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Masters des dîners de cons ce week-end à Genève

Laurent Fabius avec le ministre iranien des AE Javad Zarif On a déjà vu des poignées de mains plus chaleureuses…

Masters des dîners de cons ce week-end à Genève (info # 011211/13) [Analyse]

Par Stéphane Juffa © Metula News Agency

 

Il existe deux conditions incontournables pour parvenir à un accord avec l’Iran sur son programme nucléaire. La première est qu’il y soit mis un terme. La seconde, que le "breakout time", soit le temps nécessaire à Téhéran pour fabriquer une bombe s’il décidait de le redémarrer en contradiction avec les provisions d’un hypothétique accord, soit considérablement rallongé.

 

En effet, à en croire le sérieux Institut Américain pour la Science et la Sécurité Internationale (ISIS), les Perses ne seraient qu’à un peu plus d’un mois de la capacité de confectionner une bombe atomique.

 

Certes, dans l’analyse de l’ISIS, les deux conditions se fondent actuellement en une seule, puisque la "République" islamique ne dispose pas encore de cette aptitude ; c’est-à-dire que, si rien n’est fait, dans trente-cinq jours environ les ayatollahs pourraient fabriquer leur bombe. Mais à supposer qu’ils interrompent le processus visant à sa réalisation, cela ne suffirait pas à apaiser la communauté internationale et à lui permettre de lever les sanctions économiques qu’elle impose à l’Iran.

 

Un mois, c’est bien trop court pour permettre à l’Occident et à Israël de réagir - en incluant l’option militaire -, au cas où Khamenei déciderait de contrevenir au traité qui se discute ces jours-ci à Genève. Ce, d’autant plus que, dans une telle éventualité, il ferait tout ce qui est en son pouvoir pour surprendre ses adversaires, et garder le secret sur le redémarrage de son projet le plus longtemps possible.

 

Il faut donc, et impérativement, faire reculer l’Iran de son plein gré dans le cadre des pourparlers actuels, à un stade considérablement antérieur à celui qu’a atteint son programme nucléaire militaire.

 

Si tout le monde est d’accord, cela ne pose pas de problème technique insurmontable ; en plus de l’inspection permanente des sites perses impliqués dans le projet par les inspecteurs de l’AIEA (l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique) et de l’installation de moyens de surveillance automatique, il faudrait s’assurer que les centrifugeuses ne soient plus en état de tourner et que l’uranium déjà enrichi soit exporté vers un pays neutre, ou transformé en carburant inoffensif pour centrales nucléaires, ou encore, que son degré d’enrichissement soit réduit.

 

Si près de l’échéance fatidique à laquelle Téhéran deviendrait une puissance nucléaire, il semble difficile d’envisager une étape intermédiaire dans les tractations avec lui. C’est pourtant l’idée de base des Américains, qui ont suggéré que les Iraniens suspendent l’enrichissement du minerai au-dessus de 20 pour cent et qu’ils convertissent le stock qu’ils ont déjà amassé à ce niveau en carburant pour réacteurs. Washington a également demandé qu’ils ne mettent pas en service les nouvelles centrifugeuses en leur possession à même d’enrichir l’uranium cinq fois plus rapidement qu’actuellement, et qu’ils réduisent le nombre de ces machines utilisée pour obtenir un minerai à 3.5%. Mais pas de cesser complètement l’enrichissement.

 

Pour l’administration US, ces mesures, proposées la semaine dernière à Genève devraient permettre de négocier "sereinement" un traité définitif durant les six mois à venir. Les dirigeants étasuniens avaient d’ailleurs présenté leur projet à leurs homologues israéliens à plusieurs occasions, comme lors d’un dialogue stratégique, organisé à Washington il y a un peu plus de deux semaines de cela, et pendant la visite surprise du Secrétaire d’Etat américain, la semaine dernière à Jérusalem, alors que les contacts entre les 5+1 et le ministre des AE de Khamenei, Javad Zarif, avaient déjà repris à Genève.

