Désarroi autour du procès de l'attentat du Bardo
Nathalie Revenu
Les victimes envisagent de ne pas aller en Tunisie.
Aujourd'hui, les victimes de l'attentat du musée du Bardo auront les yeux rivés sur la Tunisie. C'est en effet ce mardi que devrait être fixée la date du procès qui pourrait se tenir à l'automne, en octobre probablement, pour juger une vingtaine d'accusés. Le 18 mars 2015, 21 touristes étrangers et un policier tunisien avaient été tués. Quatre Français avaient perdu la vie et six avaient été grièvement blessés. Les deux terroristes avaient été abattus par les forces spéciales après trois heures d'un massacre signé Daech.
Pour l'heure, aucune des victimes françaises ne fera le déplacement au procès qui devrait durer plusieurs semaines. Leurs avocats non plus. Ces derniers ont appris que leurs clients devront assumer leurs frais de déplacement et que la Tunisie leur offrira des avocats commis d'office. Dans un courrier qu'il vient d'adresser à la garde des Sceaux, Me Gérard Chemla (qui, avec M e Pauline Manesse, assiste 27 parties civiles) s'insurge : « Il est inenvisageable que mes clients confient leur défense à un avocat qu'ils n'auront jamais rencontré. Il est de la responsabilité de l'Etat d'accompagner les victimes françaises. La France ne peut pas être spectatrice de ce procès. » Il précise toutefois : « Nous ne sommes pas les ennemis de la justice tunisienne, mais nous voulons pouvoir constater que les choses ont été bien faites. »
Pièces manquantes
Depuis le début de l'instruction et jusqu'à sa clôture en juin 2016, les avocats français sont allés de déconvenue en déconvenue. En août 2015, quatre mois après le carnage, six suspects sont libérés par le juge d'instruction tunisien. Leurs aveux auraient été extorqués sous la torture. Or les Français n'ont pas pu prendre connaissance des pièces de ce volet controversé.
Selon l'enquête, ces Tunisiens auraient eu un rôle déterminant dans la préparation de l'attentat. « Deux d'entre eux auraient transporté les terroristes ou des armes, affirme Me Philippe de Veulle, avocat de cinq autres victimes. Plus aucune charge n'est retenue contre eux. » Il craint que le procès ne juge que des seconds rôles et parle de « mascarade ». Il s'apprête à demander au juge d'instruction parisien du pôle antiterroriste de délivrer un mandat d'arrêt international à l'encontre des six Tunisiens libérés dans les premiers mois de l'enquête.
Tout aussi problématique : deux ans et demi après la tragédie, la défense n'a pas reçu la totalité des pièces. « Nous ne disposons que du dixième du dossier pénal tunisien », déplore Me Manesse qui s'en remet désormais à l'Etat français pour rassembler les pièces manquantes.
« Il est hors de question que j'aille là-bas »
Françoise Thauvin, rescapée et fille de victime
Françoise Thauvin a perdu sa mère, Huguette Dupeu, 74 ans, dans l'attentat du Bardo. Cette habitante du Loiret âgée de 55 ans a elle-même été grièvement blessée à l'épaule par un tir de Kalachnikov. « Il n'y a pas un jour sans que je repense à ce drame », confie-t-elle. Elle n'ira pas au futur procès qui pourrait se tenir à l'automne : « Tant que l'Etat tunisien ne reconnaîtra pas sa part de responsabilité, il est hors de question que j'aille là-bas », déclare-t-elle, pointant l'indigence du dispositif de sécurité à l'entrée du musée fréquenté par de nombreux touristes étrangers.
Le jour de l'attentat, alors en escapade avec sa mère, sa tante et une amie, elle est en train de regarder par une fenêtre qui donne sur le Parlement lorsque deux terroristes font irruption au deuxième étage du musée. Il est 12 h 30 à peine passé. « J'ai entendu un coup de feu. » Aussitôt un brouhaha se fait entendre dans l'escalier du musée. « Dans la panique, maman est allée droit vers eux », raconte Françoise. Elle a eu le réflexe de se cacher derrière une colonne avec sa tante : « Les balles fusaient autour de nous. L'attaque fut très rapide, mais l'attente des forces de l'ordre très longue. »