KARINE TUIL : SON NOUVEAU LIVRE - KADDISH POUR UN AMOUR

KARINE TUIL : SON NOUVEAU LIVRE - KADDISH POUR UN AMOUR

Karine Tuil n’arrête pas de surprendre. Depuis son premier livre, Pour le Pire , en 2000, elle a traité les sujets les plus divers et les plus inattendus - du sexe féminin (Plon), à Douce France (Grasset), l’invention de nos vies (Grasset), l’insouciance (Gallimard), Les choses humaines (Gallimard), un livre , puissant et intelligent, que j ai adoré et qui embrasse la complexité de la société française, la decrit, la décrypte, la décortique, fait réfléchir, et ce sans jamais tomber dans la caricature ou le cynisme, Prix Interallié et prix Goncourt des lycéens et La décision (Gallimard) - avec un talent incroyable. Au total, 12 livres qui ont connu un beau succès.

Et voilà qu’elle publie un recueil de poésie Kaddish pour un amour (Gallimard) ou une femme prie pour le retour de l’aimé. Tout en poésie ! Avec des poèmes sublimes. Et pourquoi ce titre ?

“ Le kaddish, explique-t-elle (1), est une prière de deuil que l’on récite aux enterrements, mais, contrairement à ce que l’on pourrait penser, elle n’évoque jamais la mort, elle glorifie la vie. J’ai donc imaginé un kaddish pour un amour, une sorte de prière de deuil, écrit et adressé par une femme à l’homme dont elle est séparée. En une cinquantaine de poèmes, elle revisite leur amour dans l’espoir de le faire revivre. Une rupture, un chagrin d’amour, qui n’en a pas vécu au cours de sa vie ? Est-ce qu’on peut faire le deuil d’un amour ?

Ces poèmes peuvent être lus comme une prière pour le retour de l’être aimé. En fait, elle avait en tête ce titre depuis plus de vingt ans, et elle avait même écrit deux ou trois poèmes, mais elle n’a ce recueil qu’en 2021. Il est né d’un questionnement : pourquoi il n’y avait pas de prière pour la fin d’un amour, qui est sans doute, pour elle, l’une des plus grandes douleurs existentielles, alors qu’il y en a tant d’autres dans le judaïsme pour des événements anecdotiques. “ J’ai écrit ces poèmes dans une sorte d’impulsion précise-t-elle, c’était un processus intérieur assez mystérieux, je n’ai jamais rien créé de cette façon. Et puis c’est aussi un texte un peu crypté, qui appelle différents niveaux d’interprétation ; j’aimerais que chacun puisse en faire sa propre lecture.

Karine Tuil n’a pas eu peur de la simplicité du thème : une femme aime un homme. “Non, je n’ai pas eu peur. L’amour, c’est vrai, est un sujet complexe ! Tout y est tortueux, rageur, vindicatif : les sentiments, les rapports de force, le désir, les antagonismes. On tombe amoureux sans grille de lecture ni mode d’emploi. Je ne connais rien de plus déstabilisant ni de plus vertigineux que la sensation de dépendance que crée malgré lui l’être aimé. Et puis, l’amour, c’est la vie et la possibilité de la mort. La poésie est-elle pour Karine Tuil l’un l’un des derniers espaces où peut se déployer la sensibilité. Peut-on trouver dans son recueil un sens politique au conflit israélo-palestinien ?

Ni ensemble, ni séparés. "L'écriture, dit-elle, est toujours un acte politique car elle cristallise un engagement, une révolte, un refus. On s’élève quand on écrit, on devient un être debout. Cela dit, contrairement au roman, où tout est pensé, codifié, il y a quelque chose dans l’écriture poétique qui échappe à l’intellectualité, qui relève plus de l’inconscient. C’est un recueil que j’ai construit comme un texte juif avec ses différents niveaux d’interprétation. Dans le judaïsme, on dit qu’il y a quatre niveaux d’approche. On peut donc les lire dans leur sens littéral, allusif, interprétatif et secret. À la première lecture, il n’y a pas de sens politique mais on peut effectivement y voir une allusion à la difficulté pour deux peuples à se reconnaître et à ­coexister ­pacifiquement.

Comment Karine Tuil est-elle venue à la poésie ? En fait, elle a toujours lu des poèmes. “Oui, j’en ai toujours lu. J’aime Paul Celan, Joseph Brodsky, Marina Tsvetaïeva, Borges, Éluard, Char, Mahmoud Darwich et Yehuda Amichaï, deux auteurs qui ont écrit sur leur rapport à leur terre. Chez moi, la poésie met en mots l’indicible : la Shoah, la mort, la perte, la fragilité du sentiment amoureux ; elle est une forme de consolation. C’est l’un des derniers espaces où peut se déployer la sensibilité. D’ailleurs, je constate un véritable élan pour la poésie. Sans doute parce qu’elle nous permet de revenir à l’essence même de notre humaine condition.

(1)Kaddish pour un amour, Karine Tuil, Gallimard, 128 pages, 14 euros.

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