Le Golan bouge

Le Golan bouge (info # 012904/17)[Analyse]

Par Jean Tsadik © MetulaNewsAgency

 

Depuis longtemps, plus de deux ans, la situation sur le plateau du Golan était plutôt figée. Israël protégeait jalousement sa frontière – en fait, la ligne de séparation des forces Alpha – observant les belligérants syriens. En face, les forces gouvernementales et leurs alliés iraniens et libanais du Hezbollah, augmentés de quelques dizaines de Druzes syriens favorables au régime d’Assad, d’une part, et le Front du Sud, une mosaïque hétéroclite de pas moins de soixante organisations, de l’autre, se livraient à une guerre de positions, incapables, ni les uns ni les autres, de forcer la décision militaire.

 

Pendant que l’aviation du régime bombardait les villes tenues par la rébellion à coups de barils d’explosifs, le Front du Sud s’était emparé de la quasi-totalité de la frontière avec Israël. Hormis une zone contrôlée par des partisans de l’Etat Islamique au sud du plateau, dans le secteur des trois frontières, ainsi que quatre kilomètres à proximité du mont Hermon, qui demeurent entre les mains de l’Armée régulière.

 

Israël subvenait aux besoins les plus urgents des insurgés en matière d’assistance médicale et de nourriture, et en transférant à la rébellion les armes achetées par des pays arabes et, par intermittence, par les Etats-Unis.

 

Chaque fois qu’un obus tombait en territoire israélien, Tsahal ripostait – c’est encore arrivé il y a une semaine -, en prenant soin de détruire la batterie d’artillerie qui avait tiré le projectile.A de rares reprises, des avions ennemis qui s’approchaient de trop près de la frontière ont été immédiatement abattus. Sauf quand les appareils étaient russes et qu’ils s’étaient aventuré dans notre ciel - volontairement ou non, allez savoir, les pilotes de Poutine ont de vraies lacunes en matière de navigation ! -, auquel cas, en leur parlant à la radio dans leur langue maternelle, nos contrôleurs aériens les remettaient dans le bon chemin sans coup férir.

 

En d’autres occasions, l’Armée israélienne est intervenue par des frappes ciblées contre des véhicules ou des positions d’une force spéciale qui comprend des Syriens, des Iraniens, des Hezbollani et des Druzes. Plusieurs généraux iraniens et les plus hauts responsables militaires du Hezb y ont laissé leur peau avant qu’ils ne puissent réaliser les opérations qu’ils ourdissaient. L’archi-terroriste libanais Samir Kountar, qui chapeautait ces activités pour les Iraniens et le Hezbollah, s’est fait cueillir en décembre 2015 par un missile dans un appartement de Damas où il se croyait en sécurité.

 

La situation que je viens de décrire brièvement prévaut encore, mais plusieurs choses sont en train de changer. D’abord au niveau humanitaire : l’Etat hébreu ayant autorisé des réfugiés syriens à s’établir à trente mètres de l’épais grillage qui marque sa frontière. Il s’agit d’un village de quelques dizaines de tentes, situé au sud du Moshav (village semi-collectiviste) d’Aloneï Habashan (voir carte).

 

Des volontaires de la société civile israélienne fournissent aux habitants syriens de la nourriture, des tentes et des produits de première nécessité. De plus, les plus proches voisins syriens des réfugiés appartiennent au village circassien de Bariqa (ou al Bariqa). Ils sont eux-mêmes des ex-réfugiés du sud de la Russie, chassés par les tsars, chrétiens à l’origine et convertis à l’islam par les Ottomans en échange du droit de s’implanter dans ce qui est aujourd’hui la Jordanie, Israël et la Syrie. En Israël, où ils ont établi deux villages, ils sont des citoyens exemplaires, qui remplissent tous leurs devoirs, y compris celui d’accomplir leur service militaire. L’un d’entre eux, Bibras Natkho, est l’un des piliers de l’équipe nationale israélienne de football.  

