Contradictions entre déclarations publiques et conversations privées des politiciens arabes
Ce qu'ils disent tout haut est plus fiable que ce qu'ils murmurent en privé
par Daniel Pipes
En 1933, un ambassadeur britannique en Irak, exaspéré, a passé un savon au roi du pays, Fayçal, en lui demandant de façon purement rhétorique :
Devais-je rapporter à mon gouvernement que des hommes publics irakiens, qui avaient occupé les plus hautes fonctions de l'État, ont lors d'événements solennels prononcé des discours dans lesquels ils exprimaient des opinions qu'ils savaient fausses et dénuées de sens ? Devais-je dire que le Parlement irakien n'était qu'une imposture, un endroit où le temps et l'argent étaient gaspillés par une poignée d'hommes qui, tout en se faisant passer pour des hommes d'État, ne pensaient pas ce qu'ils disaient, ni disaient ce qu'ils pensaient ? [1]
Dans la même veine, un ambassadeur américain en Irak écrivait dans les années 1950 à propos de Nouri al-Sa'id, qui fut Premier ministre à quatorze reprises : « Les déclarations publiques de Nouri sur Israël différaient fortement de ce qu'il disait en privé. Les propos qu'il tenait publiquement, comme ceux de tous les nationalistes panarabes, étaient amers et intransigeants. En privé, il parlait d'Israël calmement, raisonnablement et avec modération. » [2]
En 1993, l'auteur Kanan Makiya observait à propos de l'invasion du Koweït par Saddam Hussein : « Alors que nombre d'esprits et d'intellectuels parmi les meilleurs du monde arabe soutenaient le projet du dictateur irakien pendant la crise du Golfe, ces mêmes personnes ne songeraient pas à vivre sous sa domination. En privé, ils méprisent Saddam Hussein et tout ce qu'il représente alors qu'en public, ils le soutiennent. »
Ces exemples concernant l'Irak mettent en évidence une caractéristique de la vie publique arabe, à savoir que les politiciens vocifèrent dans leurs discours des messages destinés à émouvoir les masses qu'ils dirigent alors que, sotto voce, ils s'adressent avec tact à leurs interlocuteurs occidentaux.
Dès lors, deux questions se posent : un étranger doit-il tenir compte des propos claironnés ou chuchotés ? Quel est le meilleur indicateur politique ? (Ce qui diffère du fait de s'interroger sur les véritables convictions personnelles, car la façon dont un politicien agit importe plus que la façon dont il pense en son for intérieur). Une analyse historique permet de trouver assez facilement une réponse qui peut s'avérer surprenante.
Déclarations concernant Israël
Les politiciens claironnent un antisionisme fougueux en public et chuchotent des messages plus modérés en privé.
Le conflit israélo-arabe génère des incohérences bien connues entre les déclarations publiques et privées, les politiciens claironnant un antisionisme fougueux en public et chuchotant des messages plus modérés en privé. Gamal Abdel Nasser, l'homme fort de l'Égypte de 1954 à 1970, est un exemple de ce contraste.
Publiquement, Nasser poursuivait sans relâche une politique antisioniste, faisant d'Israël le problème central de la politique panarabe et manifestant son opposition à ce dernier au point de devenir le dirigeant arabe le plus puissant de son époque. Or, selon Miles Copeland, un agent de la CIA assurant la liaison avec le président égyptien, Nasser considérait en réalité que la question palestinienne était « sans importance ». [3]
Le même schéma s'appliquait à des problèmes spécifiques. S'adressant au monde, Nasser rejetait l'existence même de l'État juif ainsi que tout compromis avec lui, alors qu'en privé, il disait aux diplomates occidentaux qu'il était prêt à négocier avec Israël. Publiquement, il menait la lutte au sein de la Ligue arabe contre un plan américain destiné à établir une Autorité sur la vallée du Jourdain pour la répartition des eaux du fleuve, un plan qu'il acceptait pourtant en privé. [4] Après la guerre de 1967, il a publiquement rejeté les négociations avec Israël, insistant sur le fait que « ce qui a été pris par la force sera récupéré par la force », tout en signalant secrètement à l'administration américaine sa volonté de signer un accord de non-belligérance avec Israël « avec toutes ses conséquences ». [5]
Dans tous les cas évoqués ci-dessus, ce sont les déclarations publiques qui ont défini les politiques réellement mises en place. Nasser a même tacitement admis que les vociférations constituaient un indicateur plus précis que les murmures, disant à John F. Kennedy que « certains politiciens arabes tenaient publiquement des propos durs concernant la Palestine, puis contactaient le gouvernement américain pour atténuer leur rudesse en disant que leurs déclarations étaient destinées aux populations arabes locales. » [6] Il s'agissait là d'une description précise de son propre comportement.