 

A Jérusalem on détestait cette idée, parce qu’elle conserve intact l’équipement nécessaire à produire la Bombe à n’importe quel moment choisi par le guide suprême et sa junte de théocrates. Mais si les réserves iraniennes de minerai déjà enrichi à 20% étaient effectivement dégradées, cela allongerait tout de même un peu le breakout time.

 

Netanyahu se contentait donc de mises en garde, d’autant plus que Barack Obama lui avait garanti, qu’en contrepartie, il n’entendait lever aucune sanction principale, mais se borner à libérer 3 à 4 milliards de dollars iraniens bloqués dans des banques occidentales. Encore, cette libération des fonds se serait faite graduellement : dans un premier temps, ils auraient été placés sur un compte spécial, puis rendus accessibles aux Perses par étapes.

 

La stupeur fut grande dans la capitale des Hébreux, lorsque, dans la journée de mercredi, contrairement à ce qui venait de leur être rapporté par le coordinateur de la délégation US à Genève, le cabinet israélien fut alerté par des amis britanniques et français participant aux discussions de ce que les Yankees leur mentaient. De ce qu’ils s’apprêtaient à proposer à Zarif, sans aucune concession supplémentaire de sa part, la levée de l’interdiction de se livrer au commerce d’or, de dérivés pétrochimiques, de pièces de rechange pour l’industrie et pour l’aviation.

 

Pour résumer la réaction des Israéliens dans des termes polis, on citera celle du ministre des Affaires Stratégiques et du Renseignement, Youval Steinitz, qui affirma que les "critères qui leur avaient été présentés (…) semblaient substantiellement différents de ceux qui étaient actuellement discutés [à Genève]".

 

Quant au 1er ministre Netanyahu, il était nettement moins réservé et laissa paraître sa colère en raccompagnant à l’aéroport John Kerry qui s’envolait pour Genève, vendredi après-midi. Dans l’entourage du Premier ministre, on expliquait que les grandes sociétés multinationales allaient se ruer à Téhéran, une fois ces sanctions annulées, et redonner rapidement bonne mine à l’économie iranienne. Ce, alors qu’en ce qui concerne le programme nucléaire, les Perses reçoivent le OK de la Maison Blanche pour continuer à enrichir de l’uranium et pour édifier le réacteur d’Arak. Une installation qui ne peut engendrer que de l’ "eau lourde", qui n’est utilisable que pour la fabrication d’une Bombe.

 

Binyamin Netanyahu a qualifié les termes du contrat en gestation le week-end dernier d’ "affaire abominable", ajoutant, entre autres commentaires, que "les Iraniens devraient être très satisfaits à Genève, car ils y reçoivent tout sans rien concéder. Ils ne paient rien", a conclu le 1er ministre, "puisqu’ils ne réduisent en aucune manière leur capacité d’enrichissement nucléaire".

 

Peu après la rencontre houleuse Kerry-Netanyahu à l’aéroport Ben Gourion, Barack Obama a téléphoné au dernier cité pour tenter de l’apaiser, prétextant, tant en public qu’en privé, que sa réaction était prématurée et qu’aucun accord n’avait encore été ficelé. A Jérusalem, on pense cependant que sans le coup de fil des Anglais et des Français, il le serait probablement à l’heure actuelle. De plus, la confiance entre les alliés de Washington et de Jérusalem en a pris un sérieux coup, qu’il sera difficile de réparer.

 

Pourtant, tous les signes avant-coureurs de l’ouverture washingtonienne aux ayatollahs existaient déjà, et le désir d’Obama et de Kerry de parapher presque n’importe quel traité avec Hassan Rohani flottait dans l’air depuis plusieurs semaines. Témoin les déclarations récentes du négociateur US Robert Einhorn, affirmant que son pays serait disposé à signer un accord intérimaire et une levée considérable des sanctions contre un engagement de la partie adverse de cesser d’enrichir l’uranium à 20 pour cent.

