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Avraham B. Yehoshua : «Faire la paix avec tous les Palestiniens»

 

Avraham B. Yehoshua : «Faire la paix avec tous les Palestiniens»

 

 

INTERVIEW Prix Médicis étranger, l’écrivain israélien milite pour la fin du conflit au Proche-Orient. Entre lassitude et espoir, il met en garde l’Etat hébreu contre sa droitisation, et le Hamas contre sa fuite en avant.

Par ANNETTE LÉVY-WILLARD

 

Souvent qualifié de «Balzac d’Israël», Avraham B. Yehoshua vient de recevoir le prix Médicis étranger pour son dernier livre, Rétrospective.L’année dernière, c’était David Grossman… Amos Oz, David Grossman et A.B. Yehoshua, écrivains israéliens lus dans le monde entier, sont les trois grandes voix engagées sur le front de la paix. A 76 ans, Yehoshua se dit «fatigué» de tout cela, de ce conflit sans fin, mais aussitôt reprend avec vigueur la parole et la plume pour se faire entendre. Espérant éviter les catastrophes qui s’annoncent.

Vous n’avez jamais cessé, avec David Grossman et Amos Oz, de lancer des initiatives de paix, qui ont un grand écho à l’étranger. Et dans votre pays ? Les écrivains ont-ils une influence politique ?

Je dis ce que je pense, qu’on m’écoute ou qu’on ne m’écoute pas. Mais les intellectuels en Israël jouent un rôle important, comme l’ont fait les intellectuels français en s’opposant à la guerre d’Algérie. Avec David Grossman et Amos Oz, nous ne sommes pas un groupe, on se rejoint par moments, par exemple on a demandé un cessez-le-feu immédiat pendant la deuxième guerre du Liban, en 2006. J’ai été très actif dans le plan de paix qu’on a appelé l’«initiative de Genève» et aussi pour encourager le gouvernement d’Ariel Sharon à évacuer Gaza sans condition. On peut donc jouer un rôle si on ne se contente pas de slogans et qu’on donne des réponses précises.

On vous écoute donc…

Oui, on m’écoute. Mais fait-on ce que je dis ? Non ! [éclat de rire] En Israël, il y a un certain respect pour moi et quelques-uns de mes amis parce que nous restons solidaires du peuple israélien. Nous ne parlons pas d’une position extérieure ou seulement en direction de l’étranger. D’ailleurs, je dis la même chose que je sois en Israël ou en dehors. Nous sommes une minorité, mais les thèses qu’on a défendues depuis des années sont maintenant acceptées par tout le monde. Il y a quarante ans, nous parlions de deux Etats et d’un «peuple palestinien» quand personne en Israël ne voulait entendre cela. Golda Meir, la Première ministre, nous répondait : «Mais moi, je suis palestinienne !»

Pendant quarante ans, les gouvernements successifs ont refusé de négocier avec Yasser Arafat ou avec l’OLP en disant : «Ce sont des terroristes.» Après la guerre des Six Jours, l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza, nous n’avons cessé de répéter : «Il y a un peuple palestinien.» Cela a fini par être absorbé par l’opinion publique. Pour moi, l’intellectuel est donc une goutte d’huile sur les roues de la réalité.

La semaine dernière, l’ONU a donné un «acte de naissance» au futur Etat palestinien, comme dit Mahmoud Abbas. Les Israéliens sont furieux et construisent des colonies en représailles. Soutenez-vous le vote de l’ONU ?

Oui, c’est très bien. Si on veut le calme en Cisjordanie, on doit garantir aux Palestiniens que la communauté internationale est vraiment avec eux, qu’elle soutient leur droit à un Etat, comme il a été prévu dans les accords d’Oslo. Même la droite israélienne «sage» [modérée, ndlr] parle aujourd’hui de deux Etats et de deux peuples. C’est la politique officielle, Nétanyahou l’a déclaré publiquement, et je crois qu’il est sincère.

Un Etat palestinien en deux morceaux politiques et géographiques…

Il y a une sorte de folie du Hamas. Après l’évacuation de Gaza par les Israéliens, il aurait pu encourager le développement économique, montrer que les Palestiniens se débrouillent très bien sans les Israéliens. Et c’est tout le contraire. Il a continué de tirer sur Israël sans aucun bénéfice pour son peuple. Israël refuse de négocier avec le Hamas «terroriste», mais il a une base militaire, un gouvernement, il faut le considérer comme un «ennemi». Or, dans la tradition d’Israël, on négocie avec les ennemis. On a négocié avec l’Egypte, avec les Syriens qui ont tiré pendant des années sur les villages du Nord, avec les Jordaniens qui ont bombardé Jérusalem pendant huit mois, tuant des centaines de civils. Il faut négocier, parler avec le Hamas, obtenir une démilitarisation de Gaza garantie par la communauté internationale, qu’il n’y ait plus de roquettes. Il faut que l’Egypte ouvre le passage côté égyptien et il faut autoriser à nouveau les travailleurs palestiniens à venir en Israël comme c’était le cas dans le temps. Les accords d’Oslo prévoyaient aussi un corridor pour relier Gaza et la Cisjordanie. Il faut le faire, tout en gardant des check-points pour que les armes n’entrent pas. Tout cela pourrait alors calmer le Hamas, il se sentirait moins isolé. L’Autorité palestinienne ne pourra pas faire la paix sans le Hamas : si la paix n’est pas avec l’ensemble du peuple palestinien, ça ne marchera jamais.

