Macron vainqueur aux points mais sans gloire (info # 010405/17)[Analyse]
Par Stéphane Juffa © MetulaNewsAgency
Les deux ont été égaux à eux-mêmes, c'est-à-dire médiocres. Le débat s’est déroulé exactement comme je l'avais prévu en avant-première sur Facebook, mais ce fut sans grand mérite, tant les candidats étaient prisonniers de leurs déclarations précédentes ainsi que de leurs programmes respectifs.
Avec une Marine Le Pen inexistante sur l'économie, et on ne peut pas briguer la présidence d’un Etat tel la France avec de telles lacunes dans ce domaine, et Macron, dans les cordes sur la sécurité, les alliances et l'islamisme, Macron reste plus apte à diriger la France, mais il fera un très mauvais président.
La discussion a débuté par les sujets économiques et l’Europe. La candidate du Front National s’est perdue lorsqu’elle s’est montrée incapable de citer les revenus additionnels qu’elle générerait afin de financer les cent-cinquante milliards de dépenses supplémentaires que réclame son projet. Même en lisant ses notes, elle ne parvint qu’à justifier quinze ou vingt milliards, et encore, sur la base d’économies fictives.
Elle sombra corps et biens quand, expliquant qu’elle allait faire baisser le prix des médicaments en faisant pression sur les laboratoires médicaux, son adversaire lui expliqua que quatre-vingt pour cent des médicaments vendus dans l’Hexagone étaient importés d’autres pays, et qu’elle voulait précisément les soumettre à une taxe à l’importation.
Tous les spectateurs dotés d’un minimum de connaissances en économie, ou même en mathématiques, comprirent alors trois choses : premièrement, qu’en appliquant son programme, les médicaments couteraient plus cher et non le contraire, secondement, qu’elle ne maîtrisait pas ses dossiers, et troisièmement, que ses propositions n’avaient pas été vérifiées.
C’était déjà fini en ce qui concerne les élections de dimanche. Marine Le Pen s’enferra encore un peu plus dans sa démonstration improbable du passage à l’euro, dont Macron n’eut aucune peine à dénoncer l’inanité. Et les tentatives de la championne frontiste de pallier ses absurdités par des attaques ad hominem ne firent que mettre ses faiblesses en exergue.
Elle était bonne quand elle accusait son détracteur d’être l’enfant caché de François Hollande et du parti socialiste, sauf qu’elle abusa ad nauseam de cet argument, et elle était mélenchonienne quand elle lui reprochait d’être le candidat du grand capital.
Son contempteur sut parfaitement mettre en évidence le fait que Madame Le Pen se présentait à la présidence sans programme économique digne de ce nom. La conséquence de cette démonstration était que si elle parvenait à l’Elysée, elle mènerait la France au naufrage, et cela a suffi pour éclairer les indécis et faire fuir des partisans qui se rendirent compte que leur pur-sang n’arrivait pas même à la première haie.
A Métula, nous nous posions la question de savoir s’il n’y avait pas un seul expert en économie à la direction du FN, qui aurait pu écrire la partie économique de son programme, ou, à tout le moins, corriger ses incohérences, et en tous cas enseigner à la candidate les fondamentaux dans ce domaine.
Ou était-ce, comme Macron l’avança un peu plus tard, que le Front National n’est pas un parti de gouvernance, qu’il grandit uniquement en surfant sur la désillusion populaire et l’exploitation des erreurs des autres acteurs de la vie politique ?
La question vaut d’être posée ; ce qui nous a semblé clair est que Marine Le Pen paraissait surprise d’être parvenue si loin dans cette élection. Elle ne possède visiblement pas les arguments pour remporter la finale, et l’on peut s’étonner de son impréparation à la confrontation d’hier. Quelqu’un aurait pu la briefer pour l’aider à faire meilleure figure, même si elle n’avait aucune chance de passer la barre face à un honnête énarque, à qui il suffisait de bien restituer les principes de base de l’économie pour faire comprendre que son interlocutrice ne les possédait pas.
Là où il l'emporte au fond, c'est au niveau des mesures conservatoires : pas sortir de l'U.E, pas abandonner l'euro, pas dilapider l'argent que vous n'avez pas, avoir conscience de l’existence de la dette et de la prévalence des vases communicants : on ne peut dépenser que ce que l'on produit.