 

Un autre proche du pensionnaire de la White House, le Général Wesley Clark, qui commandait les forces de l’OTAN lors de la campagne du Kosovo en 99, est venu en Terre Sainte expliquer qu’il ne voyait pas l’Amérique se lancer dans une nouvelle aventure militaire pour mettre un terme au projet perse de bombe atomique. Clark, de préciser qu’au terme des guerres d’Irak et d’Afghanistan, il existait dans le public de son pays un sentiment de frustration et de fatigue à l’encontre des conflits armés.

 

Voici de quoi éclairer les lecteurs de la Ména quant à la valeur des promesses de Barack Obama. Ses concitoyens s’en étaient d’ailleurs aperçus avant nous, en l’écoutant, à de nombreuses reprises, leur promettre qu’ils pourraient conserver leur assurance santé aux conditions d’avant la réforme. Ils en auront été pour leurs frais.

 

Netanyahu et Steinitz n’ont pas perdu de temps, ils ont interpelé rapidement les représentants des 5+1, et même le Président russe Poutine, pour leur expliquer la nature du contrat de dupe qu’on leur présentait, les conjurant de ne pas l’endosser. Et puis le président du Conseil hébreu a fait part de son intention d’en appeler au Congrès américain afin qu’il fasse pression pour que son gouvernement ne signe pas ce "mauvais, très mauvais accord" selon ses propres termes.

 

Bibi peut également menacer le président des Etats-Unis de freiner des quatre fers dans le cadre des négociations avec l’Autorité Palestinienne, qui tiennent tant à cœur à Obama et à Kerry ; dont ceux-ci se servent pour atténuer les sentiments hostiles que leur politique étrangère suscitent dans les capitales arabes.

 

Netanyahu a aussi déclaré que l’Etat hébreu rejetait totalement les conditions de cette proposition d’accord, mentionnant que "nombreux sont ceux, dans la région, qui partagent son opinion, qu’ils l’expriment publiquement ou non".

 

C’est très probablement exact, mais ce que la plupart des confrères journalistes n’ont pas évalué à sa juste mesure, et qui a, plus que toute autre raison, fait se précipiter le président américain sur son téléphone, c’est l’annonce suivante du 1er ministre : "Israël n’est pas obligée par cet accord et fera tout ce qu’elle juge nécessaire afin de se défendre ainsi que la sécurité de ses habitants".

 

Or, et nous l’avons déjà relaté dans ces colonnes, les Iraniens exigent, comme condition à tout accord, que les 5+1, mais surtout l’Amérique, s’engagent à ce qu’il n’y ait pas d’opération armée contre eux de la part d’Israël dans le cas où un traité viendrait à être signé.

 

Et c’est là l’argument le plus fort d’Israël, qui a par ailleurs redoublé ses préparatifs d’intervention dès qu’elle a appris ce qui se tramait dans la capitale lémanique. Et l’on n’imagine pas l’Amérique s’opposer par la force à une intervention bleu et blanc, l’opinion publique étasunienne ne le comprendrait pas, et le Congrès a voté récemment le soutien automatique à Israël en cas de confrontation avec l’Iran.

 

Un membre influent de l’establishment de la Défense m’a précisé ce matin que Tsahal se trouvait en pleine évaluation destinée à déterminer si l’on avait le temps d’attendre jusqu’à la reprise des discussions dans la cité de Calvin, le 20 novembre prochain. Si c’est le cas, m’a affirmé ce général en semi-réserve, "il ne restera alors plus qu’un ou deux jours aux négociateurs pour parvenir à un agrément qui nous satisfasse ; sinon, nous arrêterons le programme nucléaire perse à notre manière, car, et nous ne l’avons jamais caché, nous ne permettrons pas aux ayatollahs de nous menacer avec la bombe atomique".

 

Cette mobilisation de l’Armée israélienne a été perçue en Perse, où le régime a procédé au tir d’essai d’un missile balistique capable d’atteindre l’Etat hébreu. Des membres de la théocratie ont précisé à ce sujet qu’il s’agissait d’ "un test visant à vérifier nos moyens de riposte à une agression israélienne".

