Protestations en Iran

Protestations en Iran

 Par LEXPRESS.fr 

 

Depuis le 28 décembre, le régime iranien fait face à des manifestations d'importance. 21 personnes ont été tuées au total. Après avoir appelé au calme, Rohani a durci le ton.
L'Iran est le théâtre depuis jeudi d'importantes protestations, contre les difficultés économiques mais aussi des choix du régime du président Hassan Rohani. Ces manifestations sont inédites depuis le mouvement de contestation contre la réélection de l'ex-président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad en 2009. Mouvement à l'époque violemment réprimé. Le point sur la situation après des nuits de violences meurtrières. 

La chronologie des événements
Le 28 décembre, c'est dans le nord-est du pays, à Machhad, la deuxième ville d'Iran, que le mouvement émerge. Des centaines de personnes manifestent alors contre la hausse des prix, le chômage et le gouvernement. Selon des images vidéo, certains protestataires scandent aussi des slogans très hostiles, comme "mort à Rohani". D'autres fustigent sa politique internationale en criant "Abandonne la Syrie, occupe-toi de nous", en référence à l'engagement militaire et financier de Téhéran auprès de son proche allié, le président syrien Bachar Al-Assad. 

Le 29 décembre, le mouvement s'étend et des centaines de personnes manifestent à Qom (nord) en scandant notamment "Mort au dictateur" ou encore "Libérez les prisonniers politiques". 

Le 30 décembre, le pouvoir réagit et mobilise des dizaines de milliers de personnes dans les rues. Le ministre de l'Intérieur demande à la population de ne pas participer à des "rassemblements illégaux". Mais des débordements éclatent devant l'université de Téhéran entre étudiants pro et anti régime. Plus tard, des centaines de personnes manifestent dans le quartier de l'université, scandant des slogans hostiles au pouvoir, avant d'être dispersées par la police. Dans la nuit, des vidéos montrent des milliers de personnes défilant dans les villes à travers l'Iran. Deux manifestants sont tués lors de heurts à Doroud (ouest).  

Le 31 décembre, le ministre de l'Intérieur met en garde ceux qui "utilisent la violence et créent du désordre". Ils "doivent répondre de leurs actes et payer le prix", déclare-t-il.  

L'accès aux réseaux sociaux Telegram et Instagram sur les téléphones portables est de nouveau restreint. Les autorités accusent des groupes "contre-révolutionnaires" basés à l'étranger d'utiliser ces réseaux pour appeler les gens à manifester. Dans la nuit, de violentes manifestations secouent une dizaine de villes. Cette fois, dix personnes sont tuées.  

La nuit de lundi à mardi fut la plus meurtrière. Neuf personnes ont été tuées dans la province d'Ispahan selon la télévision d'Etat. Six manifestants sont morts dans des affrontements avec les forces de l'ordre alors qu'ils tentaient de prendre d'assaut un poste de police à Qahderijan. Un enfant de 11 ans a été tué et son père blessé par des tirs de manifestants à Khomeinyshahr alors qu'ils passaient près d'un rassemblement. Un jeune membre des Gardiens de la révolution -l'armée d'élite du régime- a par ailleurs été tué et un autre blessé par des tirs de fusil de chasse à Kahriz Sang. 

Le bilan des manifestations
Au total, 21 personnes ont péri dans les violences qui ont émaillé les protestations. Selon la télévision d'État, six personnes ont alors été abattues par des "tirs suspects" à Toyserkan (ouest). À Izeh (sud-ouest), deux autres manifestants ont été tués par balle, mais un responsable a dit ignorer si les tirs provenaient des forces de l'ordre ou des manifestants. Enfin, à Doroud (ouest), deux passagers à bord d'une voiture ont péri quand leur véhicule a été percuté par un camion de pompiers volé par des manifestants qui l'ont lâché du haut d'une pente, selon le préfet. 

Les autorités affirment que les forces de l'ordre ne tirent pas sur les manifestants et accusent des "contre-révolutionnaires" armés de s'infiltrer parmi eux. "À Toyserkan, des fauteurs de troubles masqués qui semblaient ne pas être des gens du coin ont attaqué et incendié des bâtiments publics". 

Les raisons de la colère
Hassan Rohani a été élu pour un second mandat en mai 2017. Ses premières années au pouvoir ont permis à l'Iran de sortir de son isolement avec la levée de sanctions internationales grâce à la signature en 2015 d'un accord historique avec les grandes puissances sur le programme nucléaire du pays. Cette victoire avait fait espérer aux Iraniens une amélioration de la mauvaise situation économique, mais les fruits de l'accord de 2015 se font toujours attendre.  

