Sénatoriales françaises : Macron rate son pari

Sénatoriales françaises : Macron rate son pari (info # 012508/17) [Analyse]

Par Amram Castellion © Metula News Agency

 

Hier 24 septembre, la moitié des départements français élisaient leurs sénateurs, soit 171 des 348 sénateurs élus pour 6 ans (l’autre moitié sera élue ou réélue dans trois ans). Contrairement aux députés élus au suffrage universel direct, les sénateurs sont élus par un collège électoral formé de tous les élus du département (députés et sénateurs, conseillers régionaux, conseillers départementaux, conseillers municipaux).

 

Il y a encore quelques jours, le parti du président expliquait que le Sénat ne pouvait pas échapper à la profonde refondation politique lancée par Emmanuel Macron pour transformer la France. Hier, les grands électeurs – tous des élus du peuple, qui passent leur vie à écouter l’opinion des Français et à calculer comment se faire eux-mêmes réélire – ont massivement conclu que le discours présidentiel ne pouvait pas être pris au sérieux.

 

Alors que Macron, après son élection à l’Elysée, avait convaincu 29 sénateurs (presque tous précédemment socialistes) de rejoindre son parti et former un groupe macroniste au Sénat, le parti présidentiel aura presque certainement un nombre réduit d’élus dans la nouvelle assemblée (entre 23 et 27). Ils n’y seront que la quatrième force politique, après la droite (en forte progression, de 142 élus dans la précédente assemblée à environ 170 aujourd’hui) ; les socialistes (entre 67 et 71 sénateurs) et les centristes (environ 50 sièges).

 

Les principaux enseignements qui peuvent être tirés de cette monumentale défaite du président sont les suivants.

 

La classe politique ne croit pas que la remontée récente de la popularité de Macron (45% dans le dernier sondage Ifop) soit le signe avant-coureur d’une réorganisation généralisée de la carte politique en sa faveur. En effet, cette amélioration de la popularité présidentielle s’est surtout faite parmi les électeurs de droite. Ceux-ci, s’ils peuvent apprécier le contenu de la réforme du droit du travail et d’autres projets du président, ne vont pas pour autant abandonner leur famille historique au jour du vote. Ils continuent à faire confiance à la droite pour conduire, le jour où elle reviendra au pouvoir, une politique de droite. Ils ne sont pas convaincus que Macron pourrait se substituer à leurs partis traditionnels.

 

Le président a donc probablement définitivement échoué dans la moitié, au moins, de sa stratégie politique initiale. Celle-ci consistait à rassembler autour de lui l’ensemble des modérés de droite et de gauche et à ne laisser dans l’opposition que les extrémistes des deux bords.

 

Ce programme a parfaitement réussi à gauche, où le parti socialiste s’est désintégré entre une aile gestionnaire, dont la plus grande partie a rejoint Macron, et une aile révolutionnaire, qui est venu grossir les rangs de l’extrême-gauche mélenchonienne.

 

A droite, en revanche, malgré les gestes très importants du président vers la droite modérée – nomination d’un Premier ministre et de plusieurs ministres issus de ses rangs, premières réformes centrées sur des priorités de droite (droit du travail, programmes scolaires) – seule une minorité a rejoint le président. La grande majorité des structures traditionnelles tient bon. Il faut dire que la droite modérée a aujourd’hui une opportunité historique qui devrait la retenir de franchir le pas : l’affaiblissement brutal et inattendu du Front National a créé sur sa droite une immense réserve de voix qui, déçues et désabusées d’avoir été trompées par la famille Le Pen pendant trente ans, pourraient être prêtes à revenir vers la droite classique si celle-ci lui fait les avances nécessaires.

 

La réforme des institutions que souhaitait Macron est désormais, presque certainement, morte et enterrée. Le président voulait réduire d’un tiers le nombre des parlementaires et introduire une dose de proportionnelle à l’Assemblée nationale. Il lui faudrait pour cela une majorité de trois cinquièmes des parlementaires, soit 555 députés et sénateurs. Mais aujourd’hui, le nombre total des parlementaires de son parti et du parti centriste allié Modem n’est que de 375 environ. On ne voit pas dans quelle configuration un président affaibli par les résultats d’hier pourrait obtenir les 180 ralliements nécessaires à cette réforme.

 

Les premiers indices ne semblent pas montrer que le camp macronien ait pris la mesure de la signification de sa défaite. Le nouveau président du groupe macronien au Sénat, François Patriat (un homme de 75 ans qui fut élu socialiste pendant 40 ans et appelle maintenant à la « disparition du monde ancien ») a couru hier soir les plateaux télévisés pour ironiser sur des grands électeurs qui auraient « voté pour leur boutique » et ne comprendraient pas l’importance historique de l’avènement du macronisme. Ce genre d’attitude, si elle reflète celle du camp macronien dans son ensemble, est la meilleure manière pour faire en sorte que les Français finissent par décider de faire de cet avènement une parenthèse sans conséquence.

 

Pour autant, l’essentiel du programme de réformes du président de la République n’est pas immédiatement menacé. Après la réforme du Code du travail, déjà actée, le gouvernement doit préparer une réforme fiscale (transfert des recettes des cotisations sociales vers la CSG), une réforme de l’assurance-chômage, une réforme des retraites et une réforme du statut de la SNCF. Or la défaite d’hier aux sénatoriales ne réduit en rien la capacité du gouvernement à mener ces réformes. D’une part, il conserve la majorité à l’Assemblée nationale, qui a le dernier mot en cas de désaccord avec le Sénat. D’autre part, une partie importante de ce programme a l’assentiment – au moins sur les principes – de la droite qui domine désormais l’opposition.

 

La défaite d’hier ne marquera donc probablement pas de temps d’arrêt dans la mise en œuvre du programme du président. Mais elle a montré aux Français que Macron n’est pas, après tout, ce magicien de la politique à qui rien ne résiste pour lequel il aime à se prendre. Il fera, on l’espère, un travail utile de réforme technocratique pour améliorer la situation du pays. Mais ses prétentions à passer pour une figure transformative de l’histoire mondiale ne peuvent plus être prises au sérieux par personne.

Français