Une vieille fille sur un tas de cons Par Riss. Directeur de la Rédaction Charlie Hebdo

Une vieille fille sur un tas de cons
Par Riss. Directeur de la Rédaction Charlie Hebdo

La France a voté. Comme on le pressentait, le Front National–rebaptisé rassemblement national–est arrivée en tête, et la République en marche juste derrière. Le parti d’Emmanuel Macron n’a pas pris une déculottée, comme on pouvait le penser après la crise des « gilets jaunes ». Et le score de Marine Le Pen n’a pas explosé, même s’il est important.
La surprise vient du parti écolo EELV, arrivé en troisième position. Tous les autres partis derrière sont en dessous de 10 % et ils devraient se poser la question de leur existence et de leur nécessité. A quoi servent-ils désormais, si ce n’est à disperser leurs idées aux quatre vents au lieu de les réunir pour les renforcer ?
La lecture nationale et franchouillarde des résultats ferait presque oublier la nature du scrutin : l’Europe. En 1992, l’Europe, comme le titrait Charlie, était « une belle fille sur un tas de merde ».Aujourd’hui, elle est devenue une vieille fille sur un tas de cons. Le plus pénible, dans cette campagne, fut d’entendre à longueur de débats toutes sortes de calomnies déversées sur l’Europe.
Même l’argument ultime pour défendre l’Europe–la paix–n’a pas trouvé grâce aux yeux de ses ennemis. Lors d’un débat télévisé, un candidat 1 opposé à l’idée d’une défense européenne a déclaré : « On ne meurt que pour sa patrie, et il n’y a pas de patrie européenne. »
Une réponse digne d’un dictateur des années 30.

L’Europe est l’ennemi des nationalistes cars le nationalisme est le seul business ou les tocards peuvent avoir une chance d’exister. L’Europe oblige à penser l’intérêt général, elle est donc une menace pour les boutiquiers du chauvinisme et du populisme.
Il fallait les voir sur les plateaux de télévision, ces candidats antieuropéens se sentir exister en diffamant l’Europe. En groupe, ils sont redoutables et s’en prennent à l’Europe comme une meute de hyènes qui harcèle un zébu blessé.
Ils ont le courage des lâches quand ils se savent nombreux, et l’intelligence primitive des tueurs en série, capables d’avoir beaucoup d’imagination quand il faut assassiner une seule victime, mais aucune quand il faut vivre avec les autres.

Dans les années 50, on s’écharpait pour créer une armée européenne, la CED ( Communauté européenne de défense). Les communistes de l’époque tapaient à bras raccourcis sur la CED avec ce slogan : « l’Europe est une idée d’Hitler »2 Depuis, les débats ne semblent pas avoir dépassé ce niveau de démagogie populiste. Sauf peut-être avec les Britanniques antieuropéens pendant la campagne du Brexit, qui ont atteint des sommets d’infamie à ce jour inégalés contre l’Europe.
Mais aussi en Hongrie, où le score obtenu par Orban, plus de 50 %, démontre que ce pays a un gros problème avec son histoire. Là-bas, aucune réflexion n’a jamais été menée sur la Seconde Guerre Mondiale, l’antisémitisme et le nationalisme.
À Budapest, on peut voir la statue de Reagan, qui a libéré l’Europe de l’Ouest du communisme, mais aussi, à 50 mètres, le buste de l’amiral Horthy, allié des nazis pendant la guerre. Il n’y a pas que les salaires qui varient du simple au double à travers l’Europe : la vision de l’Histoire est aussi cacophonique que le droit social.

Malgré les résultats honorables des partis verts, l’Europe de l’écologie existe à peine. Alors que les dérèglements climatiques vont devenir une question de vie et de mort pour des millions de personnes sur le continent, l’écologie reste toujours difficile à vendre. Car demander aux gens de réfléchir au-delà de leur pavillon, de leur voiture, de leurs vacances, de leurs courses au supermarché, c’est comme demander à un poisson rouge de penser au-delà de son bocal. L’Europe sociale, de l’écologie, de la culture ou de la défense, est encore à construire. L’Europe des poissons rouges avec huit secondes de mémoire, elle, existe déjà et se porte bien.

Riss Directeur de la Rédaction de Charlie Hebdo
29 Mai 2019

Notes
1 Nicolas Dupont-Aignan
2 Déclaration du député communiste François Billoux en 1950

Français