Ces derniers jours, le prix des oeufs, aliment essentiel pour les Iraniens des couches défavorisées, a presque doublé. Et le budget pour l'année à venir présenté début décembre au Parlement prévoit aussi d'augmenter le prix de l'essence de 50 %, comme le rappelle Le Monde. 

"Ce qui fait descendre les Iraniens dans la rue le plus souvent, ce sont des problèmes économiques ordinaires: la frustration face au manque d'emplois, l'incertitude par rapport à l'avenir de leurs enfants", explique Esfandyar Batmanghelidj, fondateur du Europe-Iran Business Forum. Selon cet expert, les troubles de ces derniers jours ont été provoqués par les mesures d'austérité du président Hassan Rohani. "Pour lui, les budgets d'austérité sont certes difficiles à faire passer mais il s'agit de mesures nécessaires face à l'inflation et aux problèmes de devise ainsi que pour tenter d'améliorer l'attractivité de l'Iran pour les investissements". Cependant, "après une période de sanctions très difficile, l'austérité ne peut qu'entamer la patience des gens". 

Toutefois, cette analyse n'est pas partagée par le premier vice-président Eshaq Jahanguiri, qui accuse lui des opposants d'être derrière les mouvements de protestations et d'instrumentaliser la situation. "Certains incidents survenus dans le pays ont eu lieu sous le prétexte de problèmes économiques mais il semble qu'il y ait autre chose derrière eux", affirme-t-il. 

Rohani durcit le ton, Trump s'en mêle
Dans un premier temps, Hassan Rohani avait appelé au calme. Il avait également promis "un plus grand espace pour les critiques". Mais ce lundi, le président iranien a averti que "le peuple iranien répondra aux fauteurs de troubles et aux hors-la-loi", en qualifiant les protestataires de "petite minorité qui insulte les valeurs sacrées et révolutionnaires". Il a également appelé au rassemblement: "notre économie a besoin d'une grande opération de chirurgie, nous devons tous être unis", a-t-il déclaré.  

Profitant de ces troubles dans un pays qu'il n'a de cesse de pointer du doigt, Donald Trump s'est engouffré dans la brèche. "L'Iran échoue à tous les niveaux, malgré le très mauvais accord passé avec le gouvernement Obama", écrit-il sur Twitter ce lundi. "Le grand peuple iranien est réprimé depuis des années. Il a faim de nourriture et de liberté. La richesse de l'Iran est confisquée, comme les droits de l'Homme. Il est temps que ça change!". 

C'est la troisième fois depuis vendredi que le président américain s'en prend au régime iranien. Samedi, il avait averti que "les régimes oppresseurs ne peuvent perdurer à jamais". "Le monde entier comprend que le bon peuple d'Iran veut un changement, et qu'à part le vaste pouvoir militaire des Etats-Unis, le peuple iranien est ce que ses dirigeants craignent le plus".   

Depuis un an et l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, l'Iran est la bête noire de l'administration américaine qui n'a de cesse de dénoncer les ambitions régionales de Téhéran, sa participation à plusieurs conflits qui déchirent la région comme en Syrie et au Yémen, ainsi que son programme de missiles balistiques. De son côté, l'Iran a déjà dénoncé à plusieurs reprises les ingérences américaines. Cette fois, la tension est montée d'un cran. 

Un policier tué?
Lundi, une nouvelle manifestation nocturne a eu lieu à Téhéran. Des petits groupes de manifestants se sont rassemblés dans un quartier du centre de la capitale, sous forte présence policière. Selon des images de médias locaux en ligne et des réseaux sociaux, certains civils scandaient des slogans anti-régime. L'agence Fars, proche des conservateurs, a notamment diffusé la vidéo d'un taxi jaune en feu qu'une personne munie d'un extincteur essayait d'éteindre. "Un fauteur de troubles a mis le feu à la voiture avant de s'enfuir immédiatement", selon l'agence Mehr.  

La télévision d'Etat iranienne a également annoncé lundi qu'un policier avait été tué et trois autres blessés par des tirs de fusil à Najafabad, dans le centre du pays, lors de violences liées aux protestations. "Un fauteur de trouble, profitant de la situation, a tiré avec une arme de chasse sur les forces de l'ordre, tuant un policier et blessant trois autres", a rapporté cette source sans donner d'autres détails. Notamment celui du jour lors duquel l'incident s'est produit. 

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