La guerre secrète d’Israël (012510/17) [Exclusivité]
Par Stéphane Juffa © Metula News Agency
Aors que la quiétude des habitants de Métula a été troublée ce mercredi matin par le bruit d’intenses duels d’artillerie en provenance du Nord-Golan, émanant des combats opposant les rebelles du Front du Sud à l’alliance des forces gouvernementales, du Hezbollah et des Pasdaran iraniens, notre attention s’est portée sur le sud du Golan, où une autre bataille fait rage depuis trois jours.
Celle-ci voit s’affronter le Front du Sud, composé du Hayyat Tahrir al Sham [l’organisation pour la libération du Levant], des rebelles de l’Armée Syrienne Libre ainsi que de groupuscules islamiques, au Jaysh Ibn al Waleed, anciennement la Brigade des Martyrs du Yarmouk, affilié à l’Etat Islamique (DAESH).
Le Jaysh Ibn al Waleed occupe une petite bande de territoire accolée à la partie israélienne du Golan [points noirs sur la carte]. Suite à des dissensions internes et à l’arrivée de deux autres groupes salafistes, les Martyrs du Yarmouk ont pris le nom Jaysh Ibn al Waleed, par référence à Khaled Ibn al Waleed, qui dirigea les armées musulmanes lors de la Bataille du Yarmouk contre les Byzantins, qui se déroula en 636 de notre ère et qui aboutit à la conquête du Proche-Orient par l’Islam.
Dans la région contrôlée par le Jaysh Ibn al Waleed, la Sharia est strictement appliquée. Le port du niqab est obligatoire pour les femmes, les fumeurs sont emprisonnés, les étêtements au sabre sont monnaie courante, de même que l’amputation des mains des voleurs présumés.
Le Yarmouk est le plus grand affluant du Jourdain. Sur une partie de son cours, il marque la frontière entre la Jordanie et la Syrie, avant d’aboutir à la triple frontière lorsqu’il passe en Israël, tout près de la station thermale de Khamat Gader.
Jusqu’en 2016, le DAESH du Golan évitait de provoquer son puissant voisin israélien, plus occupé qu’il était à guerroyer contre le Front du Sud [points verts sur la carte]. Mais cette année-là, les combattants salafistes tentèrent de réaliser une série d’embuscades contre l’Etat hébreu, largement éventées par le Mossad et sévèrement réprimées par des représailles ciblées. Depuis, on peut affirmer que c’est un état de guerre qui prévaut entre Tsahal et l’organisation salafiste.
Ce que l’on sait moins, c’est qu’il existe une coordination entre les rebelles syriens et l’Armée israélienne. Des rumeurs persistantes existaient à ce propos, désormais ce n’en sont plus. Si l’on n’en entend pas parler, c’est, d’une part, que Jérusalem n’a pas intérêt à rendre cette coopération publique à l’international ; et de l’autre, parce que la puissante minorité des Druzes israéliens ne l’apprécie pas, le Front du Sud affrontant parfois ses frères druzes syriens, dont certains ont pris le parti du régime. Troisièmement, la zone où se déroule ce conflit se situe en dehors des autoroutes empruntées par les troupeaux de journalistes, elle est difficile d’accès et follement dangereuse.
Reste que ce qui ne se voit pas à la télévision existe tout de même dans la réalité, même si presque personne n’est au courant. Comme le fait qu’hier, le Front du Sud a procédé à un bombardement en règle de l’enclave salafiste, l’arrosant de 120 obus de différents calibres. Ce barrage d’artillerie précédait une offensive au sol qui fait rage depuis lors, à coups de mitrailleuses lourdes et de mortiers. Des avions survolent sans arrêt le théâtre des affrontements.
Ce qui est encore bien plus intéressant est qu’un raid de l’Aviation israélienne a visé le quartier général de Jaysh Ibn al Waleed lundi, dans la localité de Shaham al Jolan (carte). C’est du moins ce que rapportent des media arabes ainsi que des sources locales.
Nous avons appris qu’au moins douze personnes ont été tuées lors de l’attaque aérienne, dont au moins quatre commandants et six autres membres de l’organisation islamiste. Et le bilan n’est pas définitif, plusieurs blessés se trouvant dans un état critique.
On parle, de l’autre côté de la frontière du Golan, de trois commandants en chef du mouvement qui auraient ainsi été neutralisés en l’espace de dix mois. Un doute persiste quant à un raid aérien précédent datant du 17 août dernier et ayant fait au moins 28 victimes. Les sources rebelles ne "sont pas absolument certaines qu’il se soit agi d’appareils israéliens", même si c’est l’hypothèse qu’ils privilégient largement.
C’était peut-être des chasseurs-bombardiers jordaniens ; parce qu’ils opèrent fréquemment sur le Golan en patrouille avec les F-16 hébreux, et parce qu’ils ont les mêmes intérêts que les Israéliens d’éloigner ces fous dangereux de la proximité immédiate de leur pays. Cela pourrait-être également, à l’extrême rigueur, des avions de la "coalition globale" américaine, ceux qui pourchassent DAESH dans les autres parties de la Syrie. Quoi qu’il en soit, si ce ne sont pas les Israéliens qui ont réalisé l’opération du 17 août, elle a été conduite avec leur accord absolu, vu qu’elle s’est déroulée à quelques kilomètres de leur frontière, et que personne ne s’aventure aussi près sans avoir leur consentement.
Les mêmes interrogations existent quant au raid aérien précédent contre la poche salafiste. C’était le 7 juin de cette année, dans la zone de Jamla (carte). Des dizaines de combattants du Jaysh avaient perdu la vie, dont au moins douze "officiers" supérieurs.
Etrangement (ou pas), quelques heures après le raid de lundi, au JT du soir de la TV publique israélienne, les téléspectateurs ont été abasourdis en visionnant le premier reportage où l’on voit Tsahal transférer aux Syriens du Golan des centaines de tonnes de vivres, de générateurs, des véhicules de secours, du carburant, des denrées pour bébés, des médicaments et divers autres matériels humanitaires.
Les étiquettes sont agrémentées du dicton : "Mieux vaut un voisin proche qu’un frère éloigné", ainsi que de citations du Coran. Les imams du Golan ont donné leur accord pour recevoir et consommer les produits israéliens. Quant au régime de Damas, il a fait savoir que, lorsqu’il reviendrait, il sera disposé à pardonner à ceux qui ont tenu des armes contre lui mais pas à ceux qui ont pactisé avec Israël. Mais cela ne fait plus peur à personne.
Côté israélien, on remarque que, depuis des années, aucun attentat n’a été perpétré depuis les zones où, du nord au sud du Golan, chaque nuit, on décharge l’aide humanitaire. Une jeune syrienne appelle l’officier israélien en charge de la logistique Abou Yakoub (papa Jacob), et elle lui a offert un dessin que l’on voit à la fin du reportage.
De toute évidence, ce n’est pas demain la veille que Bashar al Assad et le Hezbollah viendront déranger les relations de voisinage normales qui se créent. Avec les voisins normaux, s’entend, évidemment.
Lien reportage TV israélienne :