Macron n'a rien dit qui soit de nature à faire repartir l'économie française. Il n'a fait que présenter de petits ajustements comptables, qui n'ont pas la capacité de changer quoi que ce soit d’essentiel, mais il est vrai qu'il n'existe pas de mesures miracles en la matière. Croire ou faire croire qu’il en existe, c’est déjà tromper son monde. Le seul moyen pour migrer vers une meilleure orbite consisterait à rendre la France sexy pour attirer les investisseurs, et leur laisser miroiter la possibilité de gagner de l’argent, au moins aussi facilement que dans les pays avoisinants, et à un degré égal de sécurité.
Mais comment faire quand les trois quarts des électeurs considèrent que la bourse est l’ennemi ultime de l’humanité, assistée de ses lieutenants haïs, du capital et du marché. Dans un pays où l’envie d’être riche ressemble à un délit pénal, et où l’on s’attend sérieusement à ce que les créateurs d’entreprises ne se soucient que de générer des emplois.
On aurait pu avoir Fillon dans le rôle du "gestionnaire le moins mauvais possible", ou Valls, cela n’aurait pas changé grand-chose. Mais Fillon a payé pour ses écarts et ses contradictions, et Valls a servi de bouc émissaire à Hollande pour réussir son magistral tour de passe-passe.
Autant il fut un piètre président, autant il s’est montré génial – vous lisez bien génial, ce n’est pas une erreur de frappe – pour faire en sorte que les socialistes conservent l’Elysée après un quinquennat catastrophique, qui n’a pas même permis au président sortant de se représenter.
D’une part, François Hollande a écarté le favori de la consultation, celui du parti Les Républicains, en demandant à un procureur de son accointance de coller aux choses de François Fillon, jusqu’à ce qu’il ne parvienne plus à marcher. Ensuite, il a jeté un candidat de l’aile révolutionnaire-utopique du PS, Benoît Hamon, en pâture aux lions à sa place. Lequel n’a pas pris la moindre décision qui aurait pu convaincre quelqu’un de voter pour lui et souriait un peu plus au fur et à mesure qu’il reculait dans les sondages. Et en troisième, Hollande a façonné un soi-disant nouveau venu en politique, soi-disant centriste ou indéfini, à qui il a décollé l’étiquette socialiste avant de le lancer dans la bataille, soutenu par l’appareil visible et les réseaux souterrains du parti, ceux qui ont soif dans le désert, et ceux qui font des eczémas en entendant le nom des Le Pen.
Il aurait pu envoyer Valls à la place de Macron, son expérience et son brio naturels auraient prévalu, mais Valls ayant été Premier ministre, donc coresponsable de la "Titanic policy", on n’aurait pas réussi à décoller l’étiquette. De plus, il aurait fallu que Manuel Valls quitte plus tôt – nous avions dit un an avant la consultation populaire – le bateau qui coulait, en poussant, en plus, un gros coup de gueule en partant, pour qu’il fût crédible. Et Hollande en avait besoin pour gérer les affaires courantes.
Et voilà comment un président crédité de moins de dix pour cent d’opinions favorables dans les sondages est parvenu à placer sur le trône de la République le successeur qu’il s’est choisi. Il fallait le faire ! Et comme "En Marche" n’a ni appareil ni députés, on va lui prêter ceux du parti socialiste, jusqu’au moment où personne ne pourra plus les discerner.
Marine Le Pen a dit tout cela, mais sans y mettre l’intensité nécessaire, et après avoir mordu la poussière lors de l’examen d’économie. Elle était donc inaudible et tout ce qu’elle exprimait s’apparentait dès lors à des "sauts de cabri".
Elle a connu un bon moment lorsqu’elle a parlé du soutien électoral qu’apporte l’UOIF (l’Union des Organisations Islamiques de France) à son adversaire, évoquant les appels au meurtre des Israélites et des homosexuels prononcés dans ses mosquées, ses écoles religieuses, ses crèches et ses associations sportives.
Cela a fait parler Macron au futur : s’il découvre que c’est effectivement le cas, il les poursuivra en justice. Mais jusqu’alors, il va se faire élire grâce aux voix des sympathisants de l’UOIF. Et aujourd’hui, il ignore tout des activités de cette organisation, vous parlez d’un candidat à la présidence d’un pays sous état d’urgence pour se défendre contre le terrorisme islamique ! Macron s’est montré aussi transparent sur les moyens de lutter contre le terrorisme islamiste que Le Pen en économie, ce qui promet des lendemains sanglants.
Il veut que la police puisse dresser des contraventions dans les "quartiers" aux petits délinquants. Et s’ils refusent de payer l’amende, par exemple pour un vol à l’étalage, les huissiers iront récupérer l’argent dans les territoires perdus de la République. Là où il faut une division de gendarmes armés jusqu’aux dents, avec support de blindés et d’aviation, pour essayer d’arrêter un criminel multirécidiviste ?
