En Tunisie, Rene Trabelsi n'est pas un touriste

En Tunisie, René Trabelsi n’est pas un touriste…

Par Sami MAHBOULI *

La désignation de René Trabelsi aurait dû être accueillie, ne serait-ce que pour sa portée symbolique, avec satisfaction par notre classe politique; au lieu de cela, nous avons assisté à une avalanche de propos puisés dans le lexique du parfait antisémite; même sur les bancs de la représentation nationale, en présence de l’intéressé, on a eu droit à des réflexions qu’un élu au Reischtag autour de la fin des années 30 n’aurait pas désavouées.

En choisissant un concitoyen de confession juive pour ce poste important pour l’économie nationale, le Chef du gouvernement, outre le retentissement international d’une telle décision, a réaffirmé, si besoin est, que les Tunisiens sont égaux en droit et en dignité et que le critère de la compétence est déterminant dans la confiance qu’il octroie.

Une évidence me diriez-vous, sauf pour certains braillards bien connus de l’ARP qui se sont livrés à un exercice oratoire où l’antisémitisme primaire l’a disputé à l’ignorance bêlante.

L’écume à la bouche, les Amroussia et consorts ont débité les âneries habituelles qui inspireraient de la pitié si elles ne relevaient pas de l’incitation à la haine raciale.
Il n’a été question que de Sionisme, de Netanyahu, de normalisation avec Israël alors qu’il ne s’agissait que d’accorder la confiance à un Tunisien, comme vous et moi, candidat à une fonction gouvernementale.

L’amalgame de mauvais goût et les raccourcis faciles auxquels la représentation nationale nous a certes habitués ont, cette fois-ci, atteint les cimes de la bêtise humaine.

J’invite l’administration de l’ARP à distribuer, de toute urgence, à tous les élus un exemplaire du Pacte fondamental de 1857 qui a instauré l’égalité de tous les Tunisiens indépendamment de leur croyance ou race. Que l’on puisse entendre, plus de 160 ans après la promulgation de ce texte, qui plus est sous le toit d’un parlement, les discours tendancieux et xénophobes proférés lors du vote de confiance des nouveaux ministres, est proprement affligeant et honteux.

En fait, la quasi disparition de la communauté juive en Tunisie, malgré son rôle historique et son apport culturel, est la conséquence du procès d’intention qui est fait à ses membres depuis la création de l’Etat d’Israël. Soupçonnés de soutenir cet Etat ou de lui nourrir de la sympathie, nos concitoyens de confession juive sont depuis des décennies en butte à des vexations et à une mise à l’index qui les ont conduits à émigrer massivement.

Sonder l’âme de nos concitoyens de confession juive pour y déceler une inclination pour Sion, scruter leur moindre parole, douter de leur allégeance, leur contester tout lien affectif avec la «Terre promise » de leurs Ecritures, ont façonné un antisémitisme institutionnel dont les débats parlementaires récents sont le triste reflet.

Si l’on ajoute que l’histoire de notre communauté juive est totalement occultée dans les manuels scolaires et que tout est fait dans certains de nos médias pour diaboliser les Juifs à travers le monde, on ne s’étonnera pas de voir le degré d’ignorance qui entoure cette question dans notre pays.

Monsieur René Trabelsi qui a, stoïquement, écouté la diatribe nauséabonde de certains élus n’a pas à démontrer quoi que ce soit: il n’a pas à délivrer de certificat de patriotisme et encore moins à abjurer sa religion et sa culture.

En tant que Tunisien, d’une famille locale aussi vieille que ne l’est notre pays, il n’a de compte à rendre ni au Front populaire ni au Courant démocratique. Il a le droit de servir son pays soit dans le secteur privé, comme il l’a toujours fait, soit dans le secteur public, à travers sa nouvelle fonction. Il n’a pas à demander pardon d’être né dans la loi mosaïque ou à entonner l’hymne national à tout bout de champ pour prouver qu’il est plus Tunisien que les Tunisiens.

Ceux qui pensent que René Trabelsi n’est qu’un touriste en Tunisie se trompent lourdement et gagneraient à visiter l’an prochain la Ghriba de Jerba pour comprendre la nature et l’ancienneté des liens qu’entretient le nouveau ministre du Tourisme avec sa terre natale.

*avocat et éditorialiste

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