Revirement russe et alignements stratégiques - David Bensoussan

Revirement russe et alignements stratégiques - David Bensoussan

 

Les accords de Yalta en 1945 ont confirmé l’emprise soviétique sur l’Europe de l’Est. Depuis cette date, la guerre froide a perduré jusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique en 1991. Or, la Russie n’a pas réussi sa transition démocratique après la chute de l’URSS. Entre autres raisons, le parti communiste et les services du renseignement du KGB étaient encore très puissants et la corruption était loin d’être endiguée.

Le président Poutine est au pouvoir depuis 23 ans. D’abord ouvert à l’Occident, il s’est peu à peu replié sur des pratiques de la guerre froide : toute opposition a été jugulée et l’anti-américanisme est revenu hanter ses prises de position. L’invasion de l’Ukraine et la consolidation de la présence militaire russe en Méditerranée et en Afrique ont fait revivre le spectre de l’expansionnisme soviétique.

Présence militaire russe accrue en Méditerranée et en Afrique.

Les navires russes disposent de facilités navales en Égypte (Alexandrie), en Libye (Tobrouk), en Algérie (Annaba) et en Syrie (Tartous). Les contingents militaires russes en Afrique de près de 13 000 militaires – dont 40 % sont les mercenaires de Wagner – cherchent à remplacer la France dans ses anciennes colonies. Par ailleurs, l’implication de 63 000 militaires russes et l’envoi de près de 700 000 tonnes d’armes ont consolidé la présence russe en Syrie. Entre 2015 et 2017, l’intervention russe en Syrie a permis au président syrien Assad de multiplier par quatre la superficie des territoires qu’il contrôle. Malgré les tensions entre les partenaires, l’accord d’Astana en 2017 tente de mettre de l’ordre dans la présence des forces russes, turques et iraniennes en Syrie.

L’impasse ukrainienne

L’invasion de l’Ukraine a voulu mettre fin aux velléités démocratiques de la révolution orange. Poutine s’est laissé convaincre que les Ukrainiens se rallieraient à la Russie. Or, ce qui était censé être une campagne éclair est devenu une vraie guerre. Qui plus est, les maladresses de l’armée russe ont décrédibilisé la légendaire Armée rouge.

L’Europe s’est aussitôt unie pour se réarmer sous l’égide américaine. Le boycottage de la Russie par les pays occidentaux a poussé la Russie à se rapprocher économiquement et militairement de la Chine. La Russie a renforcé ses liens avec l’Iran qui lui livre des drones en quantité.

La guerre en Ukraine est quasiment au point mort. Les adversaires russe et ukrainien ont perdu entre 70 000 et 100 000 combattants chacun. Selon toute probabilité, le nombre de blessés est 3 à 4 fois supérieur. Or, les ressources humaines et matérielles russes sont autrement plus importantes. Les Ukrainiens tirent des centaines d’obus chaque jour, mais les Russes en tirent des milliers. La population russe compte 140 millions d’âmes alors que celle de l’Ukraine se chiffre à 30 millions. À long terme, la Russie est avantagée, quand bien même les délais de production et de livraison d’armes occidentales à l’Ukraine seraient pris en considération.

Revirement russe envers Israël

Jusqu’à présent, la Russie laisse Israël attaquer les convois d’armes iraniennes destinées au Hezbollah libanais, lequel dispose déjà de près de 150 000 missiles dont certains peuvent éviter les défenses israéliennes. D’un côté, la Russie ne veut pas d’un nouveau front contre Israël et de l’autre, ces bombardements font son affaire, car ils réduisent l’influence iranienne en Syrie et augmentent la leur.

Or, après les massacres perpétrés par le Hamas en date du 7 octobre 2023, le discours russe a totalement changé. La propagande anti-israélienne a battu son plein dans les médias et la diplomatie russe.  Le revirement russe envers Israël a été total. Des usines d’armement russe sophistiqué – et des armes nord-coréennes – ont été découvertes dans les sous-sols gazaouis. Le 30 octobre, Poutine a déclaré : « le sort de la Russie, du monde et du peuple palestinien sera décidé en Ukraine. »

De son côté, la Chine est allée dans le sens de plusieurs pays du Sud qui critiquent Israël. La télévision d’état chinoise a renchéri avec l’antisémitisme en affirmant que les Juifs constituent 3 % de la population américaine et contrôlent plus de 70 % de ses richesses.

Ce genre de discours cherche à rallier les masses arabes. La plupart des dirigeants arabes n’ont pas eu le courage de prendre position contre l’anti-israéliannisme primaire qui s’est appuyé sur une politique millénaire de discrimination et d’humiliation institutionnalisée des non musulmans et notamment des Juifs. Présentement, la Turquie d’Erdogan et l’Iran des mullahs se font compétition en la matière.

Alignements en gestation

L’Inde a développé des contacts économiques et militaires importants avec Israël et fait partie de l’alliance stratégique du Quad en collaboration avec les États-Unis, le Japon et l’Australie. L’Inde est en principe neutre, mais n’est sûrement pas intéressée à ce que la Chine devienne une puissance hégémonique dans la région, ne fut-ce qu’en raison de l’occupation par la Chine de ses territoires situés dans le Nord de l’Inde.

Tant la Russie que la Chine visent de façon ultime à diriger un bloc géopolitique formé des pays du Sud et dédollariser les échanges internationaux. L’économie mondiale dépend grandement de l’approvisionnement énergétique et des voies commerciales maritimes au Sud-Est et au Sud-Ouest de l’Arabie. Seul un engagement ferme des États-Unis envers Israël va convaincre l’Arabie, les Émirats arabes unis et l’Égypte de ne pas loucher dans la direction de la Chine, de la Russie ou même de l’Iran.

C’est pourquoi l’ampleur de l’appui américain à Israël est négligeable par rapport aux bénéfices qu’en retirent l’ensemble des pays occidentaux.

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