«Je reviendrai là-bas»: Une chanson éternelle du grand Henri Tibi porté en film par le jeune Yassine Redissi

«Je reviendrai là-bas»: Une chanson éternelle du grand Henri Tibi porté en film par le jeune Yassine Redissi

Par Dr Lilia Bouguira

Depuis des mois déjà, j’observe volontairement le syndrome de la page blanche. Un acte ultime de résistance ou de survie pour ne plus m’encombrer des affaires de mon pays qui me tuent chaque jour un peu plus. Je l’ai même quitté pour ne plus avoir à  le souffrir ou laisser sa déchéance me saigner. Je m’en suis tenue un peu loin pour lui survivre. J’ai vécu un peu comme  Henri Tibi le froid d’une France glacée mais je n’ai point chanté dans mon nouveau pays d’emprunt  notre pays natal comme il était seul à savoir le faire.

Ce soir au cinéma zéphyr à cette avant première, je suis complètement subjuguée pire toute retournée. Des larmes lavent  ma tête et mon corps comme pour me secouer, me transporter hors temps quelques décennies en arrière où je n’étais pas plus haute que 3 pommes et où ma famille nous prenait l’été à La Goulette. Une époque d’or, de miel et de mille senteurs. Sable brulant et plages bondées. Thé à la menthe ou café à la fleur d’oranger. Vieilles portes bleues de sidi bou said  à la vieille médine. Le blanc des maisons rafraichies  à la chaux. Celui d'une synagogue abandonnée suite à un départ  précipité. Une mézouza tamponne les linteaux de l'oubli comme un vieux tatouage. Une vieille  valise en carton. Des valises en carton, toutes les mêmes remplies à la hâte  de chiffons, de vieux papiers et surtout de souvenirs qui meublent des vies entières. Jasmin, fel et bougainvilliers. Zaarour et anab, melha et bnina que seuls ceux d’une ère révolue ont  goutés. Des sanglots étouffés et des défenses de se retourner pour ne pas sombrer dans la folie des regrets. La folie des hommes sans fin.

Les mots de ses chansons sont une poésie douloureuse qui écorche dans le présent comme pour faire peau neuve avec ce pays qu’ils ont tenté d’ensevelir mais rien n’y fait. Tunis lui colle au corps et au cœur sans qu’il ne tente de la déloger. Il la transporte avec lui même si elle l’avait auparavant dégagé. Il l’aime comme jamais un homme n’a  aimé. Il chante son pays et se fait son parfait ambassadeur pour tenir les mémoires éveillées. Déchiré, arraché d’elle mais pas elle de lui, il continue à l’aimer et  à la vénérer.

Hanté par son soleil brulant, le bruit de ses rues, de ses marchands ambulants et du bleu de ses portes, il fige la magie des instants par des milliers de clichés comme dans un travail de mémoire inavoué. Il garde photos et négatifs ne mesurant pas la valeur de son bien et de l’héritage  monumental qu’il laisse derrière lui  de ces années miracle. Un melting-pot délicieux où se confondaient sans heurt aucun maltais, grecs, italiens, musulmans et juifs dans une tolérance exquise et sans remous.  Le rythme de ses chansons se veut à la Brassens  mais tourné vers son seul amour perdu : sa Tunisie. Il n’hésite pas à la rapporter à Paris, à la Seine et à Besançon où il y prendra refuge pendant des années. Il prendra siège à côté d’une porte bleue du centre ville bisontin comme pour immortaliser le bleu de sa Tunisie- amour.

Le jeune Yassine Redissi et son équipe ont voulu faire de ce film plus qu’un documentaire. Ils sont partis depuis plus de sept ans à la trace de ce juif tunisien. Ils ont été sur sa trace depuis sa fameuse apparition sur fb chantant sa Tunisie en post révolution comme pour dire qu'à lui aussi, sa Tunisie appartient.

Les jeunes gens qui n’ont rien connu de cette Tunisie mélangée et aux mille abondances ont compris que pour que la Tunisie s’en sorte de ces tourments sans fin, il lui fallait renouer avec son passé et surtout rétablir cette histoire que  Henri Tibi avait tenu à immortaliser par ses chansons et ses photos pour les générations à venir. Ces jeunes nous prouvent encore une fois que la Tunisie sera sauvée par sa jeunesse  qui va pulvériser comme par un coup de balai la déchéance de douze ans de post révolution aux aspects calamiteux  et où la tentative de radicalisation du pays et de son retour au moyen âge ne sera qu’une vaine parenthèse que j’espère  définitivement fermée.

Pour tout cela, nous nous sommes en salle spontanément levés pour reprendre la chanson de Henri Tibi:

Un grand merci à tous pour ces émotions fortes pour une Tunisie que nous continuerons à chanter tous et à aimer plus que tout et au-delà de toutes les conspirations.

Dr Lilia Bouguira

Commentaires

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53 années 8 mois
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Oui des souvenirs....nous étions " heureux "etc....Mais tant que nous étions sous protectorat .

Après Bizerte , la guerre des 6 jours et l'installation de l'OLP d' Arafat à Hammam Plage ce n'était plus la même chanson .

Que reste t il de notre communauté ?

Djerba et ses pauvres Juifs qui vivent dans la peur dès que ça "bouge " en Israël ?

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53 années 8 mois
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Beaucoup oublient qu'Henri Tibi était un champion de ping pong avant d'être un artiste.

Je me souviens de ses matchs mémorables contre Uzan .

Je le voyais souvent s'entraîner dans la salle qui se trouvait dans la ruelle près du cinéma le Marivaux à l'avenue de Paris .

Ya hasra.

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53 années 8 mois
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Merci Lilia pour ces réflexions...

Nous sommes si proches que les jaloux veulent séparer.

J ai hâte de voir ce film tant attendu !

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