J'ai découvert ce qu'était qu'être juif, par Lucien Rumani

J'ai découvert ce qu'était qu'être juif, par Lucien Rumani

 

…....Quelques jours avant les vacances de Noël, n'ayant pas de nouvelles de Tunis, j'informai le surveillant général de mon impécuniosité et sollicitai mon hébergement au dortoir de l'internat, sans me douter des jours affreux que j'allais y vivre.

   Le Yéti, ce sobriquet lui allait comme un gant, grimaçait en permanence, nous collait pour un rien, supprimait nos sorties dominicales avec une facilité déconcertante. Le buste en avant, il se déplaçait comme pour bondir sur une proie ou démarrer une course d'obstacles. Très contrarié par ma requête fort inhabituelle, il grimaça de plus belle. Impossible pourtant de me jeter à la rue. Acceptant enfin, il m'interdit toute visite, me prévint que le chauffage serait coupé malgré le froid polaire, me fit promettre un comportement exemplaire, me menaça de me virer à la moindre incartade.

   Ma collection complétée par une dernière visite à la bibliothèque de la synagogue, je me mis à ma lecture au plus vite, après avoir emprunté tous les livres qui me tombaient sous la main, une Histoire du peuple juif, Mein Kampf, Exodus, Le Dernier Des Justes du regretté André Schwarz-Bart dont j'eus l'honneur de faire la connaissance bien plus tard en Guadeloupe, La Tragédie des Juifs en URSS, Les Eaux Mêlées et bien d'autres encore. Pelotonné sous quatre couvertures dans le froid glacial de mon dortoir désert, j'entamai un marathon de lecture, grelottant dans le silence monacal du bâtiment, un ancien monastère, en lisant de l'aube à une heure avancée de la nuit, pour comprendre enfin ce « Ne dis jamais que tu es juif », qui me perturba tant. Quand la faim me tenaillait, je me contentais d'un morceau de pain et de fromage avant de reprendre ma lecture effrénée. Jusqu'à épuisement. Frigorifié, mal nourri, dormant peu, je vécus tour à tour l'inquisition, les pogroms, les expulsions, les spoliations sans nombre, la promiscuité des ghettos, le baptême forcé, le règne de la terreur avec la Shoah pour point d’orgue.

   Meurtri par le deuil trop lourd à porter des millions de juifs assassinés dans l'enfer de la barbarie nazie, la conclusion du livre d'André Schwarz-Bart, Le Dernier Des Justes, poussa ma révolte à un paroxysme. Tard dans la nuit, les derniers mots de son récit me mirent à la torture. Certaines victimes, pressentant que les douches où les SS les entassaient sauvagement étaient les antichambres de la mort, s'inventèrent un pays imaginaire, Pitchipoï, où ils seraient enfin libres. Ils psalmodiaient ce nom insolite comme une ultime prière avant de finir gazés au zyklon B.

   Indignes du nom d'homme, les nazis déchaînèrent leur haine contre des milliers de prisonniers politiques, homosexuels, tziganes, roms, témoins de Jéhovah, handicapés physiques ou mentaux, prisonniers de guerre soviétiques, républicains espagnols et assassinèrent six millions de juifs. La Shoah a décimé la moitié d'une minorité déjà épuisée par des siècles de sévices, de pogroms et d'assimilation forcée. Les nazis ne furent pas les seuls à tenter de l'éliminer, mais elle renaîtra toujours de ses cendres, gardant intact son rapport particulier au monde, sa patrie n'étant pas seulement un sol natal : Bnei Adam. Fils de la Terre. Ils sont juifs et le demeureront toujours, fiers de leur appartenance, croyants, non croyants ou hâtés.

   Combien de Maïmonide, de Freud, d’Einstein ou de Simone Veil ont-ils assassiné ? Auschwitz, Birkenau, Dachau, Orianienburg, Buchenwald, Flossenbürg, Gurs, Ravensbrück, Mauthausen, Treblinka, Belzec, Sobibor, Chelmno, Maïdanek. Autant de lieux maudits, sans compter les camps de travail forcé et les liquidations sommaires. Malgré de récentes réparations et des repentances dérisoires, ces crimes contre l'humanité ont balafré à jamais la face allemande d’une laideur indélébile que rien ne pourra jamais effacer.

    Au fil de mes épuisantes lectures, je vécus ce génocide par procuration. Le désespoir causé par Pitchipoï fit exploser ma révolte. Incontrôlable ! Fou de rage et de douleur, je courrais en tous sens, retournais lits et matelas, jetais en l'air draps et couvertures, éventrais les polochons, cassais les vitres à coups de poings en hurlant.

- Pourquoi, Pourquoi ?

L'âme cabossée, barbouillé de sang dans mon silence assourdissant d'exilé solitaire, je fis sur l'âme de nos morts le serment de me forger la volonté à toute épreuve de faire payer sur le champ l'opprobre du moindre sévice que l'on oserait encore nous faire.

   Pour l'heure, moi le mécréant, lamentable dans mon dortoir désert, je sanglotais en récitant pour nos millions de morts dont je porterais le deuil à jamais, la seule prière qui me vint à l'esprit.

- Chema Israël, Adonaï Elohenou Adonaï ahad.

Écoute Israël, l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est un.    