 

A moins d’une semaine du discours de François Hollande à la Knesset, on assiste aussi à un alignement qui pourrait surprendre entre les positions de Jérusalem et de Paris. Lors des discussions de la fin de la semaine dernière et du week-end à Genève, le ministre français des Affaires Etrangères, Laurent Fabius, a joué un rôle déterminant dans la mobilisation des Européens contre le projet d’accord.

 

A tel titre que la télévision officielle iranienne a ouvertement critiqué l’ "intransigeance" de la France, qui demande de multiples éclaircissements quant au projet d’accord ; la chaîne perse allant jusqu’à la qualifier de "représentante d’Israël à la table de négociations".

 

Tôt dans la matinée de samedi, M. Fabius avait indiqué sur France-Inter ne pas être satisfait au sujet de certains des aspects discutés en comparaison avec le texte initial. Il a dit que sa nation n’était pas disposée à participer à un dîner de cons.

 

Pragmatiquement, Paris s’oppose à la continuation des travaux sur le site du réacteur à eau lourde d’Arak, réclame des précisions concrètes quant au devenir des stocks d’uranium enrichis à 20 pour cent, et exige la fin des activités d’enrichissement et les moyens de contrôler qu’elle soit mise en œuvre.

 

Dimanche, le ministre français des AE a encore participé à un entretien de la dernière chance (afin de parvenir à une entente lors de ce round de négociations), en compagnie de la Baronne Ashton et de Javid Zarif, mais les dissensions n’ont pas pu être aplanies.

 

"Si nous n’arrivons pas à un accord, cela poserait un problème considérable d’ici quelques mois", a en outre déclaré Laurent Fabius. Et si les positions française et israélienne semblent si proches, ce n’est pas vraiment le fruit du hasard : des réunions intensives entre experts des deux pays ont en effet eu lieu récemment dans un climat d’amitié et de confiance.

 

Cela va plus loin encore, car l’on pourrait bien assister à un authentique rééquilibrage de la politique moyen-orientale de Paris. Un ami de la Ména occupant un poste à responsabilité au Quai d’Orsay nous a confié hier que "Fabius était en train de renvoyer chez eux les principaux barons de la politique arabe de la France", ajoutant que "cela était visible dans tous les recoins de la maison".    

 

D’après ce que nous savons, le président français annoncera la "grande réconciliation" lors de sa visite de la semaine prochaine ; les deux pays rendront publique une impressionnante liste d’accords de coopération étroite, notamment dans les domaines de la haute-technologie, de la recherche, de l’énergie et de la défense. A en croire un membre du gouvernement tricolore que je viens d’avoir au téléphone, il s’agirait d’ "un réajustement dû non pas à des considérations idéologiques mais économiques, Paris étant persuadée que les deux nations sont complémentaires dans ce domaine" ; mon interlocuteur tenant à préciser que "par ces temps difficiles, c’est toujours un plaisir que de renouer avec un ami traditionnel sur lequel on sait pouvoir compter et dont on n’aurait jamais dû s’éloigner".

 

Quant à l’actuelle administration américaine, qui s’efforce de faire paraître un front uni et sans divisions entre les 5+1, elle pourrait méditer la phrase célèbre de Winston Churchill : "Vous vouliez la paix, vous vouliez sauver l’honneur : vous aurez la guerre et le déshonneur !". On en vient à se persuader que les relations entre les peuples ne sont qu’un sempiternel recommencement. Dommage que l’on apprenne si peu des erreurs du passé. Quant à la paix et à la guerre avec l’Iran, elles n’ont jamais été si proches toutes les deux – mais cela aussi est assez fréquent dans l’histoire -. Reste que Messieurs Netanyahu et Hollande se préoccupent de faire en sorte qu’il appartienne à Khamenei d’en décider, et non à John Kerry à sa place, en payant un prix que l’Occident n’est pas en mesure de payer. Le prix du silence, qu’il ne faut pas confondre avec le silence de la paix.

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