MLP a mis son adversaire une dernière fois dans les cordes en rappelant que, depuis Alger, il avait accusé la France d’avoir commis des crimes contre l’humanité. Ce fut l’une de ses nombreuses sorties médiocres durant sa campagne de candidat médiocre. Pour s’extirper des cordes, il rebondit sur la rafle du Veld’ hiv, dont la tout aussi médiocre candidate frontiste avait déculpabilisé la France.
Les téléspectateurs se voyaient infliger un face-à-face misérable, d’un niveau indigne de l’évènement, opposant deux fripiers menteurs. Mais de beaucoup de pugnacité, de spontanéité et de tension. Macron toucha le fond, lorsqu’après lui avoir infligé d’épais sous-entendus d’appartenance au fascisme, il imputa à sa contemptrice une orientation qui conduisait l’Europe à une nouvelle guerre mondiale, tandis que lui œuvrait à en préserver les enfants français.
On subissait deux argumentations populistes, sans que l’on ne pût jamais, et cela aussi doit être dit en parallèle aux critiques justifiées, attribuer à Marine Le Pen le moindre propos raciste, homophobe, islamophobe ou antisémite. Prétendre le contraire ne servirait qu’à attiser artificiellement la haine.
L’élection plus que probable d’Emmanuel Macron, dimanche, va sans doute suffire à préserver la France d'un désastre économique absolu et immédiat, auquel elle aurait eu droit si Le Pen était passée.
Mais Macron n'a clairement pas conscience du stade d'érosion atteint par la société française. Vous savez, mettre le feu aux policiers et manifester le lendemain avec des pancartes "ça sent le poulet grillé", sans susciter la moindre émotion. Ou si peu !
Ceux qui y voient un avatar passager n'ont pas idée de ce qui va suivre. On n'en est pas là par hasard ; c'est la conséquence profonde de plusieurs facteurs concordants et durables. Dont la poussée islamiste, évidemment.
Ce ne sont pas les dix mille policiers supplémentaires promis par Macron qui vont endiguer la vague islamiste, ramener la légalité dans les banlieues, ni apaiser les brûleurs de flics. Vingt-cinq pour cent des électeurs "insoumis" de Mélenchon voteront Le Pen dimanche ; ceux qui invoquent la gauche comme vecteur de tous les maux le font pour se rassurer, pour évoquer des démons familiers qu’ils ont appris à domestiquer.
La vérité est qu’il n’y a plus de gôche et plus de droite, que les programmes chimériques de Mélenchon et de Le Pen pour la sortie de l’Europe, et pour s’occuper en priorité des petits poissons contre le système et la finance, se ressemblaient à s’y méprendre. Et lorsque l’extrême gauche et l’extrême droite se confondent, c’est, historiquement, qu’il y a péril en la demeure.
C’est de cela qu’il aurait fallu parler prioritairement, du seuil dépassé du mécontentement explosif ; du fait que le taux de désespoir est tel que la vie est en pleine dévaluation ; laquelle entraîne la perte de toutes les valeurs, l’incursion d’une idéologie étrangère, raciste, haineuse, violente, l’incapacité à gérer l’islamisme dont je parle, ses bombes humaines et sa perversion des âmes. La lassitude et finalement, l’impuissance.
Macron prétend vouloir conserver l’unité de la France. Mais où l’a-t-il rencontrée ?
Avec des drapeaux arborant le marteau et la faucille, et des drapeaux palestiniens, bien entendu, des milliers de personnes ont, le 1er mai dernier, applaudi chaque fois qu’un policier prenait feu. Il ne s’agit évidemment pas d’émeutiers professionnels, car cela n’existe pas, ni de la partie frontale, médiane ou culière du cortège, comme l’ont prétendu les commentaires officiels anesthésiants, car personne ne l’a quitté, et c’est ce qui rend l’observation de la situation particulièrement préoccupante.
Ils sont des millions que l’élection prévue d’Emanuel Macron n’apaisera pas. Des millions qui s’en désintéressent. D’autres millions qui espèrent une embellie économique qui n’arrivera pas. Et des millions, encore, qui se sont juré de détruire ce système parce qu’ils lui ont déclaré le djihad.
Le succès du tour de prestidigitation de Hollande est une victoire d’officine, un saut périlleux de la politique politicienne. Rien qui puisse concerner la révolte des sans-dents, qui se fichent comme de l’an quarante du débat particulièrement médiocre que seize millions de Français ont regardé, plutôt que Monaco-Juventus, qu’ils ont également perdu.