 

A Bariqa, ils ont conservé leur sens de l’hospitalité au cours des ans et cultivent les valeurs pacifiques. De sorte que même durant les conflits les plus durs du passé entre Damas et Jérusalem, ils ont veillé à garder des relations sereines avec Aloneï Habashan, distant uniquement de quelques centaines de mètres. On peut également avancer que, dans cette Syrie où les minorités sont régulièrement mises à rude épreuve, les Circassiens considéraient Israël comme une sorte de police d’assurance sur la vie.

 

En tout état de cause, les réfugiés du village de tentes sans nom n’ont rien à craindre de Bariqa, bien au contraire, et leur nombre va sans cesse croissant, suscitant l’irritation du pouvoir et de ses complices.  

 

Cette semaine, comme on le distingue sur une photo (ci-dessous) prise à partir de la Syrie, Tsahal a procédé à une incursion de quelques centaines de mètres en territoire ennemi pour permettre à des officiers de traverser le grillage et de venir s’entretenir de vive voix avec les réfugiés. Les objectifs consistaient à établir une liste de leurs besoins, à faire plus ample connaissance avec les responsables, à fixer des règles de cohabitation et de communication, et à s’assurer que des éléments hostiles ne s’étaient pas mélangés aux réfugiés.

 

Durant la même semaine, l’une de nos équipes de reporters a tenté de s’approcher du village de tentes, mais elle en a été empêchée par l’Armée, qui a bouclé toutes les routes et les sentiers qui conduisent aux réfugiés. Durant cette tentative, nos camarades ont fortuitement essuyé plusieurs tirs d’obus des soldats d’Assad, dont certains n’explosant qu’à quelques centaines de mètres de leurs Jeeps.

 

L’aspect humanitaire de cette nouvelle implantation coïncide avec plusieurs préoccupations stratégiques communes aux gouvernements israélien et jordanien. Celle qui prédomine veut qu’il est préférable de s’occuper des réfugiés chez eux que de les accueillir chez soi. Surtout pour des "petits" pays comme l’Etat hébreu et la monarchie hachémite. Dans cette dernière, ils sont déjà 1.4 millions, pour une population indigène de dix millions de personnes. Ils coutent annuellement au royaume pas moins de 2.5 milliards de dollars, soit 6% du produit intérieur brut. De plus, dans ce pays démographiquement instable, dirigé par une petite minorité de descendants de bédouins et comptant de nombreux groupes hostiles au pouvoir, ainsi qu’une menace représentée par l’islam radical, l’hébergement des réfugiés pose problème.

 

Quant à Israël et à ses 8.6 millions d’habitants, depuis le début de la Guerre Civile chez son voisin, il n’a reçu que des Syriens malades ou blessés, afin de les soigner et de les renvoyer chez eux une fois rétablis. Pour Jérusalem, il n’est pas question de modifier la proportion entre Juifs et Arabes par un afflux massif de musulmans sunnites.

 

En tenant compte de ces facteurs, on comprend aisément pourquoi le Roi Abdallah et le Premier ministre Binyamin Netanyahu envisagent depuis un certain temps déjà d’instaurer une zone sécurisée pour les réfugiés dans le Golan, quitte à en prendre soin sur place.

 

Cette préoccupation se marie à ravir avec la volonté de maintenir les alliés de Bashar al Assad, le Hezbollah et l’Iran, le plus loin possible de leurs frontières. Et ce souci a encore grandi avec les victoires remportées par le régime dans l’ombre l’intervention russe. La politique ne connaissant pas de situation de vide, Téhéran est fortement tenté d’avancer ses pions en direction de ses ennemis israélites et sunnites ; ne serait-ce que pour se trouver dans leur proximité en cas d’attaque contre l’Iran, et de pouvoir répliquer en palliant le manque d’armes fiables à longue distance par  des missiles de courte portée, l’artillerie, et les fantassins, dont il dispose en très grand nombre.

