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Israël grande gagnante des négociations avec l’Iran ?

L’Aïd el-Adha du Hezbollah face à Métula Photo Sébastien Machiels © Metula News Agency

Israël grande gagnante des négociations avec l’Iran ? (info # 011910/13) [Analyse]

Par Stéphane Juffa © Metula News Agency

 

D’un point de vue strictement stratégique, Israël est probablement le pays ayant le plus intérêt à ce que les négociations entre l’Iran et les 5+1 aboutissent à un accord satisfaisant. C’est la raison pour laquelle on a suivi ici avec autant de curiosité les débats qui se sont déroulés lundi et mardi à l’Hôtel Intercontinental de Genève.

 

Certes, les participants se sont accordés pour ne pas rendre public le contenu de leurs entretiens, mais cela n’a pas empêché les Américains de renseigner leurs alliés hébreux dans le détail à l’issue de chaque journée de discussions.

 

Netanyahu s’est toutefois engagé à ne pas divulguer les informations transmises par les Yankees ; ces derniers arguant que l’opposition domestique à Rohani pourrait tenter de mettre les bâtons dans les roues des pourparlers s’ils en connaissaient la teneur exacte. Des membres de la délégation perse à Genève ont susurré à l’oreille des chevaux qu’il serait préférable de présenter à leurs compatriotes un accord déjà signé ou proche de l’être. 

 

Si l’on veut saisir les enjeux pour Israël du dossier nucléaire iranien et, par conséquence directe, ceux des pourparlers en cours, il importe de dresser la carte régionale des rapports de forces. Or on est amené à constater que, si la menace d’une bombe atomique perse s’estompait, la position d’Israël n’aurait jamais été aussi favorable.

 

En effet, ses adversaires traditionnels, ceux qui ont fait peser un doute sur la survivance de l’Etat hébreu depuis sa création, ceux qui disposaient d’armées de plusieurs millions de soldats et qui ont encore les plus grands réservoirs humains – j’évoque évidemment l’Egypte et la Syrie –, ne sont plus à même d’influer sur la pérennité d’Israël.

 

En Egypte, c’est d’une part parce que la société est profondément divisée entre séculiers et islamistes, que l’économie est en ruines, que l’Armée est occupée, et pour longtemps, à gérer les suites du coup d’Etat, et enfin, qu’elle ne reçoit plus les mises à jour complètes de son équipement de la part des Etats-Unis, et que celui-ci commence déjà à tomber en désuétude.

 

De l’autre, parce que les officiers putschistes, Al Sissi et ses camarades, voient en Jérusalem leur allié le plus fiable, et ce, dans tous les domaines, à commencer par le combat contre le terrorisme islamique. Et ils ne s’y trompent pas, puisque le gouvernement de Netanyahu a fait connaître "sa vive inquiétude" suite à la décision de Washington de réduire l’aide qu’il apporte à l’armée du pays du delta du Nil.

 

On sait aussi que des émissaires israéliens extraordinaires se sont rendus en Amérique afin d’ "expliquer" aux partenaires US à tous les échelons que c’était une erreur de conception que de ne pas soutenir massivement le gouvernement militaire. Ces ambassadeurs ont critiqué la "neutralité" officielle affichée par l’administration Obama entre Sissi et Morsi, inférant que la nécessité première dans la région ne consistait pas à y instaurer la démocratie, mais à faire barrière à la déferlante islamiste. Ils n’ont pas hésité à affirmer que de l’intellection de cette équation dépendait la stabilité de la région toute entière et pour de nombreuses années.

 

A Sion, on a bien raison de se mouiller pour les nouveaux pharaons ; d’abord parce qu’ils nous ont demandé de manière explicite d’intercéder en leur faveur sur les rives du Potomac. Ensuite, parce que, comme Sami El Soudi l’a illustré dans son dernier article "Al Sissi a neutralisé le Hamas", non seulement les militaires du Caire coopèrent le plus largement possible avec Tsahal dans le Sinaï – y compris sur la base d’opérations conjointes, sur terre et dans les airs -, afin de combattre le Hamas et al Qaeda, mais que, de plus, ils ont pratiquement éliminé la menace militaire en provenance de la Bande de Gaza.

 

Ce faisant, ils ont accompli une tâche colossale, que les Israéliens n’étaient pas parvenus à réaliser en dépit de plusieurs guerres et après avoir mobilisé pour y parvenir des moyens tout à fait conséquents.

