Les otages, par Richard Prasquier

Le billet de Richard Prasquier - Les otages
 

L’allié américain presse le gouvernement israélien à accepter un accord sur les otages avant le Ramadan qui aura lieu du dimanche 10 mars au soir au lundi 9 avril.

Quel  lien entre les otages et le Ramadan ?  Les sites islamiques le définissent comme le mois de la paix. Mais il n’est pas sûr que, depuis sa luxueuse résidence de Doha, Ismael Haniyeh, chef du Bureau politique du Hamas, en ait la même conception. Il vient de demander aux Palestiniens de prendre d’assaut au cours du Ramadan, le Mont du Temple à Jérusalem, pardon, l’Esplanade des Mosquées…

Pendant ce temps, les pédiatres de l’hôpital Soroka à Bersheba soignent sa petite nièce, née prématurément. Rien de plus normal : l’enfant est israélienne, son père est un bédouin du Negev, plusieurs de ses soeurs détiennent la nationalité israélienne et sa propre fille avait été soignée en Israël. Ismael Haniyeh n’a évidemment pas de mots assez durs pour fustiger le racisme et l’apartheid israélien.

Si un accord sur les otages survient, Haniyeh n’y sera d’ailleurs pour rien: il dira ce que les Qataris lui demanderont de dire, et ceux-ci ont tout intérêt à échanger le rôle de corrupteur en chef de l’Occident pour celui d’honnête conciliateur.

Combien d’otages retourneront-ils « à la maison » ? Après les pourparlers de Paris, on a écrit que en échange de six semaines de cessez-le-feu, 40 otages seraient relâchés contre 400 Palestiniens emprisonnés en Israël. Mais il s’agit de propositions américaines et des commentaires qataris ont douché l’optimisme volontariste affiché par le président Joe Biden.

Le nombre d’otages est officiellement de 130. Parmi les morts, on n’a retrouvé aucune trace ADN de Bilha Yinon, 76 ans, du Moshav Netiv Ha’asara. Son sort est donc considéré comme incertain, mais sa famille, convaincue qu’elle a été assassinée en même temps que son mari, a déjà fait son deuil.

Combien de ces 130 otages sont-ils encore vivants ? L’armée israélienne a annoncé leur mort aux familles de 31 d’entre eux. Il resterait donc une centaine d’otages, dont une dizaine ne sont pas Israéliens. Nul ne connait le nombre de ceux qui sont vivants et le Hamas qui annonce à l’unité près le nombre de morts gazaouis à la suite des frappes israéliennes, prétend ne pas le savoir s’il y avait eu une Croix Rouge Internationale digne de ce nom, elle se serait donné pour première mission d’effectuer cette recherche. Mais, on le sait, ses priorités sont ailleurs.

Même si un accord  a lieu, chacun sait qu’il ne portera pas sur tous les otages, et qu’il laissera de nombreuses familles à leur insupportable angoisse. Quelque empathie que nous puissions ressentir, nous ne pourrons jamais approcher ce gouffre émotionnel où la peur rencontre l’incertitude.

Le terme d’otage, par sa ressemblance avec hôte et hôtel, qui tient probablement d’une étymologie commune, était adapté aux temps anciens où des prisonniers triés sur le volet et traités avec honneur servaient de garantie à la pérennité d’une alliance. Il ne l’est plus aujourd’hui où l’otage chosifié peut servir de monnaie d’échange, d’instrument de chantage, de gilet pare-balles et d’objet de tous les sévices. Le mot hébreu hatoufim qui implique un arrachement violent est bien plus adapté à la réalité, car dans ce domaine les Israéliens ont eu l’occasion de parfaire leur vocabulaire...

Transformer quelqu’un en otage est un crime inexcusable. Assimiler un otage à un terroriste qui a du sang sur les mains témoigne d’une confusion des valeurs aussi ahurissante que banale aujourd’hui. Se faire filmer crachant sur les photos des otages, comme l’a fait une jeune militante norvégienne, est une étape supplémentaire dans l’abjection. C’est la révolte devant cette video qui m’a poussé à parler aujourd’hui des otages.

Il y a eu - il y a toujours - deux objectifs essentiels à la guerre que mène Israël à Gaza, ramener les otages et détruire la capacité de nuisance du Hamas. Une énorme majorité d’Israéliens, y compris parmi ceux qui militaient jusque-là dans des organisations pacifistes, y souscrivent. Ils savent que la route est longue, ils constatent que malgré des succès aussi rares que spectaculaires, Israël n’a pas réussi à libérer militairement un nombre significatif d’otages, mais ils pensent que seule la force pourra démanteler une organisation dont l’intention est de faire disparaître l’Etat d’Israel par tous les moyens et qu’une pression menaçante sur le Hamas est le seul moyen de l’obliger à des concessions sur les otages. Ils considèrent que les appels à un cessez-le-feu définitif lui offrent une porte de sortie qui sera considérée comme une victoire, prélude certain à une récidive.

Les termes de cette équation sont partiellement contradictoires et suscitent des priorités divergentes, sans même parler des proches des otages dont les revendications comptent beaucoup dans l’opinion publique.

Pour beaucoup  d’Israéliens, le retour des otages reste un devoir moral imprescriptible, pour d’autres un retour des otages à un prix trop élevé fragiliserait la lutte contre le Hamas et mettrait à terme la sécurité des Israéliens en danger. La division ne se fait pas seulement entre la droite et la gauche. Il est des Israéliens très à droite, souvent nostalgiques de Begin, qui posent le primat du retour d’otages envers lesquels l’Etat d’Israel a failli à une promesse de protection au coeur du contrat national et qui pensent que le pays est suffisamment fort pour gérer la situation qui résulterait d’une libération massive de terroristes.

La présence à un niveau décisionnel de personnalités respectées comme Ganz et Eisenkot rassure la majorité des Israéliens, mais il est probable aussi que la dureté affichée par un Premier Ministre détesté par beaucoup, mais expert en rapport de forces, joue un rôle de garde-fou dans une négociation particulièrement difficile émotionnellement.

Beaucoup d’Israéliens ont été écoeurés quand Smotrich et certains de ses amis ont déclaré que le retour des otages est un objectif secondaire. Certains ont regretté le silence d’autorités religieuses alors que le Pidyon Chvouyim, le rachat des captifs, est un principe fondamental du judaïsme, par exemple dans cette phrase du Shoulhan-Aroukh : « chaque instant où l’on retarde la rançon d’un captif, c’est comme si on versait du sang ».

Mais d’autres Juifs orthodoxes rappellent que la tradition est plus complexe, et qu’elle enjoint aussi de ne pas payer un prix exagéré sous peine d’inciter les ennemis à recommencer et mettre encore plus la communauté en danger : c’est le message du rabbin Meir de  Rotenburg, qui au 13ème siècle interdit à ses fidèles de payer sa rançon et c’est le sens des Responsa de certaines autorités religieuses parfois sollicitées par les gouvernements israéliens dans le passé.

S’il n’y a pas de réponse religieuse univoque, la problématique morale est universelle. « Qui sauve un homme sauve un monde », cette phrase est gravée dans le coeur de beaucoup d’Israéliens et au sein de l’échantillon, certes biaisé, de ceux que j’ai rencontrés, j’ai constaté que ce débat garde une haute tenue et qu’il ne se limite pas à une réponse en blanc ou noir. Les décisions qui seront prises par le gouvernement seront difficiles et controversées, mais je ne doute pas qu’elles prendront en compte les opinions nuancées qui émergent de cette société israélienne qui s’est révélée ces dernières années par d’admirables qualités.

 

Richard Prasquier

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