DÉBORDS DE MÈRE
Eric Fottorino enquête sur un désamour filial
Eic Fottorino a eu une vie digne d’un roman. Elle lui a fourni la matière à plusieurs. Depuis Rochelle (1991), l’écrivain creuse et recreuse inlassablement l’histoire familiale. S’il la traduit par la fiction plutôt que par le récit, c’est pour s’autoriser quelques libertés de situations. L’essentiel de la trame vient de la réalité, sans être fortuit. Enfant adopté par un pied-noir de Tunisie, qui s’est suicidé (L’homme qui m’aimait tout bas, 2009), il est le fils naturel d’un juif marocain qui lui a inspiré Questions à mon père (2010). Manquait le livre sur sa mère Lina, que voici, figure maternelle éclipsée jusqu’à présent par le charisme des deux pères. C’était sans doute le plus difficile à écrire. Moins porté sur la quête des origines, il cherche davantage à comprendre quelle est la raison de son «désamour tenace» pour Lina.
Pourquoi n’aime-t-il pas sa mère ?
C’est plus subtil que ça. Il s’agit d’un éloignement entre eux qui s’est accentué au fil du temps. «Dix fois par jour j’oubliais que j’étais son fils. Et autant de fois, je m’efforçais de m’en souvenir», écrit-il. Dès les premières pages, au cours d’un déjeuner chez elle où elle l’a convié avec ses deux autres fils, elle révèle avoir accouché d’une petite fille le 10 janvier 1963, retirée aussitôt par les religieuses. «A cette époque l’Eglise trafique à qui mieux mieux les bâtards des filles perdues.»L’auteur choisit cette «cène» autour d’une naissance inavouée jusque-là pour comprendre pourquoi il vit «comme si maman était morte».«Je vivais une mort émotionnelle», dit-il aussi. Le projet romanesque tient là : redonner chair et existence à cette «petite femme».Réinvestir leur lien, pour lui qui adolescent avait griffonné de rage cette phrase qu’elle a lue : «Je suis le fils d’une pute qu’un salaud de juif a tringlée avant de se tirer.»
En quoi cette quête peut fasciner ?
Le narrateur mène l’enquête qui se déroule à Nice où il est né, le 26 août 1960, et où il n’a vécu que trois jours et trois nuits. Il veut retrouver Lina à 17 ans, d’où le titre, qui a aimé un juif d’Afrique du Nord et qui s’est retrouvée fille mère. Il descend dans une pension située entre la colline du château et «la prom’» du bord de mer, et navigue entre les lieux qui pourraient avoir gardé des traces plus de cinquante ans après. On le voit humer en solitaire, en ressassant le trauma maternel et traquant sa silhouette. On dirait presque un Maigret en vadrouille du Quai des Orfèvres derrière sa table de la pension provençale, avec ses habitudes de client prises au fil des jours. Le hasard pouvant bien faire les choses dans la fiction, il tombe coup sur coup sur un docteur qui s’y connaît en troubles psychiques de l’enfance et sur une vieille amie de sa mère qui a des photos de l’époque et des intuitions.
Ecrire est-ce réparer ?
Si son passé familial n’était pas si compliqué, Eric Fottorino n’aurait peut-être pas ressenti le besoin de le coucher par écrit. C’est une façon de mettre des mots sur une douleur, d’exhumer les non-dits et de se cerner soi-même. Entomologiste de sa propre intimité, il s’expose, traque les menus détails, presse le factuel pour en extraire le sens. C’est souvent tout en rondeur, avec du bon sentiment, des presque maximes où tout un chacun peut puiser et s’identifier. Il redonne ses droits à la vérité, légitime ainsi ce qu’il est, ce qu’est sa mère. Peut-être est-il arrivé cette fois au bout de «la prom’».