 

Depuis le début juillet, dès après avoir détrôné Mohamed Morsi, l’Armée égyptienne a acté face au Hamas dans deux directions : 1) en fermant hermétiquement la frontière entre la Bande et le Sinaï égyptien, et 2), en réussissant à détruire les centaines de tunnels de contrebande, qui approvisionnaient Ismaïl Hanya en armes, munitions, devises, et conseillers militaires.

 

Dans la nouvelle situation qui prévaut depuis l’été, le Hamas n’est plus en mesure de se lancer dans une nouvelle campagne de bombardements à la roquette des villes israéliennes. De plus, grâce au raidissement venu d’outre-canal, toutes les denrées qui parviennent à Gaza passent maintenant quasi-exclusivement par le check-post de Kerem Shalom dans le Néguev, ce qui participe d’une avancée sécuritaire considérable.

 

Mais rien n’est plus édifiant que les imputations simples, alors énonçons le clairement : il n’existe plus de problème tactique pour Israël sur son front sud !

 

Et cette transformation est liée au Contre-Printemps du Caire et au fait que le Hamas est la succursale palestinienne des Frères Musulmans, que ce sont eux qui l’ont créée, qu’elle a soutenu Morsi, y compris sur le plan sécuritaire, aussi bien dans le Sinaï que dans les métropoles égyptiennes, et qu’elle participe encore aux attentats et aux coups de main dirigés contre l’Armée.

 

Le rapprochement entre Sissi et Netanyahu, pour discret qu’il soit, a pris une envergure que bien peu de gens, y compris parmi les observateurs professionnels, ne sont capables d’envisager. Et dans le cas précis, on peut réellement parler d’une situation de win-win (où les deux partis sont gagnants). Témoin cette petite phrase du 1er ministre israélien, il y a quelques jours, passée pratiquement inaperçue ou prise à tort pour du remplissage : "les Arabes ont enfin compris qu’Israël n’était pas leur ennemie".

 

Cette remarque s’adresse, outre l’Egypte, à l’Arabie Saoudite et aux Etats du Golfe. Riyad soutient, y compris financièrement, Al Sissi, comme il avait soutenu Moubarak contre l’avis de Barack Obama. De plus, Abdallah 1er (le roi d’Arabie), de même que les émirs, partage pleinement les préoccupations des Hébreux quant au programme nucléaire militaire de la "République" Islamique, et cela fait beaucoup de points de concordance essentiels. On peut même leur ajouter la défiance ressentie dans toute la région à l’encontre du président étasunien, de ses capacités d’analyse, de sa cohérence, de ses objectifs, ainsi que des rapports étonnamment proches qu’il entretient avec les Frères Musulmans.

 

Il n’est pas non plus exagéré de penser que si Netanyahu plaide le dossier égyptien à Washington, Sissi plaide l’amélioration des relations entre Jérusalem et Riyad. Et ces efforts semblent porter leurs fruits, puisque l’on note une diminution significative des initiatives anti-israéliennes au sein du monde et des institutions arabes, y compris sur la sacrosainte question palestinienne.

 

L’autre ennemi traditionnel d’Israël, la Syrie alaouite, a elle aussi cessé de représenter un danger pour sa survie. Autrefois capable d’aligner jusqu’à trois millions d’hommes derrière le plateau du Golan, la dictature assadienne n’est plus à même de contenir la rébellion en ne comptant que sur ses propres forces. Sans l’apport des Gardiens de la Révolution iraniens et des miliciens libanais du Hezbollah, le régime damascène ne pourrait pas tenir le front face à l’opposition armée.

 

Le pays, ses infrastructures, sa population, sont dévastés, au point que, cette semaine, les autorités religieuses ont autorisé les Syriens à consommer les chats et les chiens pour se nourrir. Entre cette situation chaotique et l’aptitude à exercer une pression militaire sur Israël, il y a des années-lumière, quel que soit le camp qui sortirait vainqueur de la confrontation et quelles que soient ses intentions pour l’avenir.

 

Ce que l’on sait, est que, par le passé, ce qui générait le plus d’inquiétudes auprès des responsables de l’establishment israélien de la défense était constitué non par les forces régulières des Al Assad, mais par leur stock d’armes chimiques et bactériologiques. Or, d’entente entre les Russes et les Américains, et avec la bénédiction du Conseil de Sécurité, leur destruction systématique a débuté ; avec leur dislocation, c’est un danger supplémentaire majeur dirigé contre l’Etat hébreu qui va probablement disparaître.

 

Et dans ce système de vases communicants, cela tient d’une lapalissade que d’affirmer que les miliciens chiites qui combattent en Syrie ne se trouvent pas au Liban et qu’ils ne pointent leurs armes ni contre nous, ni contre les autres Libanais. On estime à Metula qu’un bon tiers des recrues de Nasrallah fait le coup de feu dans la Guerre Civile Syrienne, et qu’elles sont ponctionnées sur les meilleures unités du Hezb.