 

L’idée des Jordaniens et des Israéliens consiste à armer, conseiller et renforcer les entités fréquentables parmi celles qui composent le Front du Sud. Non seulement il en existe, mais elles sont déjà en contact avec Amman et Jérusalem, pratiquant un dialogue pragmatique et efficace.

 

Avec l’aide des Etats-Unis et des pays arabes, entièrement conquis par le projet, il s’agirait de repousser l’Armée alaouite et ses alliés, en rouge sur la carte, dans un premier temps du saillant qui conduit de Damas presque jusqu’à la frontière jordanienne, le long de l’autoroute M5. Et ensuite, sans toucher au Jabal Druze (la montagne des Druzes), ce qui générerait des troubles aussi graves qu’inutiles en Israël avec l’influente minorité druze locale, d’occuper et de sécuriser tout le Golan syrien, jusqu’à une vingtaine ou une trentaine de kilomètres au sud de Damas.

 

Les bénéfices d’une telle opération seraient multiples : relocaliser les réfugiés, éloigner les ennemis irréductibles, imprimer une pression constante sur le régime, ce qui ne peut être que favorable au moment où les négociations réelles concernant l’avenir de la Syrie s’ouvriront, et s’assurer de bonnes relations avec la population qu'on aura aidée, qui continuera, dans sa majorité, à demeurer dans le Golan, et qui restera longtemps tributaire de l’aide des pays arabes, de celle de Washington et des Occidentaux, et du rôle de voisins attentionnés et compréhensifs de la Jordanie et d’Israël.

 

Autre avantage appréciable, dans cette guerre de religion qui ne dit pas son nom, les sunnites et leurs adversaires chiites et alaouites ne sont pas miscibles, ce qui réduit quasiment à néant le risque de renversement d’alliances et de trahisons.

 

Pour toutes ces raisons, on doit considérer le village de tentes qui s’est spontanément établi le long de la frontière israélienne à la recherche de protection comme un ballon d’essai. Tout le plateau pourrait bientôt lui ressembler, avant de se pérenniser par des constructions en dur dans les nombreuses agglomérations de moyenne importance qui foisonnent dans la région. Le projet est certes vertigineux, car, en plus des réfugiés actuellement en Jordanie, il faut s’attendre à en voir affluer d’autres en provenance des zones dominées par la dictature alaouite d’al Assad. Mais comme me l’a confié un responsable jordanien il y a quelques jours, cette population est déjà hébergée, nourrie et encadrée médicalement, "il suffira de la déplacer de quelques dizaines de kilomètres et d’améliorer les infrastructures. En plus, elle sera chez elle et pourra participer à la construction de son avenir, ce qui n’est pas le cas actuellement".

 

Il existe plusieurs conditions à la réussite de ce projet, la principale étant la reconquête du territoire et sa sécurisation. Tant que cela ne sera pas accompli, les réfugiés refuseront de rentrer chez eux pour y affronter l’incertitude.

 

On y travaille ferme. Une zone de concentration, de formation et de dotation des forces du Front du Sud a été installée dans le sud du Golan syrien, dans un secteur déjà contrôlé par la rébellion (carte), et trop proche de la frontière jordanienne pour que l’Aviation d’Assad ne la pilonne impunément. D’ailleurs, les F-16 jordaniens et israéliens ne la laisseraient pas faire, et les patrouilles conjointes sur le Golan sont monnaie courante. De plus, les Hachémites disposent à al Mafraq (carte), à 10km de la frontière, d’un aéroport possédant une piste de 3.5km de long, ce qui est amplement suffisant pour acheminer sur place tous les équipements civils comme militaires nécessaires au projet.  

 

Le problème majeur procède du danger d’une réaction violente des Russes qui sont les protecteurs du régime de Damas. Or il est hors de question de se confronter aux Russes et ce n’est pas une affaire de rapport de forces au niveau régional, qui pourrait être gérable ; c’est que ni la Jordanie ni Israël, même avec l’appui politique de toute la région, ne peuvent supporter le risque d’un conflit avec la Russie, qui reste la seconde puissance militaire de la planète.

