Tunis, ma ville, par Emile Brami

Tunis, ma ville, par Emile Brami

 

Le parc du Belvédère, l’avenue Jules Ferry,
Notre lycée Carnot, le Café de Paris,
La rue Tourbet-el-Bey avec ses cénotaphes,
Le vieux chameau fourbu du café le Saf-Saf,
Le palais Khaznadar au quartier Halfaouine,
Les couchers de soleil devant le Boukornine,
Les mendiants en haillons psalmodiant leurs souffrances,
La médina s’ouvrant à la porte de France,
Venelles entourant la mosquée Zitouna,
Aux tailleurs accroupis brodant des djellabas,
Le souk des bijoutiers et celui des épices
Embaumant le safran, le cumin et l’anis.
Tunis ô ma complice, ô ma ville ô Tunis.
Au soir de Yom Kippour, la grande synagogue,
Les rabbins enroués chantant le décalogue.
Aussitôt qu’on sortait la Thora de son arche,
Les pères bénissaient leurs enfants sur les marches.
Quand sonnait le chofar, le jeûne s’arrêtait,
On se précipitait, chez soi ou au café,
Pour respirer des coings parfumés de cannelle,
Manger du bouscoutou, des cornes de gazelle.
C’était bien le seul jour où nous nous embrassions,
Puis on se promettait : « l’année prochaine à Sion ! »
On disait : « cinq sur toi !», « que tout te réussisse ! »,
On priait : « qu’à jamais la vie nous réunisse ».
Tunis ô ma complice, ô ma ville ô Tunis.
Le Misanthrope au Théâtre Municipal.
Les affiches aux portraits de Claudia Cardinale.
La queue qui s’étirait devant le Palmarium
Quand on y projetait le tout dernier péplum.
Les autres cinémas, l’ABC ou le Globe,
Des salles de quartier que dédaignaient les snobs,
Et dans sa galerie, trônant, le Colisée :
Sous son grand toit ouvrant, déjà alcoolisés,
Les fumeurs de chicha tout suants sous leur fez,
A l’entracte s’offraient une glace à la fraise.
Les mélos égyptiens qu’il fallait qu’on subisse,
Les films de Fernandel et de Jerry Lewis
Tunis ô ma complice, ô ma ville ô Tunis.
Les tranches de poutargue, le demi de boukha,
Les vingt amuse-gueules qui font une kémia.
Au menu des bouis-bouis du port de la Goulette,
Le complet-œuf-poisson et le couscous boulettes.
Les bricks, la mloukhia, les tagines d’akoud
Qu’on mangeait au comptoir assis au coude à coude,
Les carottes au carvi, le droh, les banatages,
Les méchouis débités par Lalou au « Passage »,
Le meilleur sabayon s’achetait « Chez Bébert »,
« Paparone » vendait de délicieux éclairs.
Au repas du shabbat les mères qui gémissent :
« Reprends de la tfina, tu as maigri mon fils ».
Tunis ô ma complice, ô ma ville ô Tunis.
Ma mémoire emballée dans le désordre évoque :
Les illustrés criards, Zembla ou Bleck le Roc,
Avenue Bourguiba le manège à chevaux,
Les chants de Saliha, ceux de Raoul Journo.
Les photos noir et blanc du boxeur Young Perez.
Le musée du Bardo, les voitures anglaises,
Les grosses Cadillac, le carrosse du Bey,
Le tram brinquebalant et les taxis BB,
Le très vieux train en bois qui emmenait aux plages
Salambo, La Marsa, Hammam-Lif et Carthage.
Le parfum du jasmin et les volubilis.
En finit-on jamais avec le temps jadis ?
Tunis ô ma complice ô ma ville ô Tunis
Tunis, mon beau Tunis, ma joie et mon supplice.

Commentaires

Member for

53 années 8 mois
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J en ai pleuré  .tout pareil pour moi mais à Bizerte .j ai 72 ans  je resterai à jamais ould Tounis

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