   Les coupables de tous bords n'assumeront jamais leurs massacres, la dévastation des écoles, des synagogues, la profanation des cimetières, l'utilisation des pierres tombales juives pour paver rues et lieux d'aisance. Les pogroms sous la croix ou le croissant ont fait fuir le juif partout, le transformèrent en paria de nulle part. Honni, traqué, dénoncé, spolié, brûlé vif et converti de force, accusé d'empoisonner les puits ou suprême insulte, accusé de sacrifier les premiers nés chrétiens pour confectionner son pain azyme pascal !

   Le Mur Occidental du temple de Jérusalem, HaKotel HaMa'aravi, n'est plus un Mur de Lamentations où les croyants prient d'une manière pour le moins originale comme s'ils dansaient, manifestant ainsi leur joie d'avoir reçu la Loi, la Thora. Révéré pour sa proximité avec le Saint des Saints, ce simple mur situé sur le mont du Temple, est devenu un symbole de résurrection pour tout un peuple. Le lendemain de la libération de Jérusalem-Est de l'occupation jordanienne, après la guerre des six jours en juin 1967, je vis de mes propres yeux le lieu le plus sacré du judaïsme transformé en décharge publique, souillé de bas en haut par les ordures arabes, alors qu'il était sous la responsabilité des occupants.

   Le shana baha be yeroushalaïm, l'an prochain à Jérusalem, est le vœu séculaire du peuple le plus opprimé de l'histoire, lors de la fête de Pessa'h,  la Pâque juive qui célèbre la libération de l'esclavage égyptien, affirmant l'espoir mythique du retour à Sion devenu aujourd'hui réalité. Les juifs défendront leur dignité reconquise au prix fort par tous les moyens, même les plus improbables. Ils éteignirent en 1967 les torches que Titus alluma voilà près de 2000 ans sur Jérusalem réduite en ruines, incendiée et dévastée, son Temple pillé, ses trésors transférés à Rome comme le figure le bas-relief de l'Arc de Titus, commémorant la prise de la ville et la destruction du Temple. Après l'avoir profané en y vénérant ses idoles et son Empereur à l'égal d'un Dieu, Rome provoqua la révolte et la guerre, mit à sac la Ville Sainte et jeta les survivants dans la diaspora. Massada opposa l’héroïsme du suicide collectif à l’oppression romaine et les juifs furent finalement bannis de leur pays pendant près de deux millénaires.

   À cette époque déjà, ils étaient dangereux. Rendez-vous compte. Repos hebdomadaire obligatoire pour tous, esclaves et bêtes de somme compris, esclaves affranchis au bout de sept ans, propriété foncière remise en cause tous les quarante neuf ans et j'en passe.      

   L'empire romain n'est plus et le mur résonne à nouveau des prières de ce petit peuple, debout et bien vivant, qui résista tant pour ne pas disparaître. Autrefois minorité au milieu des goyim chrétiens ou musulmans, il rebattit aujourd'hui au cœur d'un Moyen-Orient plus incertain que jamais le pays, son pays, dont on l'expulsa de force. Il le transforme en jardin merveilleux, planté de centaines de millions d'arbres et reconstitue sa faune originelle.

   Un compagnon de route affirma qu'on est juif dans le regard d'autrui. Non Monsieur Sartre, chacun est libre de choisir ses préférences religieuses, philosophiques ou morales dans le respect des autres. Peu m'importe le regard d’autrui. Juif sans Dieu et militant acharné, je demeure fidèle aux miens, minorité qui produisit et produit plus que jamais au bénéfice de tous, une foison de grands esprits dans tous les domaines de l'activité humaine.

   Les guerres hélas, ne cesseront pas de sitôt. Israël garantit la dignité des juifs quelque soit les pays dont ils demeurent des citoyens fidèles et dévoués. Il y a la-bas de la place pour deux peuples et deux nations. À charge pour eux de déterminer leurs frontières, l'existence d'un pays ne pouvant en aucun cas exclure celle de l'autre. Mais tant qu'un seul musulman ou tout autre homme au monde pensera qu'Israël n'est pas l'État souverain des juifs, riche d’une histoire millénaire, aucun état Palestinien n'existera jamais. C'est la condition sine qua non pour qu'un tel État qui n'a jamais existé par ailleurs, puisse advenir un jour, en paix avec Israël, la seule démocratie de tout le moyen-orient. Quel espoir de paix réelle cependant, quand d'aucuns considèrent Israël comme un territoire arabe occupé et revendiquent  pour  les  palestiniens  un  hypothétique  droit au retour, avec Jérusalem pour capitale ?!

   Hélas, le terrorisme djihadiste du monde arabo-musulman, incapable de séparer pouvoir politique et mosquée, durera longtemps encore. Je trouve bien hypocrite la communauté internationale qui finance et maintient tant de réfugiés dans des camps depuis soixante dix ans comme une injuste et absurde monnaie d'échange. La convention de l’ONU de 1951 sur le Statut des Réfugiés stipule que ce statut est personnel à chaque réfugié et ne peut être transmis. Sauf le statut de réfugié palestinien, transmissible de génération en génération ! Ce privilège entraîne l'estimation de réfugiés à 5 millions, des soi-disant réfugiés palestiniens ! Dans quel but, pourquoi et contre qui ?.........                                   

 

Lucien RUMANI                                                 

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