 

Il existe deux solutions à cet écueil : la première consiste à conserver le statu quo négocié entre Jérusalem et Moscou, qui veut que ni l’un ni l’autre n’intervienne avec son aviation dans le Golan syrien à moins d’être directement attaqué. Cela implique que l’Aviation syrienne demeurerait la seule à pouvoir utiliser cet espace aérien et que le Front du Sud devrait opérer sans couverture aérienne, ce qui est déjà le cas actuellement.

 

Cela complique évidemment les choses dans la perspective de l’offensive majeure qui est en train de se mettre en place. Même si l’efficacité de l’Armée de l’air d’Assad, fortement diminuée par la Guerre Civile, ne joue pas le même rôle déterminant que celles de ses voisins, et que les Hébreux et les Jordaniens pourraient continuer à lui interdire l’espace de vol situé à dix kilomètres de leurs frontières environ, sans pour cela déclencher la furie de Poutine.

 

L’autre solution, largement plus confortable, consisterait à obtenir l’appui définitif des USA qui sont déjà continuellement informés du déroulement des préparatifs. Il suffirait sans doute que l’U.S Air Force survole massivement la région durant l’offensive et décrète l’interdiction de survol du Golan par les aviations des autres pays pour dissuader les Syriens, mais surtout les Russes, d’intervenir par la voie des airs.

 

Trump prendrait un risque en assumant ce genre d’engagement, mais c’est un risque calculé et partant limité. Un risque qu’il a déjà pris en lançant, au début de ce mois, ses 59 Tomawak sur la base aérienne syrienne de Shayrat en passant sur la tête des Russes. Lesquels ont pesté et menacé de réagir, mais leurs appareils se gardent consciencieusement de défier le dispositif militaire américain dans la région.

 

Il est probable que l’on assisterait au même scénario au cas où le nouveau président américain décréterait l’interdiction du survol du Golan, les Russes n’étant pas suicidaires non plus.

 

Et puis Trump, après l’utilisation par Assad de gaz de combat contre des civils au nord de Homs, semble décidé à renverser le dictateur alaouite, c’est du moins ce qu’il affirme désormais. Or l’offensive en gestation constitue l’un des seuls moyens pratiques de parvenir à cette fin sans envoyer de boys massivement sur le terrain.

 

D’autre part, il comprend, qu’accessoirement, l’éviction définitive d’Assad et de ses acolytes du plateau du Golan consacrerait de facto l’annexion auto-proclamée de sa partie occidentale par Israël. Futé comme il l’est, habile en négociations et sachant exploiter la puissance de son pays (ce qu’Obama ne savait pas faire), le président-milliardaire pourrait faire pression sur Netanyahu afin qu’en échange de son soutien pour le "projet" sur le Golan, il montre de la souplesse face à l’Autorité Palestinienne.

 

Car tout le monde l’aura remarqué, Donald Trump s’est aussi mis en tête de résoudre le différend au demeurant insoluble entre Israël et les Palestiniens. Cette semaine il a déclaré "qu’il n’existait pas de raison quelle qu’elle soit pour qu’il n’y ait pas la paix entre Israël et les Palestiniens". Cela sera encore plus évident durant le mois de mai, lorsqu’après avoir rencontré Mahmoud Abbas à Washington, mercredi prochain, il se rendra à Jérusalem le 22, à son initiative, pour rendre visite à M. Netanyahu. Or les analystes de la Ména et nos amis et confrères régionaux, tant institutionnels que privés, partagent l’avis que cela ne sera pas uniquement, ni même principalement, une visite de politesse.

 

Dans l’attente de développements dramatiques, les combattants du Font du Sud continuent de s’organiser en vue de la bataille qui pourrait bien constituer le tournant de la Guerre Civile syrienne. Et ces préparatifs augmentent la tension de plus en plus perceptible dans l’air, ainsi que le nombre des incidents, qui vont de pair avec les tentatives des adversaires de renforcer leur armement.

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