Terrorisme : pourquoi Jawad Bendaoud a été relaxé
Comme le parquet, les juges ont estimé que le prévenu n'avait pas connaissance de l'identité des personnes qu'il hébergeait dans son squat de Saint-Denis.
PAR MARC LEPLONGEON - Le Point.fr
Le délibéré a été accueilli par Jawad Bendaoud avec un poing levé haut vers le ciel. Poing qu'il a ensuite embrassé à plusieurs reprises, avant de tapoter amicalement l'épaule de gendarmes impassibles. Et parce que sans une bourde, Jawad Bendaoud n'est pas vraiment Jawad, l'homme – habillé de la veste rouge du PSG qu'il a portée à de nombreuses reprises pendant le procès – a ensuite dressé son index en signe de victoire. Un geste connoté : il s'agit également du signe de ralliement à l'État islamique – même si, comme l'affirme à Libération le chercheur Romain Caillet, il se retrouve dans « tous les conflits à connotation islamique ».
Pour Jawad Bendaoud, soupçonné de « recel de terroristes », le jugement s'annonçait risqué. Ses deux coprévenus, jugés en même temps que lui, ont été condamnés à des peines sévères. Youssef Ait-Boulahcen, le petit frère d'Hasna, morte dans l'assaut du Raid à Saint-Denis, a ainsi écopé de quatre ans de prison, dont un an assorti du sursis, pour « non-dénonciation ». Le prévenu échappe cependant au mandat de dépôt et n'a donc pas été emprisonné dès la clôture de l'audience.
« L'indifférence aux attentats » de Mohamed Soumah
La présidente du tribunal, Isabelle Prévost-Desprez, a considéré que les faits étaient d'une « extrême gravité ». Youssef Ait-Boulahcen savait que sa sœur cherchait à héberger son cousin terroriste, Abdelhamid Abaaoud, et connaissait l'endroit où il se cachait, après les attentats du 13 novembre 2015, a-t-elle ajouté. Précisant qu'en ce qui le concerne, il ne s'agissait pas d'une « conception rigide de la religion, mais d'une radicalisation réelle », a ajouté la présidente.
De la même manière, le tribunal a considéré que Mohamed Soumah, troisième homme de cette affaire, « ne pouvait ignorer que les deux fugitifs », qu'Hasna cherchait à loger, « étaient des terroristes ». Le délinquant et trafiquant de drogue, condamné à de multiples reprises, sera en effet en contact avec Hasna tout au long de ses recherches d'hébergement. « Votre action, Monsieur Soumah, se fait dans une volonté de faire échapper des terroristes aux recherches », a asséné la juge. Précisant que si lui n'était pas radicalisé, son mobile résultait en une « indifférence aux attentats du 13 Novembre ».
« L'occasion de se faire un petit billet »
La présidente s'est enfin tournée vers Jawad Bendaoud, l'homme le plus médiatisé de ce procès. C'est à lui qu'appartenait le squat où s'est réfugié Abdelhamid Abaaoud, et c'est lui qui, le matin du 18 novembre 2015 lors de l'assaut du Raid, s'était présenté devant les caméras de BFM TV pour dire qu'il n'avait fait que « rendre service ». Des propos qui en avaient fait, selon son avocat, Me Nogueras, la « risée de tout un peuple », à un moment où la France avait plus envie de pleurer que de rire.
Pour le tribunal, Jawad Bendaoud, qui ne « cache pas sa cupidité », a vu, dans l'hébergement des cousins d'Hasna, une « occasion de se faire un petit billet ». « Il n'apparaît cependant pas que vous aviez le même degré de connaissance que Mohamed Soumah », a lancé la présidente Prévost-Desprez.
L'ADN sur le ruban adhésif pas considéré comme élément à charge
La juge a relevé les doutes du prévenu qui, dès le 16 novembre, a connaissance que les personnes qu'il s'apprête à héberger viennent de Belgique et sont « droites dans la religion ». Il est également relevé que des amis de Jawad Bendaoud lui ont dit de se « méfier ». Des amis qui n'ont cependant « pas été entendus pendant l'instruction » et dont les propos n'ont donc pas pu être vérifiés, a relevé sévèrement la magistrate… Selon elle, on ne peut conclure des écoutes téléphoniques que Jawad Bendaoud savait à qui il louait son squat de Saint-Denis, pas plus que son ADN retrouvé sur du ruban adhésif ne démontre qu'il a manipulé une ceinture d'explosifs.
Et la présidente de conclure : « Les charges sont insuffisantes pour démontrer la culpabilité du prévenu. [...] Il n'est pas prouvé que Jawad Bendaoud a fourni un hébergement à deux individus qu'il savait être des terroristes afin de les soustraire aux recherches. »
Par ce jugement, le tribunal va plus loin que le parquet qui, déjà dans ses réquisitions, avait considéré que Bendaoud ne connaissait pas l'identité de ses hôtes, tout en affirmant qu'il savait qu'il louait son squat à des criminels. Un réquisitoire que le procureur Nicolas Le Bris avait commencé ainsi en désignant les prévenus : « Le plus médiatique n'est pas le plus inquiétant, loin de là. »