Il suffit parfois d’une initiative candide pour intercepter les trésors enfouis dans nos mémoires. Par un pur hasard, j’ai découvert dans mon grand album familial une photo de la quatrième B du cours complémentaire GM Leven de Marrakech. Après l’avoir scannée, je l’avais placée sur Face-Book avec le titre : « Essayez de vous reconnaître ». J’eus droit à une avalanche de réponses de tous ceux qui s’étaient découverts dans la vieille photo noir et blanc, et même une, m’annonçant être la belle-sœur de notre professeur de français, Monsieur Joseph Bensaël.
Je m’étais rapidement empressée à lui demander si elle savait où il se trouvait.
« Mais, bien sur, me répondit-elle. Il vit à Marseille avec sa famille.
« Pouvez-vous me donner ses coordonnées.
« Seulement après avoir obtenu sa permission.
Elle revint très vite vers moi, me révélant qu’en effet notre professeur lui avait gentiment enjoint d’établir le contact le plut tôt possible. Un coup de fil, et nous nous retrouvâmes l’une en face de l’autre, réciproquement émus et gauches.
« Vous souvenez-vous de moi, lui demandais-je.
« Mais bien sûr, me répondit-il. Cessez de m’appeler Monsieur Bensaël, appelez moi je vous prie, Joseph. Et puis, pourquoi devons-nous nous vouvoyer ?
Si pour mon professeur, cela semblait naturel, pour moi c’était une toute autre histoire. J’avais toujours devant les yeux, un Monsieur Bensaël, très élégant et excessivement pointilleux en ce qui concernait nos accomplissements scolaires. Mais, ce fut grâce à lui que je pus rapidement obtempérer. D’une simplicité digne d’éloges, il écarta tout prétexte, et reprit la conversation sur un ton intime et amical. Contrairement à mes appréhensions, je me sentis toute détendue.
« Tu es une écrivaine, m’a-t-on dit. Je dois t’avouer que cela ne me surprend guère. Tu étais une de mes élèves les plus douées, et déjà, si ma mémoire ne me joue pas des tours, tu t’étais affirmée à cette époque là. Parle-moi de tes œuvres.
« Au lieu de t’en parler, je vais t’en envoyer quelques unes. Et si le cœur t’en dit, écris-moi tes impressions que je mettrai en ligne.
Il reçut trois de mes œuvres : Il sentait bon le sable chaud mon légionnaire, La chasse à l’arc en ciel et Hans et le petit chaperon rouge.
Mais avant que mes livres ne l’atteignent, il me téléphona presque chaque jour et sa femme m’envoya par Watsup quelques récentes photos du couple. Nous avions entre-temps, échangé des informations nous concernant, et j’appris sans trop être surprise, qu’il avait été formé par le célèbre philosophe, Emmanuel Lévinas.
Nous parlâmes du passé, du présent et du futur… Il semble que nous étions devenus un puits intarissable de questions et de réponses. Nous voulions tout savoir, concernant ceux qui composaient notre passé, et leur statut au présent.
Le premier compliment que je reçu, concernait la présentation de mes trois livres. La couverture de l’œuvre : Il sentait bon le sable chaud mon légionnaire n’était autre que la photo de ma mère et de ma tante, debouts aux côtés du légionnaire. Monsieur Bensaël put me retrouver dans les traits physiques de ma mère. Quant au légionnaire, il s’en souvenait. Il ne fit que confirmer ce que j’avais écrit dans mon œuvre à ce sujet. Quelques jours plus tard, c’était sa femme qui vint pour me révéler qu’il s’enfermait dans sa librairie pour lire mes livres, la laissant seule devant l’écran de télévision. Et en effet, il revint en l’espace de quelques jours, pour me déclarer dans un surprenant enthousiasme : « Thérèse, j’ai dévoré ton livre. J’ai tout retrouvé dedans avec une exactitude extraordinaire ». Puis, il me fit quelques confidences concernant ses parents à cette époque et leur départ hâtif du Maroc vers la France.
Je recevais depuis, des coups de fil sur chaque livre, sur chaque sujet et sur la qualité de mes œuvres. En conclusion, il m’envoya une lettre écrite de sa main qu’il clôtura avec une phrase que j’ai depuis gravée dans ma mémoire : « Tu es un merveilleux conteur, mes compliments ». « J’ai apprécié dans « La chasse à l’arc en ciel », les pages du rapt d’enfant, la réaction de René, la vie de ses parents, insouciante et tranquille à Marrakech, et dans la deuxième partie de cette saga : La vie en Israël, lourde de conséquences pour les nouveaux « Olim », la misère, les ma’abarot, la crise de Suez, le Sinaï, le canal de Suez, Nasser, tout cela est bien décrit. Quelle verve dans le détail ! La partialité de l’ONU et l’impuissance de la Grande Bretagne et de la France devant le diktat des États-Unis.
Pour Hans et le petit chaperon rouge, Joseph reprit à son insu, la même remarque faite par Jean-Marc Desanti « Il faut en faire un film ». La précision des détails que tu offres au lecteur est extraordinaire. Le livre se lit d’un trait et il est évident que tu as investi énormément dans la vérification de tous les composants. Je te félicite. Je te savais très douée, je savais aussi que tu avais plusieurs cordes à ton arc, tu as pleinement réussi. Qu’attends-tu pour écrire un roman ?
Il ignore l’existence de Marrakech la Juive…
Je n’ai pas retrouvé Bensaël seulement, j’ai aussi retrouvé, Madame Wenny Amar, notre professeur de musique. Elle commanda tous mes livres ayant rapport à Marrakech. Elle a aimé les petits contes « Derrière les remparts du Mellah de Marrakech », mais elle m’a avoué qu’elle a beaucoup aimé « Il était une fois Marrakech la juive » et qu’elle avait eu du mal à s’en séparer. « J’y ai tout retrouvé dedans, c’est extraordinaire ».
Pour moi, ces retrouvailles m’ont indubitablement ramenée à Marrakech, à notre vie commune et à nos aventures… Hormis, l’évident aspect émotionnel, j’ai bénéficié d’un aval professionnel passionné de ceux qui m’avaient guidée dans la vie et auxquels je suis si reconnaissante.
Mais ne dit-on pas que : « La pomme ne tombe pas trop loin de son arbre ». Il faut croire que j’ai puisé d’eux les éléments nécessaires pour devenir ce que j’ai toujours rêvé être : Une écrivaine.