pillage du pays par la famille régnante se clame désormais haut et fort. Le couvercle de la peur a sauté sous la pression de jeunes aussi anonymes que déterminés. Le 14 janvier, la jeune femme est à Tunis, sur l'avenue Habib-Bourguiba, pour la dernière manifestation quand elle apprend la fuite de l'ancien dictateur. "J'étais contente et, en même temps, j'ai pensé qu'il n'avait même pas eu la dignité de dire "Je me retire, je prends mes responsabilités". J'étais dégoûtée", confie-t-elle, sans masquer alors ses appréhensions. "J'ai eu peur, je me suis dit : et puis après ? Où va la Tunisie ?"

La Tunisie, aujourd'hui, a tourné la page. Et Maha Issaoui a rejoint en septembre 2011 Clermont-Ferrand pour suivre les études en biologie qu'elle avait dû interrompre. Etudiante logée dans un foyer sur le campus d'El Manar, à Tunis, avant la révolution, son engagement au sein de l'Union générale des étudiants tunisiens (UGET) lui a coûté cher. "C'était le seul endroit où on pouvait s'exprimer, casser le mur du silence et de l'injustice, raconte-t-elle. Mais j'ai vite eu des problèmes avec le doyen parce que je parlais en public des bourses affectées aux fils de familles les plus riches. A cause de ça, j'ai été exclue au bout d'un an. En 2007 on m'a forcée à me réorienter dans une école de radiologie éloignée du campus et surtout dépourvue de syndicat." Issue d'un milieu modeste, fille d'un chauffeur routier et d'une mère au foyer, aînée d'une fratrie de trois enfants, Maha Issaoui n'a guère le choix. "C'était ça ou la rue et, pour ma famille, c'était important, mes études."

 

LORSQUE LA RÉVOLTE ÉCLATE, elle est employée comme technicienne dans une société privée de radiologie. "Comme les médias tunisiens ne disaient rien de ce qui arrivait réellement, tout le monde me demandait : "Qu'est-ce qui se passe chez toi ?"" En plus de son blog, Maha Issaoui prend alors l'initiative de contacter d'autres internautes et se lie ainsi d'amitié avec Slim Amamou, célèbre blogueur qui deviendra le secrétaire d'Etat symbole d'une génération dès le premier gouvernement de transition. Elle se déplace à la rencontre de jeunes militants dans des régions qu'elle méconnaissait alors, de Kasserine au Kef, et fonde avec ses amis l'association Karama (dignité, en arabe) pour aider au financement de microprojets. "On le cherche toujours, le financement !", avoue-t-elle en riant.

En avril, elle fait partie de la poignée de jeunes conviés par l'ambassadeur de France, Boris Boillon, à venir discuter avec le ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, auquel elle prédit la victoire du parti islamiste Ennahda aux élections de l'Assemblée constituante, organisées le 23 octobre. "Les autres partis ne parlaient que d'Ennahda, faisant ainsi sa publicité", justifie-t-elle. Trois de ces partis, dont elle préfère taire le nom, l'ont sollicitée pour figurer sur leurs listes. Mais, lucide, Maha Issaoui, qui a su rester discrète, a préféré décliner : "Je les intéressais parce que j'étais une blogueuse du mouvement."C'est donc à Clermont-Ferrand qu'elle vote pour le Congrès pour la République (CPR), le parti de Moncef Marzouki, "le plus honnête" à ses yeux. Mais depuis, l'ancien opposant, devenu président de la République, a fait alliance avec Ennahda. "Cette coopération me gêne", regrette-t-elle.

POUR MAHA ISSAOUI, LA PERCÉE DES ISLAMISTESdans tout le monde arabe où ont lieu des scrutins post-révoltes n'est pas franchement une surprise, ni même une déception."Les peuples ont choisi", mais ils représentent tout de même, pour cette petite brune pétillante non voilée, une source d'inquiétude bien réelle. "Depuis un mois, trois de mes amies se sont mises à porter le foulard, constate-t-elle avec dépit. Même sur Facebook, les pages de musique dont j'étais fan ont changé à 180 degrés. Maintenant, on n'y parle plus que religion. C'est un mouvement qui se propage. Est-ce une mode qui va disparaître dans trois mois ou bien va-t-on devenir comme en Iran ? Je ne sais pas répondre mais je connais trop bien les Tunisiens, ils suivent le mouvement dominant."

Maha Issaoui, elle, n'a qu'un rêve : achever ses études et retourner à Sidi Bouzid ouvrir un centre d'analyses et de radiologie. "Là-bas, il n'y a rien, pour passer une IRM, il faut faire 300 kilomètres." En attendant, elle reste connectée toutes les nuits avec la Tunisie car, dit-elle, "le plus important, c'est le blog".

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