Les Tunisiennes, rempart contre l'intégrisme

Les Tunisiennes, rempart contre l'intégrisme

MAYA KSOURI / chroniqueuse à la télévision tunisienne 

Dans une tribune, la chroniqueuse tunisienne engagée Maya Ksouri déplore l'intégrisme religieux en Tunisie, dont les femmes sont les principales victimes.

La semaine dernière, j'ai participé à l'université d'automne des femmes tunisiennes et françaises, organisé par les think tanks Tunisiennes fières et Femmes débats et société, au Sénat. L'un des sujets de ce colloque était : « les femmes, rempart contre les intégrismes ». Tel que présenté, le thème de cet événement pourrait être le prétexte idéal pour des tirades autosatisfaites et pérorantes dans le parfait prolongement des discours politiquement corrects nourrissant les applaudissements de décideurs qui ont, pour le mieux, failli dans le maniement des intégrismes.

Les femmes, remparts contre les intégrismes... Les femmes ont-elles le choix ? Ont-elles vraiment le choix face à une mouvance qui les vise en premier et pour laquelle elles ne sont qu'Eve tentatrice, une mouvance qui mobilise en diabolisant le corps des femmes, leur chevelure, leur voix et la longueur de leurs jupes.

Ennahdha, parti à l'ADN intégriste

Cependant, les femmes ne sont pas toutes hostiles à l'intégrisme et si un million de femmes (sur les 1.731.529 voix qu'il a récoltées) a voté pour l'actuel président tunisien  Beiji Caïd Essebsi, comme il aime tant à le rappeler, ce même président défend aujourd'hui un règne consensuel avec les islamistes tunisiens, au motif justement qu'une partie très conséquente des Tunisiens, donc des Tunisiennes, a opté pour le parti Ennahdha.

Pourquoi ces femmes votent-elles pour un parti dont l'ADN intégriste, demeuré inchangé, malgré ses nouveaux oripeaux, est de les réifier sous couvert de les protéger ? Telle est la question qui appelle des réponses culturelles, sociologiques, économiques et politiques sur lesquelles on a beaucoup glosé et auxquelles je ne pense rien ajouter...

Mais ces femmes considèrent-elles aujourd'hui cet islam politique, représenté par un parti comme la Nahda tunisienne, comme un intégrisme ? Le monde libre, ses hommes et ses femmes, considèrent-ils ces partis identitaires comme des partis intégristes ? Considèrent-ils ces partis dont toutes les élues sont voilées comme intégristes ? Là est la question...

Islam modéré ou intégrisme ?

Car, par un certain glissement, niais pour les uns, opportuniste pour les autres, l'islam politique n'est plus considéré comme un intégrisme par principe. Aujourd'hui on « distingue », comme le jésuite Berthier de Voltaire... Pour mieux asseoir le distinguo on a inventé cette hérésie d'islam modéré.

En parallèle, si la question de la burka demeure posée, toute critique du voile islamique est désormais taxée d'islamophobie. Alors que le fondement du voile est le même que celui de la burka. Pas de différence de nature, mais seulement de degrés arbitrairement fluctuants... Et dans les développements qui ont précédé, on peut remplacer le mot « voile » par « islam modéré » et le mot « burka » par « intégrisme ».

Or si les politiques des états libres et démocratiques fraient avec l'islam politique (et même avec le terrorisme de l'organisation « Jabhat Annosra » syrienne) par opportunisme ou par cynisme et si leurs leaders d'opinion, comme Monsieur Edwy Plenel, défendent le « burkini » et considèrent le voile comme étant « un vêtement comme un autre » par les magiques ressorts de ce nouveau tiers-mondisme qu'est l'islamo-progressisme qui n'est en fait qu'une condescendance qui nous est infligée.

Or si tel est l'état des choses, voilà qu'elles sont bien seules, au fond, ces femmes qui ont choisi d'être un rempart contre l'incursion du religieux dans la chose publique... et privée.

Trop seules

Ces femmes qui vivent au quotidien cet intégrisme insidieux qu'est l'islam politique dont les recrues, issues d'un traditionnel fond de misogynie et de machisme patriarcal, les lynchent pour une tête découverte lors de l'adieu à un très proche au cimetière musulman réservé aux hommes ou pour leur verbe jugé trop haut ou encore pour un baiser amoureusement et publiquement échangé avec un ami ; ces femmes dont certaines sont obligées de subir une escorte policière car l'islam politique, en intégrisme qu'il est, a bien expliqué à ses ouailles, que le critiquer est une apostasie passible du genre d'exécution qu'a subi Chokri Belaïd  [un militant tunisien anti-islamiste, NDLR]. C'est ce même islam politique dont les leaders font patte blanche quand ils s'adressent au « monde libre ».

Les voilà bien seules, ces femmes, remparts contre l'intégrisme. Je parle bien entendu de solitude intellectuelle et humaniste car ces femmes ne quémandent pas une aide logistique étrangère.

Redéfinir l'intégrisme, est ainsi une priorité pour vaincre à long terme. Une redéfinition à l'aune des principes universels et non pas à celle des immédiats intérêts sonnants et trébuchants qui se sont révélées à bien d'égards contre productifs. Ils se sont révélés ainsi dans le sang du Bataclan, de Charlie et du  lycée de Toulouse Ozar Hatorah.

Revoir ses classiques, le sens de la laïcité qui n'est pas le communautarisme serait la seule démarche à même de stopper à long terme la gangrène, se ressaisir des thèmes qui ont fait la grandeur de la France, patrie des lumières, et qui sont aujourd'hui livrées en pâture à l'extrême-droite. Et ceci sans faux-semblants ni complexes, qui font, par exemple, qu'aujourd'hui le titre de notre panel soit « intégrismes » au pluriel alors que l'intégrisme qui sévit aujourd'hui est un.

Mais quid des Afghanes qui se font encore décapiter pour être sorties seules faire du shopping ?

Renoncer à ce combat contre la perte de sens, nous condamnera, nous femmes tunisiennes, bénéficiant d'une ambiance démocratique, à une solitude intellectuelle pour faire barrage à l'islamisme au quotidien. Mais quid des Afghanes qui se font encore décapiter pour être sorties seules faire du shopping ? Si nous femmes tunisiennes, avons encore cette possibilité de faire rempart, à quel prix, ces Afghanes peuvent-elles faire rempart ? A quel prix vont-elles payer leur combat quand des femmes évoluant dans certaines cités de France, laissées à leur communautarisme, n'arrivent pas à faire rempart et se voilent pour avoir la paix ?

La bien-pensance est certes lénifiante, mais dans le cas de l'islam politique elle ne sera qu'une insulte à notre combat, nous les femmes qui avons choisi de faire rempart contre l'intégrisme islamiste.

Maya Ksouri est chroniqueuse dans l'émission « Klem ElNess » de la chaîne de télévision tunisienne Elhiwar Etounssi.

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