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Paul Sebag, la mémoire de Tunis - Par Claude Sitbon

 

Paul Sebag, la mémoire de Tunis

 

Par Claude Sitbon

 

Paul sebag n'est plus depuis le 5 septembre dernier. C'est une perte pour la Tunisie, dont il fut l'un des brillants historiens, et pour la communauté juive, dont il fut l'un des chantres. Né à Tunis le 26 septembre 1919, Paul était un homme au sourire malicieux, dont l'étendue des connaissances n'avait d'égale que la splendeur de sa bibliothèque. Cette bibliothèque était un objet de fierté: il ne pouvait l'évoquer sans penser à son père, l'éminent avocat, qui lui avait appris à lire les classiques grecs et latins, les auteurs français et étrangers, sans parler de la philosophie et de l'histoire. Malgré, ou à cause, de ses origines « bourgeoises », il se passionna, comme bien des jeunes de son époque, pour les idées « révolutionnaires ». On se souvient de ce climat de l'entre deux- 
guerres qui fit la force du Parti communiste, auquel l'intelligentsia européenne s'était largement ralliée... 

Après des études de droit et de philosophie, à Paris, interrompues par la guerre et les lois racistes, Paul Sebag devient militant communiste et prend une part importante à l'action clandestine du Parti communiste tunisien (PCT) contre le régime de Vichy. Arrêté, 
il est condamné par le tribunal de Bizerte aux travaux forcés à perpétuité, mais ne fera que dix mois de prison. Libéré au lendemain du débarquement des Alliés, le 8 novembre 1942, il reprend son activité politique au sein du PCT, dans Tunis occupé par les Allemands. Après la libération, le 7 mai 1943, Paul devient journaliste et assure la rédaction du journal du parti. Mais le journalisme, comme l'on sait, ne nourrit pas son homme. Il achève donc ses études et devient, de 1947 à 1957, professeur de lettres au lycée Carnot de Tunis. Il marquera une génération entière d'étudiants, qui gardent de lui un souvenir lumineux. 
En 1951, il publie son premier livre La Tunisie – Essai de monographie, une analyse de l'économie et de la société tunisiennes. Un livre « engagé » qui rencontre un grand succès. Il songe alors à préparer un doctorat et dépose un sujet de thèse. En réalité, il commence par publier plusieurs études de sociologie urbaine qui l'amènent à enseigner à l'Institut des hautes études de Tunis, puis à la faculté des lettres de cette même ville. S'étant enfin attelé à la rédaction de sa thèse, il y consacre de très nombreuses années. L'ayant enfin achevée, il ne la publie pas. C'est qu'il est atteint de cette maladie qui 
frappe certains intellectuels: le perfectionnisme. De 1957 à 1977, il sert le gouvernement tunisien, mais, à la rentrée d'octobre 1977, son contrat n'est pas renouvelé. Il est alors nommé à la faculté de Rouen, où il enseignera pendant deux ans, puis fait valoir ses droits à la retraite pour se remettre à sa passion: l'écriture. 
Cet homme qui fut l'un des hérauts de la lutte pour le communisme ne rougit pas d'avoir partagé cette passion, même si elle fut un échec. Comme fut un échec, hélas ! cette volonté de lutter pour la nation tunisienne, qui, comme toutes les jeunes nations, eut du mal à conserver en son sein les non-musulmans. Après sa période d'enseignant et de militant, il se consacre à son « devoir de mémoire »: transmettre cette histoire qu'il aime tant, celle de la Tunisie et de ses juifs. En 1989, il publie Tunis au XVIIe siècle. Deux ans plus tard paraît La Régence de Tunis à la fin du XVIIe siècle, puis, en 1998, son livre majeur, celui de toute une vie : Tunis, histoire d'une ville. Enfin, il faut rappeler qu'il avait, en 1959, publié avec Robert Attal une étude sur la Hara de Tunis. Aujourd'hui introuvable, cet ouvrage mériterait sans nul doute d'être réédité. 
Et puis, remis de ses désillusions, il s'est attelé à une partie de son histoire, dont il s'était jusque-là peu occupé: la « judaïcité tunisienne », selon l'expression de son 
camarade Albert Memmi. En 1989, il participe à l'élaboration de l'excellent ouvrage collectif La Tunisie – images et textes. Deux ans plus tard, il publie Histoire des juifs de Tunisie, des origines à nos jours, expliquant comment et pourquoi cette communauté de plus de cent mille âmes qui avait la coquetterie de faire remonter son histoire à la reine Didon s'est arrachée à sa terre pour s'établir en Israël ou en France. Son dernier ouvrage paru en 2002 sera Les Noms des Juifs de Tunisie, d'une exceptionnelle richesse d'information. 

En 1994, à Paris, mon ami Abdelbaki Hermassi, qui était à l'époque ambassadeur de Tunisie à l'Unesco (il est, depuis peu, le nouveau ministre tunisien des Affaires étrangères), décora Paul Sebag, au nom du président Ben Ali, de l'ordre du Mérite culturel. Lors de chacune de nos rencontres, Hermassi ne manque jamais de me rappeler « tout ce qui nous unit ». Je souhaite qu'il poursuive ce dialogue entre interlocuteurs qui ont encore beaucoup à se dire. Ce serait le meilleur moyen de rendre justice à l'action de Paul Sebag.

Jeuneafrique.com 

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