LA VIEILLE SYNAGOGUE DE LA HARA

LA VIEILLE SYNAGOGUE DE LA HARA
 
Henri SLAMA
 
Pour continuer à évoquer des souvenirs qui s’estompent et disparaissent au fil des années, je me souviens de cette vieille synagogue de la Hara, l’ancien quartier juif de Tunis, rue Errakah.
 
Pour y arriver, il fallait de préférence, passer par le quartier réservé de la ville, ou de pauvres femmes se tenaient devant chaque porte. Nous passions très vite, sans parler, en serrant nos livres de prière sous le bras
.
Quand je dis synagogue, ce n’est probablement pas le mot que ça évoque, juste une pièce dans une oukala, une grande cour, avec un puits au milieu, plusieurs chambres tout autour, occupées par des familles juives misérables, montées de l’extrême sud tunisien ou de Tripolitaine, pour fuir la misère. Pour toutes ces pièces et un premier étage du même style, il y avait un unique W.C. A l’occasion des grandes fêtes, les murs de ces chambres et ceux de la cour étaient blanchis à la chaux bleutées, teinte très reposante pour les yeux.
 
L’immeuble tout entier appartenait à une famille musulmane qui n’avait jamais demandé de loyer pour la chambre qui servait de lieu de culte, une maison de Dieu, comme ils disaient, et cela depuis des générations.
 
La grande pièce qui servait de synagogue était entourée de bancs construits en dur, décorés avec une façade en carreaux de faïence, à la mode andalouse et recouverts de nattes. Les rouleaux de la Thora, les sepharim, étaient rangés dans une armoire au fond de la chambre.
 
L’officiant se tenait dans la cour, devant une table haute, rustique, antique, construite par quelqu’un qui n’avait que des notions très limitées de l’art de la menuiserie.
 
Aujourd’hui malgré de nombreuses recherches, il n’a pas été possible de localiser ce lieu, ni même la rue, tout le quartier ayant été démoli et reconstruit dans cette partie de la ville..
 
Dans cette synagogue, deux familles en particulier venaient de la ville européenne et presque tout le reste des fidèles venait des logements alentour et de cette oukala
Ces deux familles étaient les Raccah et les Slama qui toutes deux prétendaient en avoir été les fondateurs des siècles auparavant.
 
Dans ma première jeunesse, l’office était dirigé collectivement par le grand père Raccah et le grand père Slama et chaque fois c’était des contestations mémorables entre les deux vieux sur ce qu’il convenait de lire ce jour là et dans quel ordre .En plus les gens du coin, ajoutaient leur grain de sel, car ils chantaient abominablement faux et à contre temps, en finissant le verset alors que l’assemblée le commençait.. D’où de multiples rappels à l’ordre.
 
Nos livres de prières, en particulier pour les offices des grandes fêtes étaient imprimés à Vienne, en Autriche ou à Livourne et Venise. Les prières et les chants avaient été composés par les grands maîtres de l’age d’or espagnol, les rabbins poètes Judas Halévy, Ibn Gabirol ou Maimonide, mais les Tunisiens voulaient à tout prix intercaler plusieurs fois au cours de l’office un chant composé par un rabbin tunisien, chant qui n’existait dans aucun livre. IL fallait donc tenir à portée une feuille volante, au moment fatidique, pour pouvoir suivre l’officiant. L’honneur était donc sauf.
Dans l’assemblée, il y avait donc le groupe des Slama d’un coté ; le Slama ( importateur de machines agricoles américaines) qui occupait le banc central, mon grand père qui officiait, mon père et moi jeune garçon.
 
Les Raccah étaient beaucoup plus nombreux, le grand-père, ses deux fils architectes, le petit fils qui allait bientôt s’engager à la guerre et y mourir durant la drôle de campagne., un vieux monsieur très distingué à l’allure de gentleman britannique, son fils bel homme qui nous impressionnait parce qu’il avait épousé , fait exceptionnel à cette époque, une grande blonde suédoise, , un représentant d’un important agent de change parisien, un autre cousin parti par la suite s’installer en Israël et devenu député à la Knesset, m’a-t-on dit.
 
Je me souviens, en particulier d’un jour de Yom Kippour en 1937 , je crois , de l’agitation qui avait saisi l’assemblée en prière. Vers 11 heures du matin, quelqu’un était arrivé à la synagogue, après avoir écouté un poste de radio. Ce jour là, Léon Blum avait traîtreusement opéré la dévaluation du franc , en profitant de la fête de yom Kippour pendant lequel la bourse était fermée à Paris. Le représentant de l’agent de change parisien était questionné fiévreusement et requestionné .Qu’est-ce qui va se passer, l’importateur, l’exportateur, le commerçant se posaient des questions sans fin. Ils avaient tous oublié pourquoi ils étaient là et l’officiant devait s’énerver pour faire cesser les conciliabules
 
Lorsqu’on arrivait au crépuscule, après avoir prié et chanté toute la journée, et qu’il fallait décider de la fin du jeune, ( la confiance dans les montres étant limitée), quelques personnes montaient sur la terrasse de l’immeuble et scrutaient le ciel. Dès qu’elles avaient aperçu trois étoiles, le signal de la fin de l’office était donné. Le rabbin sonnait du schofar, la corne de bélier. On se congratulait dans un grand brouhaha et on s’apprêtait à rentrer chez soi.
 
Cela voulait dire, après une journée de jeûne, boire une citronnade fraîche, faire son choix parmi tous les plateaux de gâteaux, mais à mon grand désespoir les grands pères trouvaient que c’était le moment ou jamais de faire la prière de bénédiction à la lune, dans la rue, où on se rendait en groupe.
 
Et, tout le monde reprenait alors, seulement, le chemin de la maison, la conscience tranquille..

Carte de la synagogue, envoyee par Avraham Bar-Shay

Plan dessine et envoye par Avraham Bar-Shay

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