
« La Chambre de Mariana » ou la poignante histoire d’un enfant juif caché par une prostituée pendant la Seconde guerre mondiale
Dans l’Ukraine soviétique de 1943 envahie par les nazis, une mère juive décide, pour sauver son fils de la déportation, de le confier à une amie d’enfance. Or, la belle Mariana, interprétée par Mélanie Thierry, vit et travaille dans une maison close. Tel est le point de départ du film d’Emmanuel Finkiel, en salles mercredi 23 avril.
Par Véronique Dumas
Les premières images de La Chambre de Mariana nous transportent en 1943, dans une ville ukrainienne occupée par les nazis, à l’instar de tout le pays. En pleine nuit, une mère et son fils âgé d’une douzaine d’années, Hugo, s’échappent au péril de leur vie du ghetto juif, en passant par les égouts, pour échapper aux patrouilles allemandes. Ils se rendent, la peur au ventre, à un point de rendez-vous, où doit les retrouver une prostituée, Mariana, interprétée par Mélanie Thierry.
Celle-ci, qui habite et travaille dans une maison close, emmène l’enfant dans sa chambre et lui montre le placard où il doit désormais se cacher derrière une rangée de robes et ne faire aucun bruit. Sa survie est à ce prix. Une dénonciation est si vite arrivée.
La « Shoah par balles
En proie à une insondable détresse – admirablement traduite par Artem Kyryk, un jeune acteur ukrainien – Hugo espère longtemps que sa mère revienne le chercher. Mais les jours passent et, pour s’échapper de la réalité, il se réfugie dans un monde peuplé de fantômes. Il suffit à ce fils de pharmacien choyé de fermer les yeux pour faire apparaître dans sa cachette tous ceux qu’il aime, à commencer par ses parents. Tapi comme un animal, il n’est autorisé à sortir de son réduit que dans la journée, lorsque Mariana ne reçoit pas de clients. Hugo sait qu’il ne doit pas s’approcher de la fenêtre donnant sur une rue, située à la sortie de la ville. Mais la tentation est si forte qu’il se risque, de temps à autre, à jeter un œil sur l’extérieur.
C’est ainsi qu’il voit passer une longue file de Juifs du ghetto, encadrés par des soldats allemands. Les prisonniers sont conduits vers la forêt... Cette scène évoque la « Shoah par balles », qui se déroule en Ukraine de 1941 à 1944. 1500000 Juifs sont assassinés par les Einsatzgruppen (unités mobiles d’extermination) pendant cette période, qui ne prend fin qu’avec l’arrivée de l’armée rouge.
Jouer en ukrainien
Le film est tiré de La Chambre de Mariana, le roman d’inspiration autobiographique du grand écrivain Aharon Appelfeld, décédé en 2018. L’action est supposée se dérouler en Ukraine. En raison du déclenchement, en 2022, de la guerre avec la Russie, Emmanuel Finkiel a finalement tourné en Hongrie. Fait notable, toutes les scènes sont jouées en ukrainien. Mélanie Thierry a donc appris cette langue pendant deux ans au point de dire ses répliques avec une fluidité et un naturel étonnants – une performance en soi. L’actrice, qui trouve dans le personnage de Mariana – prostituée au grand cœur et femme courage – l’un des plus beaux rôles de sa carrière, lui donne une dimension à la fois tourmentée et solaire. Aussi seule et malheureuse qu’Hugo, elle le protège à tout prix en raison du serment fait à sa mère, tout en éveillant chez lui, au fil des mois, une attirance trouble qui n’a rien de maternel.
En évitant l’écueil du voyeurisme, les scènes finales, poignantes, montrent le lien indéfectible qui s’est tissé entre ce petit garçon, qui a grandi, et celle qui est devenue, par la force des choses, sa seule amie.