Comment expliquez-vous le virage à droite en Israël, la disparition de la gauche ?

En particulier à cause du Hamas, des roquettes, des missiles. Pour les Israéliens, les colonies qu’on construit en Cisjordanie sont «une question mineure». Mais on grignote le territoire du futur Etat palestinien avec des colonies sauvages, on construit des routes qui traversent ce territoire, jusqu’au point où on ne pourra plus le diviser en deux Etats. Ce fameux Etat palestinien sur la frontière d’avant 1967 que vient d’obtenir Abbas à l’ONU ne représente déjà plus qu’un quart de l’ancienne Palestine. Et même ce quart, Abbas ne pourra plus le récupérer en entier avec toutes ces colonies juives. Les dirigeants de mon pays ne comprennent pas qu’on va vers un état binational si on n’a pas deux Etats, un israélien et un palestinien.

A quoi ressemblerait un état binational ?

Une catastrophe pour les Israéliens et une catastrophe pour les Palestiniens. Ce serait l’apartheid. On ne pourrait pas donner le droit de vote aux 3,5 millions de Palestiniens qui habitent en Cisjordanie, et il y a déjà 1,5 million d’Arabes israéliens en Israël. Cela ressemblerait à l’Afrique du Sud. Les Américains ne comprennent pas qu’en soutenant Israël, ils nous entraînent vers cet état binational.

Comment régler le problème des colonies ? Que faire des 350 000 colons qui vivent en territoire palestinien ?

On ne pourra pas évacuer 350 000 personnes de Cisjordanie. Evacuer par la force 8 000 colons de Gaza a été un traumatisme national ! Et pourtant il y avait un consensus en Israël et l’autorité de Sharon. En Cisjordanie, ce sera une guerre civile. Alors j’ai proposé qu’une minorité juive reste à l’intérieur de l’Etat palestinien, des colons qui auront la citoyenneté palestinienne et garderont leur citoyenneté israélienne. Ils représenteront 3% à 4% de la population palestinienne. Ce sera très bon pour l’Etat palestinien, cela développera les échanges commerciaux avec Israël. Les autres partiront avec des compensations financières. Ça peut marcher, je pense que la moitié des colons restera. De toute façon, il ne pourra pas y avoir de rideau de fer entre Israël et la Palestine.

A part la paix avec les Palestiniens, vous vous inquiétez de la montée en puissance des religieux dans un Etat hébreu fondé par des sionistes laïcs…

On assiste au retour de la religion partout dans le monde : en Amérique, en Europe de l’Est, dans les pays islamiques. Mais la religion a toujours été une composante de l’identité juive. Pendant deux mille ans, le peuple juif, sans terre, sans Etat, sans langue commune, sans armée ni institutions, a fonctionné sur la religion, a survécu grâce à son identité religieuse. Mais en Israël, cette question d’identité est nouvelle.

Aucun des idéologues ou fondateurs d’Israël, de droite ou de gauche, Vladimir Jabotinsky, David ben Gourion ou Golda Meir, n’étaient religieux. Aujourd’hui, le débat central, le cœur du problème, c’est le conflit entre les nationalistes et les religieux qui, eux, proclament : «Pas d’Israël sans la Torah.» Comme si on disait : «La France n’existe pas sans le catholicisme.» Les religieux deviennent de plus en plus nombreux, et ils sont très actifs politiquement. Je n’aurais jamais imaginé qu’en Israël un parti, le Shas, membre de la coalition au pouvoir, fasse élire des rabbins à la Knesset [le Parlement israélien].

Autre conflit d’identité, thème de votre dernier livre,Rétrospective, le choc des deux cultures dans la société, de l’Occident et de l’Orient.

Dans Rétrospective, à travers l’interrogation sur la création d’Israël, j’ai voulu montrer le conflit entre les deux personnages : le scénariste, d’origine orientale, et le cinéaste, qui me ressemble, laïc, rationnel. Né à Jérusalem dans une famille d’origine orientale, j’ai été élevé dans une culture occidentale, mais mon père, orientaliste, a beaucoup écrit sur Jérusalem au début du XXe siècle. J’ai donc intégré toutes ces influences.

Le livre finit par la réconciliation des deux personnages. Pour moi, Israël ne peut pas s’identifier à l’Amérique, ni au Moyen-Orient. Israël, c’est la Méditerranée, nous sommes physiquement proches de l’Egypte, de la Syrie, de la Grèce, de la Turquie, du sud de la France, de l’Italie, de l’Espagne… Un pays méditerranéen.

Depuis dix ans, on voit une renaissance culturelle impressionnante qui change l’image d’Israël à l’étranger : le public peut critiquer la politique israélienne et aimer son cinéma, sa littérature…

C’est formidable, mais ce n’est pas un bon signe pour la société. Souvenez-vous que les plus beaux romans écrits en Amérique latine l’ont été au temps des dictatures et des guerres civiles. Et entre les deux guerres mondiales, dans une période d’instabilité et de crise, quand l’Europe était déchirée par le fascisme, le communisme, le nazisme, on a eu des génies partout, dans la littérature, la musique, la peinture, de Kafka à Picasso. Moi, je préfère moins de renaissance culturelle et plus de stabilité, moins de conflits. L’écrivain s’en réjouit, bien sûr, mais le citoyen pas du tout.

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