Le rabbin et le parachute. Par Rav Elie Kling

Le rabbin et le parachute. Par Rav Elie Kling

Septembre 1948.

L’Etat juif a 4 mois à peine. La guerre d’indépendance fait rage sur tous les fronts. Le conte Bernadotte, envoyé spécial de l’ONU, propose une nouvelle partition du pays qui priverait Israël du Neguev et exigerait l’internationalisation de Jérusalem. Les forces égyptiennes coupent toujours le Neguev du reste du pays. Depuis Faloudja (Kiryat Gat), ils progressent vers Hevron pour faire la jonction avec la Légion arabe de Jordanie. Il faut absolument préparer une attaque dans le Sud pour briser les forces égyptiennes et conserver le Neguev. Mais peut-on dégarnir le front nord face aux armées irakiennes, syriennes et libanaises ? Ben Gourion demande au gouvernement de se réunir d’urgence pour une nouvelle réunion de crise, avec à l’ordre du jour….

A votre avis, quel peut bien être l’ordre du jour de la réunion de crise du gouvernement en septembre 1948? La percée vers le sud ? La conquête de la Galilée occidentale? La réaction au plan Bernadotte ?  Pas du tout. Au centre des discussions, l’affaire des 2 cuistots!

Scandale en cuisine!

Deux cuisiniers de la division Alexandroni reçoivent l’ordre de leur supérieur de cuisiner pour les soldats de la division qui doit partir au front. Ils refusent. Motif : « aujourd’hui, c’est chabbat et on ne cuisine pas. On donnera à manger froid à nos amis combattants. Rien de bien grave ». Les officiers supérieurs le prennent mal et nos deux soldats-cuisiniers se retrouvent au trou, à la prison militaire. L’incident prit rapidement des proportions inattendues : les copains des cuistots font une grève de la faim de 24 heures (vous me direz que de toutes façons, il n’y avait plus personne à la cuisine, ce à quoi je vous répondrais de garder vos remarques pseudo-humoristiques pour vous, merci). L’affaire fait le tour du pays, le ministre des cultes, démissionne au motif qu’une armée qui emprisonne des soldats dont le seul crime est de vouloir respecter la Thora, n’est pas une armée juive. Manifs à Tel-Aviv, Ramat-Gan et Bné-Brak. Crise ministérielle. Balagan. Ben Gourion promet de libérer les deux soldats et de réunir le conseil des ministres pour discuter du problème de fond : le respect du chabbat à l’armée.

Réunion de crise

Tous les ministres sont là: du Rav Levine de la Aggouda (harédi) jusqu’à Bentov et Tsizling de la très laïque Hachomer Hatsaïr (Mapam) et bien sûr le ministre démissionnaire, rav Maïmon. Ultimatum des religieux: ils ne resteront pas au gouvernement si on ne crée pas des unités pour religieux uniquement dans lesquelles ils pourraient respecter la Thora sans problème! Les ministres laïcs applaudissent des deux mains!  « Entièrement d’accord, dit l’un d’eux. Ils pourront ainsi prier toute la journée si ça leur chante et manger du Tchoulent (= la daf des ashkenazim) toute la semaine si ça les amuse, mais qu’ils ne nous imposent rien! » Devant l’unanimité de la proposition, rien ne semblait pouvoir empêcher qu’elle soit votée. C’est alors que Ben Gourion donna la parole au Rav Goren, qui venait d’être nommé grand rabbin de Tsahal

Un seul Tsahal

« Non seulement, je m’oppose radicalement à cette proposition mais je vous prie de prendre note que si celle-ci devait être acceptée et que tout soldat pratiquant devait être enrôlé dans une unité religieuse, je vous présenterai immédiatement ma démission. Je reprendrai ma place de tireur d’élite pour la défense de Jérusalem et, à la fin de la guerre, je retournerai à la vie civile ». Devant le silence étonné des ministres, rav Goren poursuivit :  » Cela fait 2000 ans qu’on nous enferme dans des ghettos et vous voudriez recréer des ghettos pour les religieux chez nous, en Erets Israël, dans notre pays indépendant, au sein même de notre armée ?! C’est hors de question ! Ce serait un énorme « hilloul hachem » si Tsahal ne pouvait trouver de solution pour les soldats pratiquants que dans le cadre d’unités réservées ! C’est toute l’armée qui doit se comporter comme une armée juive ! La proposition des partis religieux équivaut à créer une armée goy, semblable à toutes les armées du monde! Ne comptez pas sur moi pour approuver ça ! Les soldats doivent être repartis dans les unités en fonction de leurs capacités et des besoins de Tsahal, certainement pas en fonction de leurs convictions religieuses. Cela signifie d’abord que toutes les cuisines militaires doivent être cashères et que tous les repas servis aussi; ensuite que le chabbat doit être un jour de repos, sauf bien sûr en temps de guerre ou pour faire de l’indispensable maintenance. Enfin, il est obligatoire qu’il y ait une synagogue dans chaque camp et dans chaque caserne militaire, quelle que soit son importance. Sans ces 3 conditions, je retourne dans mon unité comme simple soldat. » Ben Gourion prit alors la parole à son tour.  » Goren a raison. Il n’y aura qu’une seule armée. Et puisque les non pratiquants ont le droit de manger casher alors que les pratiquants ne peuvent pas manger autre chose, tout le monde mangera casher! Et toute l’armée respectera le chabbat. Goren me préparera une liste de ce que tout cela signifie pratiquement et en évaluera le coût. Je transmettrai cela à l’Etat-major. Fin de la séance ». Ben Gourion, comme souvent « oublia » de soumettre sa proposition au vote.  On entendit Bentov murmurer: « tu n’as aucune idée de ce que tout cela va nous coûter, Ben Gourion » . Ce à quoi Rav Goren répondit: « 2 services de vaisselle, 4 en comptant pessah’, sans compter les sifré Thora, houmachim , sidourim et le mobilier pour les synagogues. Mais nous gagnerons une armée juive ».

Le premier para en kippa

Plus tard, rav Goren visita systématiquement toutes les unités de Tsahal pour voir si les consignes étaient respectées. Il eut la désagréable surprise de constater que chez les paras, le commandant, un certain Arik Sharon, n’avait pas construit de synagogue.

  • Tu transgresses les ordres de l’Etat-major, lui fit remarquer rav Goren.
  • Rav Shlomo, il n’y a pas un seul para en kippa dans tout Tsahal et ça n’est pas prêt de changer. Si tu m’en trouves, ne serait-ce qu’un seul, je m’engage personnellement à ce qu’il y ait ici une synagogue dans laquelle rien ne manquera.
  • Je connais un para religieux, répondit R. Goren
  • Ah bon? Qui ?
  • Moi!
  • Tu triches, rétorqua Sharon ! Je parle d’un vrai para qui après des entrainements intensifs saute et obtient les ailes de l’unité.

Quelques temps après, Sharon eut la surprise d’être invité à la remise des ailes au grand rabbin de Tsahal. Rav Goren avait fait tous les entrainements nécessaires et avait sauté en parachute, atterrissant devant un Sharon qui n’en revenait pas. Quelques jours plus tard, la synagogue était prête.

Comme quoi, il suffit parfois d’un seul homme déterminé pour changer le cours de l’histoire.

Arrêtez-moi si je dis des bêtises….

Rav Elie Kling

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