Tunisie : on ne badine pas avec les mœurs

CHRONIQUE. Homosexuels emprisonnés, DJ condamné pour atteinte à la pudeur, femmes empêchées d'épouser un non-musulman… Les combats sont légion pour la société civile.

PAR NOTRE CORRESPONDANT À TUNIS,  - Le Point Afrique

 

 

Ce sont des faits épars, déconnectés en apparence les uns des autres. Des petits cailloux semés sur le chemin de l'actualité tunisienne qui n'émeuvent qu'une frange de la population. Ramassés, mis bout à bout, ces faits illustrent une schizophrénie sociétale. Une querelle entre anciens et modernes dans un pays plus conservateur qu'on ne le croit.

DJ Dax remixe un chant religieux

Son domaine, c'est l'électro. Avec sa clé USB chargée de musique et son ordinateur, ce jeune DJ britannique bénéficie d'une solide réputation. Lors de l'Orbit Festival, organisé dans le gouvernorat de Nabeul, le jeune homme enflammait la piste d'El Guitoune, boîte de nuit où il se produisait. Les tracks se succédaient. Et de lancer une version remixée de l'adhan, l'appel à la prière. Sur le moment, une partie des danseurs a continué à s'éclater lorsque les autres sifflèrent l'initiative. Quelques vidéos fuitèrent. Et ce qui était une gaminerie musicale se transforma en un ouragan médiatique et judiciaire. Avec une célérité peu habituelle, le gouverneur de Nabeul décréta la fermeture de la boîte de nuit. Le ministère des Affaires religieuses s'empara de « l'affaire ». Six jours plus tard, le tribunal de première instance de Grombalia condamnait le DJ à un an de prison ferme par contumace. Le gérant de la boîte de nuit bénéficiait d'un non-lieu, mais le parquet a fait appel, l'estimant responsable du contenu musical diffusé dans son établissement. Pourtant, les statuts de l'Orbit Festival sont formels : seuls les artistes sont responsables des morceaux diffusés. Les organisateurs n'ont aucun droit de regard. Le DJ n'a pas nié sa responsabilité, a publié sur son compte Facebook un message d'excuse. Il n'y avait de sa part nulle intention de blasphémer. Le morceau incriminé (une minute et des poussières) avait été joué dans de nombreuses discothèques internationales sans provoquer de remous. On aurait pu se contenter du mea culpa, passer à autre chose de plus vitale (les contestations sociales qui agitent le pays par exemple), mais non, il a fallu faire un exemple. Dans un pays où la scène électro est en pleine effervescence, cet égarement a été sanctionné lourdement. Le flot de menaces qui a submergé les réseaux sociaux a contraint le DJ à annuler plusieurs prestations en Europe.

Test anal pour les homosexuels

Pendant ce temps, l'article 230 du Code pénal qui punit de trois ans d'emprisonnement ceux qui se rendent « coupables » de sodomie continue d'être appliqué avec vigilance par la police. Article 230 qui date de 1913, legs du protectorat français… En 2015, le tribunal de première instance de Kairouan bannissait de la ville six étudiants accusés d'homosexualité. Ces jeunes avaient subi le « test anal » encore en vigueur en Tunisie. Mars 2017, rebelote. Deux hommes sont arrêtés, subissent « un test anal » – censé prouver l'homosexualité du « suspect » – et attendent leur procès en prison. Le Conseil national de l'ordre des médecins de Tunisie a appelé les médecins réquisitionnés à informer les personnes qu'ils ont à examiner qu'ils ont le droit de refuser un examen génital et/ou anal, contraire « à la dignité, à l'intégrité physique ou mentale ». Le test a néanmoins été pratiqué par un médecin volontaire.

Le salut viendra de la société civile

En parler, on vous l'expliquera, n'est pas bon pour l'image du pays. Pourtant, la médiatisation de ces faits permet à la société civile de lutter plus efficacement pour abolir des pratiques d'un autre âge. Si la Tunisie n'est ni l'Arabie saoudite ni l'Afghanistan, les faits relatés ci-dessus pourraient se situer à Jeddah où Kaboul. Le travail de fourmis effectué par certains avocats, certaines associations, permet de ne pas banaliser ces faits. Les politiques sont, au mieux, aux abonnés absents, au pire les approuvent. Pour rappel, la Tunisie n'est plus dirigée par les islamistes d'Ennahda depuis janvier 2014. Le parti Nidaa Tounes – qui avait fait violemment campagne contre Ennahda lors de la présidentielle et des législatives de 2014 – s'est allié avec lui dès le lendemain du scrutin. Récemment, des associations de femmes ont manifesté pour avoir le droit d'épouser un non-musulman. Droit qui leur est refusé par une circulaire datant de 1973. Circulaire qui ne concerne que les femmes. Les Tunisiens peuvent, eux, épouser une non-musulmane… Pour clore tous ces anachronismes sociétaux, il suffirait d'abolir textes ou circulaires datant de Mathusalem. Il suffirait…

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