 

La milice chiite se voit également privée de son artère d’approvisionnement habituelle passant par l’aéroport international de Damas ou par le port de Lattaquié. Dans ces conditions, avec la disparition du grand frère protecteur syrien – les rôles sont désormais inversés, c’est le Hezbollah qui doit défendre le régime syrien – la capacité de nuisance de la milice se trouve grandement réduite, et ce serait pure folie de sa part que de déclencher une agression contre la Galilée.

 

A la Ména, nous avons voulu nous rendre compte de l’air du temps de visu ; alors nous avons littéralement rampé jusqu’à 30 mètres de l’endroit où le Hezbollah célébrait mercredi la fin de la fête d’Aïd el-Adha (la fête du sacrifice) ; nous avons constaté que, contrairement aux années précédentes, on ne distinguait pas de personnels en armes, que les interventions étaient moins politisées et plus festives qu’à l’accoutumée – chanteurs venus de Beyrouth, courses de voitures -, et que les discours mentionnaient à peine Israël, même si la manifestation se déroulait intentionnellement à quelques coudées de la frontière internationale.            

 

On peut observer que les nouveaux rapports de forces ne sont pas passagers mais, au contraire, de nature à prévaloir longtemps. Et cette constatation nous en indique une autre : l’Etat hébreu se situe à deux doigts du rêve l’ayant guidé depuis sa fondation, celui de ne plus pouvoir être militairement remis en cause par ses voisins, de ne plus se situer en danger permanent d’anéantissement et d’une nouvelle Shoah.

 

Un rêve qui accentuerait encore le boum économique et scientifique que connaît Israël actuellement, consolidée encore par la découverte de gaz naturel et de pétrole dans sa zone d’influence économique. L’Etat hébreu a évité la crise mondiale et est en position de décoller vers des sommets de réalisations encore jamais envisagés.

 

Mais pour y parvenir, il y a encore une menace majeure à éliminer, celle de la bombe atomique iranienne. Y parvenir sans avoir à recourir à une attaque massive contre des objectifs localisés à plus de mille kilomètres de nos frontières, grâce à des négociations, sans avoir à risquer de contre-attaque de missiles balistiques, serait un cadeau de la providence. C’est pour cela qu’à l’issue de la réunion de cette semaine en Suisse, la réponse de Jérusalem est : "L’Iran sera jugé sur ses actes et non sur la base de ses présentations PowerPoint".

 

Certains observateurs ont méjugé la réaction de Jérusalem ; il ne s’agit nullement d’une fin de non-recevoir mais de l’expression d’une attente d’actes péremptoires indiquant la volonté authentique de Téhéran de démanteler son programme nucléaire militaire. Cette attente est doublée d’une prière adressée aux 5+1 qui représentent aussi de facto Israël dans les négociations : n’allégez pas les sanctions avant d’avoir observé des éléments démontrant objectivement que les ayatollahs ont abandonné leur projet, car ce sont les sanctions et les menaces d’une frappe israélienne qui les ont obligés à s’assoir à la table de négociations !

 

Le succès des tractations reposera sur deux points : premièrement, l’arrêt des activités menant à la bombe atomique, et, particulièrement, la cessation de l’enrichissement de l’uranium par les Iraniens à 20 pour cent. Deuxièmement, la destruction des installations permettant de reprendre le programme nucléaire à n’importe quel moment choisi par le régime théocratique. 

 

Sur le second point les discussions vont être serrées, car on imagine avec difficulté la "République" Islamique acceptant de détruire ses centrifugeuses ou de se séparer du minerai qu’elle a déjà enrichi. En lieu et place, elle propose d’ouvrir largement ses installations aux inspecteurs de l’AIEA, y compris lors de visites surprises.

 

A Jérusalem, on se demande ce qui se passerait si, soudain, invoquant un prétexte quelconque, alors que le reste des relations entre l’Iran et le monde serait redevenu florissant, Téhéran expulsait les inspecteurs et se voyait soupçonné d’avoir remis ses centrifugeuses en rotation ?

 

On doute d’une réaction adéquate et suffisamment rigoureuse des 5+1 dans cette hypothèse, et particulièrement de Washington, plus spécifiquement encore, sous la présidence d’Obama.

