Blanchiment d'argent : la Tunisie classée à haut risque

Blanchiment d'argent : la Tunisie classée à haut risque

ANALYSE. Le Parlement européen a ajouté Tunis à sa liste des pays tiers à haut risque concernant le blanchiment de capitaux. En cause : le manque de transparence alors que l'économie est informelle à 50 %.

PAR NOTRE CORRESPONDANT À TUNIS, BENOÎT DELMAS | Le Point Afrique

 

Il est midi passé quand, dans l'hémicycle du Bardo, le député Hassouna Nasfi prend la parole et annonce « avec amertume que la Tunisie est officiellement incluse sur la liste noire des États susceptibles d'être fortement exposés au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme ». Brouhaha garanti. À Strasbourg, à l'agenda des parlementaires européens réunis également en séance plénière, il était inscrit une salve de votes de 12 heures à 14 heures. Dont celui-ci : « Objection conformément à l'article 105, paragraphe 3 – Ajout de Sri Lanka, de Trinité-et-Tobago et de la Tunisie sur la liste des pays tiers à haut risque ». L'ajout des trois pays est adopté par 357 voix. Pendant ce temps, le chef du gouvernement présidait la première réunion du Conseil supérieur de l'investissement aux Berges du Lac, à quelques coudées de la délégation de l'Union européenne (UE). Concordance des temps…

Les normes anti-argent sale édictées par le GAFI

En novembre 2017, Tunis avait déjà connu les affres d'une liste noire en étant classé paradis fiscal (en raison de son régime offshore) par les ministres des Finances de l'Union européenne. Le pays n'avait, malgré plusieurs relances, pas répondu dans les temps aux questionnaires et demandes d'engagements envoyés par l'UE à une centaine de nations. Après deux mois d'un intense lobbying, français notamment, le pays quittait la liste fin janvier. Le vote du parlement européen était prévu, annoncé. Le Gafi (Groupe d'action financière) a publié en 2012 « un cadre complet et cohérent de mesures devant être mises en œuvre par les pays afin de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, ainsi que le financement de la prolifération des armes de destruction massive ».

Mise sous surveillance

Cette série de recommandations est devenue, dans les faits, la norme. Depuis le 5 juillet 2016, l'Europe, via la Commission et son Parlement, s'est attelée au sujet de l'utilisation du système financier à des fins mafieuses, voire terroristes. L'inclusion in fine de la Tunisie, ce matin, est la fin d'un processus de dix-huit mois. Et d'une bagarre politique entre des États soucieux, quel qu'en soit le prix, du devenir démocratique tunisien, « le seul du monde arabe », et d'autres soucieux avant tout que l'UE lutte contre les pays financièrement opaques. La vague d'attentats qui a endeuillé plusieurs pays européens (France, Belgique, Allemagne…) fait aussi l'objet d'une traque au financement – direct ou indirect – du terrorisme. Le manque de transparence est dans la mire du Gafi (organisme intergouvernemental mis en place en 1989 par les ministres des États membres). Cette mise sous surveillance ne peut pas être prise à la légère. Elle trahit, en filigrane, les maux qui gangrènent l'économie et les finances publiques : un secteur informel qui représente la moitié de son économie, un quart des marchés publics jugés hors la loi par l'instance anticorruption (INLUCC)… Si Youssef Chahed, le chef du gouvernement, a lancé une lutte contre la corruption en mai 2017, elle semble marquer le pas. La liste des pays classés à « haut risque » n'a rien d'une réunion d'enfants de chœur : Afghanistan, Corée du Nord, Irak, Iran, Bosnie-Herzégovine… La Tunisie ne devrait pas quitter la liste, qui compte 14 noms, avant la fin de l'année. La méthodologie mise en place pour l'ajout ou la suppression d'un pays inscrit sur cette liste sera introduite à la fin de l'année. Une source proche du président de la République indiquait que le président Macron, lors de sa visite d'État, s'était engagé à agir sur ce dossier. Les parlementaires européens en ont décidé autrement.

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