En filigrane, on assiste à la victoire, par proxys interposés, des Russes sur la coalition occidentale à prédominance américaine, qui soutenait le camp rebelle.
L’affrontement Russie-Turquie a commencé en Syrie (par Perwer Emmal sur le terrain) (Informations exclusives)
Ces dernières heures, les FDS (Forces Démocratiques Syriennes) de la région d’Afrin, à prééminence et sous commandement kurdes, ont encore progressé en direction du verrou d’al Bab.
Ce mardi, ils ont délogé l’Armée turque et ses supplétifs islamistes du village d’Azraq, et ne se trouvent plus qu’à 4km des premiers quartiers d’al Bab.
C’est une information importante, certes, mais il y a un développement plus marquant encore dans cette phase de la Guerre Civile Syrienne.
En effet, les Forces Démocratiques Syriennes ne sont plus seules à combattre les Turcs, leur aviation, leurs chars et leur artillerie ; les FDS ont été rejointes dans la bataille par la Garde Républicaine de l’Armée régulière syrienne.
Dans cette bataille, le contingent gouvernemental syrien est principalement constitué d’un nouveau venu, la Résistance Nationale Syrienne (RNS) tout récemment formée.
La RNS est exclusivement composée de Kurdes appartenant à la "Brigade des Martyrs de Kafr Saghir", qui font le coup de feu aux côtés de l’Armée gouvernementale.
Lors de la capture d’Azraq, à laquelle j’ai assisté à la jumelle, ce sont les Martyrs de Kafr Saghir qui ont donné l’assaut, alors que les autres Kurdes des FDS procédaient à un barrage de mortiers en vue de couvrir leur progression.
La coopération entre les Kurdes et l’Armée régulière s’est surtout matérialisée, il y a exactement un mois, lorsque la Brigade des Martyrs de Kafr Saghir s’était emparée de l’Ecole d’Infanterie à Alep.
Les Kurdes, soucieux de protéger leurs frères civils du quartier de Cheikh Maksoud à Alep, ont largement participé, avec l’Armée gouvernementale, à la prise des quartiers rebelles de la cité.
Cette bataille, en vue du contrôle de la ville, est pratiquement terminée, et elle marque l’un des plus grand succès de la Guerre Civile en faveur de Bashar al Assad et de ses alliés.
En filigrane, on assiste à la victoire, par proxys interposés, des Russes sur la coalition occidentale à prédominance américaine, qui soutenait le camp rebelle.
Vu du théâtre des opérations, l’ambition de Vladimir Poutine est évidente. Il a franchi, mercredi et jeudi derniers, un pas supplémentaire dans sa confrontation avec l’Occident en bombardant les positions de l’Armée turque atour d’al Bab, et en tuant ou blessant des dizaines de militaires de Recep Erdogan.
L’information de ce bombardement, qui avait été produite en exclusivité par la Ména, a, depuis, été démentie à la fois par Moscou et Ankara.
Reste que nous ne croyons pas du tout à ces démentis diplomatiques, ayant été témoins de ces raids et ayant ainsi pu constater de visu des manœuvres d’attaque au sol qui sont totalement étrangères aux pilotes de M. Assad.
Pour renforcer nos doutes, en fin de semaine, on a vu le contingent ottoman installer de nombreux missiles autotractés sol-air au nord d’al Bab.
Le rapprochement inattendu entre l’Armée syrienne et les Kurdes est sans aucun doute l’œuvre du "grand architecte de l’univers", en l’occurrence, Vladimir Poutine.
Ce dernier a autoritairement obligé ces deux entités qui ne s’apprécient guère à faire cause commune face aux Turcs, aux rebelles, et aux Occidentaux.
J’en veux pour preuve qu’au début de la semaine dernière, toujours dans le Rojava mais à 290km plus à l’Est, dans la ville d’Assaké, les Kurdes et l’Armée syrienne s’entretuaient à l’arme lourde ; or, depuis trois jours, les armes se sont tues, et Syriens et Kurdes s’entendent depuis comme larrons en foire.
Du côté des YPG, les Unités de Protection du Peuple kurde, la principale composante des FDS, l’on n’avait pas vraiment le choix de refuser l’oukase de Poutine, alors que l’on était quotidiennement, et avec une sauvagerie grandissante, exposé aux attaques de l’aviation et de l’artillerie turques. Ces deux dernières semaines, on a compté dans la région de Manbij des dizaines de Peshmerga tués ou blessés lors de ces attaques, de même que des centaines de civils.
Et toutes les demandes adressées par le commandement des YPG aux Américains afin d’obtenir de l’armement lourd ainsi que des missiles anti-aériens efficaces avaient été accueillies par une fin de non-recevoir.
L’Administration Obama, toujours aux affaires, a pris grand soin de ne pas froisser l’"allié" Recep Erdogan. Mais, ce faisant, les combattants kurdes se considéraient de plus en plus comme la chair à canon de l’Occident ; à la fois dans la région d’al Bab et dans l’offensive sur Raqqa, la capitale de DAESH en Syrie. Les Peshmerga constituent à ce propos, et de très loin, la principale force alliée de l’Amérique pour la prise de Raqqa.
Les dissensions entre les Kurdes et Washington, ainsi que le nouveau pari risqué de Poutine, ont d’ailleurs eu une influence immédiate sur la bataille de Raqqa, les FDS ayant cessé, depuis trois jours, leur progression en direction du fief islamiste.
Sur le terrain, il apparaît clairement à tous les combattants qu’un affrontement majeur entre, d’une part la Russie et ses alliés, et de l’autre, la Turquie et les siens, y compris dans le ciel, est désormais inévitable.
Les Etats-Unis parlent, de leur côté, d’imposer des zones de la Syrie dont le survol serait interdit, mais l’on doute fortement que l’aviation russe se plie à ces interdictions. On pense, au contraire, que si l’Amérique tente d’imposer son projet par la force, l’on se dirigera vers une confrontation aérienne entre les deux superpuissances.
Quant aux Kurdes, ils tentent d’utiliser à leur profit les divergences qui se font jour au niveau régional et mondial. Ils persistent plus que jamais, dans leur intention d’effectuer la jonction entre le saillant du Ponant et celui du Levant ; leurs deux têtes de pont ne sont plus distantes l’une de l’autre, ce mardi soir, que d’une quinzaine de kilomètres, et elles jouissent pratiquement de la couverture aérienne russe.
Nul doute que ces alliances sont temporaires, car les ambitions kurdes et celles du régime de Damas sont inconciliables. Quant à savoir si, le moment venu, les YPG pourraient compter sur l’adhésion à leur combat de leurs frères de la Brigade des Martyrs de Kafr Saghir, pour les avoir vus se congratuler à l’ouest d’al Bab, la question ne se pose même pas.