 

On en doute, certes, mais les experts israéliens, dont Jean Tsadik, expliquent que la situation envisagée – de l’abandon par l’Iran du projet nucléaire sur la base d’un traité, avec rupture de ses engagements signés en cas de reprise de son programme de bombe atomique, avec, à la clé, réinstauration des sanctions économiques et légitimation d’une opération militaire – est préférable à celle prévalant actuellement, qui mène invariablement à la Bombe et nous obligerait, à courte échéance, à entreprendre une guerre périlleuse. Probablement la plus délicate de notre histoire.

 

Cette simple réflexion indique que, si Jérusalem fera tout ce qui est en son pouvoir pour pousser les membres du Conseil de Sécurité plus l’Allemagne à obtenir les meilleures garanties possibles sur les deux aspects qui l’inquiètent lors d’un possible accord avec Khamenei, Israël acceptera tout de même de s’y ranger et d’abandonner son plan d’intervention militaire.

 

A moins, bien sûr, que les 5+1 n’accordent à leurs interlocuteurs perses des concessions extravagantes. Mais les négociateurs des deux camps savent ce qui est inacceptable pour Israël et ils n’ont guère envie de ratifier un arrangement de nature à déclencher une opération de Tsahal. Ce qu’ils recherchent est un accord garantissant la paix et non conduisant à la guerre.

 

Ce que les Iraniens espèrent, et leur ministre des Affaires Etrangères, Javad Zarif, leur négociateur en chef à Genève en tête, est de parvenir à un accord sous six mois, avec levée des premières sanctions dans trois. Car la junte religieuse au pouvoir à Téhéran doit commencer au plus vite sa reconstruction économique pour sortir le pays du chaos dans lequel elle l’a mené.

 

Mais Khamenei veut plus que cela en échange du gel de son programme atomique ; il exige la reconnaissance de son régime issu de la révolution khomeyniste, et son intégration tel quel dans l’ordre mondial. Autrement dit, s’il renonce à imposer cette reconnaissance en devenant une puissance nucléaire, il exige que la place que l’Iran khomeyniste aurait obtenue en possédant sa Bombe lui soit tout de même attribuée par l’abandon volontaire d’icelle.

 

Et ce qui est plus intéressant encore, est que cette perspective semble allécher l’Europe et les Etats-Unis, tous deux en phase d’éloignement du monde arabe. Cet empressement de Bruxelles et Washington aide à comprendre les craintes de Riyad.

 

Une dernière réflexion encore. Elle concerne ces photos sur lesquelles on voit Catherine Ashton proprement hilare en compagnie de Zarif. Elles me choquent. Suis-je en train de sortir du prisme stratégique pour me préoccuper de morale ? On doit considérer cependant que la stratégie n’est pas une fin en soi, qu’elle est un moyen servant seulement à protéger des intérêts et des valeurs.

 

Barack Obama a assuré les mollahs, le mois dernier à l’ONU, qu’il n’entendait pas renverser le régime iranien. De quel droit s’est-il inspiré pour formuler cette assurance ? Au nom de qui s’exprimait-il, pour condamner ainsi à leur sort 78 millions d’Iraniens qui voient en lui l’unique espoir de sortir de leur malheur ? Peut-on, contre l’abandon de leur menace de réaliser une bombe atomique, laisser des dictateurs moyenâgeux claquemurer toutes les femmes derrière des prisons ambulantes ? Les lapider à leur guise ? Pendre aux flèches des grues ceux qu’ils soupçonnent d’homosexualité ? Peut-on laisser ces négateurs du génocide nazi continuer à couper impunément des mains d’enfants ? Maintenir en détention des milliers d’innocents privés de procès équitables ?

 

Il existe mille raisons humanitaires de plus de jeter au bas de leur trône ces tyrans sadiques que d’intervenir au Mali, en Libye ou en Syrie. Ce qui retient le bras de l’Occident, c’est la puissance de ce pays et la lâcheté. L’Occident abat uniquement les dictateurs qui ne peuvent pas se défendre. Quant à Israël, assurez-la que Khamenei ne disposera pas de la Bombe et elle n’en demandera pas plus. Elle n’a pas vocation à changer le monde, elle qui se situe à l’orée de la période la plus faste depuis sa renaissance.

 

Je sais bien que les milliers d’Iraniens assassinés par le régime que sert Zarif sont des roturiers, des gens du commun, Baronne Ashton. Je suis conscient que vous avez une tâche à remplir, Votre seigneurie, et qu’elle s’inscrit dans l’intérêt de la nation à laquelle j’appartiens, des Européens et des Américains, mais le respect du peuple perse que nous sommes en train de sacrifier sur l’autel desdits intérêts, et le souvenir des valeurs humanistes, qui seules justifient tout le reste, vous invitent à rester sur votre réserve et à ne pas rire avec n’importe qui !

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