"Français juifs. Les enfants de Marianne", l'histoire d'une relation exceptionnelle

"Qu'est-ce qu'être juif?" Le documentaire de Coralie Miller y répond sous l'angle particulier de la perception qu'ont de leur judéité et de leur pays des citoyens français profondément enracinés dans la culture française et républicaine.

 

"Français juifs. Les enfants de Marianne", l'histoire d'une relation exceptionnelle

Sur France 3

Coralie Miller s'attaque à un sujet mille fois traité et apparemment inépuisable: "Qu'est-ce qu'être juif?". Elle le fait en l'abordant sous un angle particulier: la perception qu'ont de leur judéité et de leur pays des citoyens français profondément enracinés dans la culture française et républicaine. Il en résulte un beau film, "Français juifs. Les enfants de Marianne", toujours passionnant et souvent émouvant.

Juifs venus d'Afrique du Nord, Juifs Français "de souche", filles et fils d'immigrés d'Europe orientale se succèdent pour essayer d'expliquer leur rapport à la judéité. Ils représentent une large gamme: depuis l'athée jusqu'au rabbin; depuis le "juif de Sartre" -qui ne se reconnaît comme juif que par dignité, seulement à cause du regard de l'autre- jusqu'au pratiquant attentif aux règles de la tradition; depuis celui qui se sent profondément attaché à Israël, jusqu'à celui qui s'indigne du comportement, lors de sa venue en France en 2015, de Nétanyahou l'appelant à considérer Israël comme son foyer.

La relation à Israël n'est pas le sujet central du film, mais elle est abordée dans toute sa complexité. La qualité des témoignages aide à saisir la grande variété qui existe dans cette relation. Car c'est bien dans la diversité des témoignages et la justesse du choix des témoins que réside le mérite majeur de ce film. Ashkénazes et Séfarades, sionistes et non sionistes, comptant trois générations d'écart, tous ces témoins se différencient ou s'opposent certes sur de nombreux aspects, mais sont unis sur deux points essentiels, qui constituent le vrai sujet du film: ils se savent et se sentent Juifs, se reconnaissent comme tels, et tous vibrent d'une même passion pour la France, sa culture, sa langue, son système républicain. "Heureux comme Dieu en France", disaient les Ashkénazes dans leur shtetl.

Que son appartenance à la communauté nationale soit récente ou qu'elle remonte à plusieurs générations, chacun adhère intensément à cette spécificité française qu'est l'imbrication entre la République et les Juifs. Cette adhésion passionnée conduit à une intégration qui ne va pas sans susciter des interrogations qui percent dans certains entretiens. Ne risque-t-elle pas de conduire à une perte de l'identité juive? C'est sans doute ce que relèveront ces juifs que Coralie Miller n'interroge pas, puisque son propos se limite volontairement aux "fous de la République" d'aujourd'hui.

Coralie Miller ne s'attarde peut-être pas assez sur le tournant de l'Affaire Dreyfus, qui suscita chez les Juifs d'Europe des réactions si contrastées: une sorte de découragement (si cela arrive même en France, c'est donc que les Juifs doivent avoir leur propre Etat, pensa Théodore Herzl, fondateur du sionisme) aussi bien qu'une vague d'enthousiasme (ainsi, la famille d'Emmanuel Levinas qui, en Lithuanie, admira tant ce pays capable de se déchirer autour de la culpabilité ou de l'innocence d'un officier juif inconnu, qu'elle n'eût de cesse de vouloir s'y installer). Le film insiste surtout, naturellement, sur la brûlure de Vichy, parfois encore présente dans nos mémoires personnelles.

La relation exceptionnelle que la France entretient avec ses Juifs s'enracine dans l'Histoire depuis la Révolution française et la loi de 1791 -que Coralie Miller attribue un peu généreusement à la République, dans une des rares approximations de son commentaire. Le film rappelle ce qu'a eu d'unique dans le monde du XVIIIe siècle une loi faisant des Juifs du royaume du France des citoyens à part entière. Il insiste sur les efforts d'intégration de Napoléon -parfois fluctuants, et sa volonté affichée que les Juifs de France soient des Français juifs (il aurait pu mentionner, par exemple, qu'à son médecin britannique lui demandant à Sainte-Hélène "pour quelles raisons il avait encouragé les Juifs", Napoléon avait répondu le 2 novembre 1816: "J'espérais, en les rendant libres, en leur donnant des droits égaux à ceux des catholiques et des protestants, les rendre bons citoyens. Je voulais établir une liberté de conscience universelle: rendre tous les hommes égaux, qu'ils fussent protestants, catholiques, mahométans, déistes, etc. J'ai rendu tout indépendant de la religion").

Certes, Coralie Miller n'aborde pas ce sujet, mais il est difficile de ne pas songer à l'actualité: rien n'interdit de penser et d'espérer que cette intégration des Juifs puisse servir d'exemple, et que les "mahométans" de France, pour reprendre cette ancienne expression, se sentent et se vivent comme des Français musulmans.

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