Kol Nidre de Enrico Macías
Une légende persistante affirme que cette mélodie si émouvante a été écrite lors d’une période très noire de l’histoire de notre peuple, celle de l’Inquisition.
En 1492, les Juifs d’Espagne sont sommés par la reine Isabelle la Catholique de choisir entre la conversion par la force au christianisme, la mort ou l’exil. Nombreux sont ceux qui se convertissent alors officiellement, mais qui, dans le plus grand secret, continuent à respecter du mieux qu’ils peuvent certaines mitsvot, et particulièrement Pourim, Pessa’h et Yom Kippour.
La reine Isabelle emploie l’un de ces Marranes : il s’agit de Da Silva, son trésorier en qui elle a entière confiance et qu’elle ne soupçonne bien entendu pas d’avoir conservé sa foi juive et continué de respecter les mitsvot.
Deux fois l’an, le soir du Séder et le soir de Kippour, bravant leurs peurs, les Marranes prennent l’habitude de se réunir dans des caves pour y prier.
Deux fois l’an, ils retirent les lourdes croix en or qu’ils sont contraints de porter.
Deux fois l’an, ils peuvent enfin agir en tant que Juifs.
Mais comment entamer les prières de Kippour, le jour du Grand pardon, alors que l’on s’est durant toute l’année agenouillé devant des crucifix, que l’on a fait le signe de la croix, que l’on a prié dans des églises et que l’on a mangé des nourritures interdites ?
Comment se purifier et renouer la chaîne de la filiation juive ?
C’est là qu’intervient le Kol Nidré.
Son introduction d’abord : « Au nom du conseil d’en Haut et au nom du conseil d’en bas, avec le consentement d’Hachem et avec le consentement de cette sainte congrégation, nous déclarons qu’il est permis de prier avec les transgresseurs ». Les transgresseurs, ce sont eux-mêmes, les Marranes, qui s’empressent de prier le Kol Nidré à proprement dit et d’annuler tous les vœux, et tous les mensonges et tous les engagements qu’ils ont été contraints de prendre cette année alors que l’œil de l’Inquisiteur surveillait leurs moindres gestes.
Durant cette prière, les Marranes épanchent toute la douleur enfermée au plus profond de leurs cœurs. C’est ainsi qu’ils entament la journée de Yom Kippour, le cœur brisé.
Cette tradition se poursuit et en 1497, comme chaque année, les Marranes, et Da Silva avec eux, se réunissent dans une cave pour prier l’office de Kippour. Mais au moment où ils entament la Amida, les soldats de l’Inquisition, habillés de blanc, font irruption et arrêtent tous les fidèles. Ils sont immédiatement enfermés dans les cachots les plus sombres et les plus répugnants d’Espagne.
Lorsqu’Isabelle la Catholique entend que son fidèle trésorier a été arrêté, elle se tourne vers l’évêque et use de tout son pouvoir pour sauver Da Silva des flammes de l’autodafé.
L’évêque écrit alors une lettre à Torquemada, le grand Inquisiteur. Cette missive arrive juste au moment où les Marranes sont conduits au bûcher. Le bourreau annonce alors à Da Silva que selon la volonté de la reine, il est gracié, à condition bien entendu qu’il jure sur la croix qu’il sera désormais un fidèle chrétien, adepte de la foi de celle qui l’a sauvé.
Mais à la surprise de tous, Da Silva refuse. Il veut mourir en tant que Juif.
Plus encore, il court vers le bûcher et s’immole lui-même par le feu par crainte de céder à la dernière minute.
Un homme est présent, parmi la nombreuse foule venue assister à l’exécution. Il est Marrane également. Compositeur, il assiste à la scène et les premières notes du Kol Nidré se jouent déjà dans sa tête, ce même Kol Nidré que Da Silva a récité quelques jours auparavant.
C’est cet air qui, jusqu’à aujourd’hui, ouvre les Téfilot de Yom Kippour. Kol Nidré, le cantique des Marranes, ces « transgresseurs » auxquels non seulement D.ieu a permis de prier, mais dont les prières prononcées dans la crainte et la peur sont montées directement jusqu’au trône divin.