L'homme fort de la Syrie, Hafez el-Assad, a agi de la même manière. Richard Nixon écrivait à son sujet : « J'étais convaincu qu'Assad continuerait à adopter une ligne des plus dures en public alors qu'en privé, il suivrait le proverbe arabe qu'il m'a cité lors d'une de nos réunions : pour un aveugle, il vaut mieux voir avec un seul œil que ne pas voir du tout. » [7] (Le proverbe voudrait dire qu'Assad protège la population syrienne de la solution plus modérée dont il a fait part à Nixon car, en raison de leur endoctrinement, les Syriens n'étaient pas capables d'entendre la vérité.) En public, Assad rejetait toute restriction sur ses options militaires vis-à-vis d'Israël. Or Harold H. Saunders, éminent diplomate américain, a rapporté : « La position prise par les Syriens en privé est qu'il est possible de négocier la démilitarisation de la frontière [syro-israélienne]. »
Dans les années 1970, un ambassadeur américain en Arabie saoudite racontait que le roi Fayçal ne cessait de parler de la conspiration sioniste quand, au bout de quelques heures, il fit sortir son secrétaire et se mit à parler sérieusement en tenant des propos nettement plus raisonnables.
Jimmy Carter : « Je n'ai jamais rencontré un dirigeant arabe manifestant en privé le désir d'un État palestinien indépendant. »
En 1973, Henry Kissinger observait : « Tous les dirigeants à qui j'ai parlé jusqu'à présent ont clairement indiqué qu'il leur était beaucoup plus facile d'alléger les pressions [sur Israël] de facto que dans le cadre de la politique publique arabe. » [8] En 1979, Jimmy Carter suscita l'étonnement lorsque, à un moment où les politiciens arabes exerçaient une pression particulièrement forte en faveur d'un État palestinien indépendant, il fit cette révélation : « Je n'ai jamais rencontré un dirigeant arabe manifestant en privé le désir d'un État palestinien indépendant. » [9] Trois ans plus tard, Carter expliquait dans ses mémoires que
pratiquement tous les Arabes pouvaient voir qu'une nation [palestinienne] indépendante au cœur du Moyen-Orient pourrait être un sérieux point de friction et un foyer d'influence radicale. ... Cependant, en raison de la puissante influence politique de l'OLP [Organisation de libération de la Palestine] dans les assemblées internationales et de la menace d'attaques terroristes de la part de certaines de ses forces, peu d'Arabes eurent la témérité de s'écarter de leur position initiale dans une déclaration publique. [10]
L'analyste Barry Rubin raconte que plusieurs personnes lui ont dit à quel point le dirigeant palestinien Fayçal Husseini était aimable « avec eux en privé, et à quel point ils étaient convaincus de son véritable désir de paix. En public, cependant, Husseini défendait une ligne beaucoup plus dure, approuvant certaines attaques terroristes et, dans un discours tenu à Beyrouth juste avant sa mort, fixant la destruction d'Israël comme objectif des Palestiniens. » [11]
Un câble confidentiel du gouvernement américain daté du 2 octobre 2009 et concernant la Tunisie (publié par WikiLeaks) souligne une autre divergence entre propos privé et déclarations publiques. Là encore, c'est le message adressé publiquement qui est plus instructif :
La Tunisie s'est manifestement méfiée de l'opinion publique galvanisée par les images de violence du conflit israélo-arabe, notamment les combats au Liban à l'été 2006 et à Gaza début 2009. Des dirigeants tunisiens nous reprochent parfois le fait que la couverture de ces conflits par Al-Jazeera a agacé l'opinion publique tunisienne et limité le gouvernement tunisien dans ses options politiques. Paradoxalement, les médias tunisiens, étroitement contrôlés par l'État, attisent activement au sein de la population les flammes de la colère face au conflit. Les tabloïds tunisiens en particulier, bien que serviles et obséquieux dans leur couverture du président Ben Ali, a les mains libres pour publier comme des faits, des théories du complot scandaleuses impliquant Israël et les Juifs, et une couverture généralement déséquilibrée des événements sur la scène israélo-palestinienne.
En octobre 2009 également, Le Caire claironnait des théories du complot anti-israéliennes et anti-américaines après l'élection manquée du ministre égyptien de la Culture, Farouk Hosny, à la tête de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO). Bien entendu, le câble confidentiel du gouvernement américain (publié par WikiLeaks) sur ce sujet montrait une réaction en privé beaucoup plus nuancée (qualifiant l'incident de simplement « irritant »).
Le journaliste Matti Friedman a constaté que le Hamas se livrait en privé à la duperie :
certains porte-parole du Hamas ont commencé à confier à des journalistes occidentaux, dont je connais certains personnellement, que le groupe est en fait un organisme secrètement pragmatique tenant une rhétorique belliqueuse. Certains de ces journalistes – désireux de croire en cette confession, et parfois peu disposés à créditer les locaux de l'intelligence nécessaire pour les tromper – l'ont pris comme un scoop plutôt que comme une pirouette.
Les Israéliens ont noté des écarts similaires. Avant 1948, écrit Laura Zittrain Eisenberg, les membres de l'Agence juive « constataient que si nombre de leurs contacts approuvaient en privé la partition [de la Palestine], peu étaient disposés à le faire publiquement. » [12] Selon Moshe Dayan, Anouar el-Sadate « déclarait souvent » en privé son opposition à un État palestinien contrairement à ses prises de position publiques. [13]
Même les Palestiniens soulignent cette incohérence. George Habash, le dirigeant palestinien, notait en 1991 que si les gouvernements algérien et yéménite veulent vraiment un État palestinien, « la Jordanie ne le veut pas. La Syrie n'est pas décidée ». Il concluait : « On pourrait dire que les États arabes efficaces n'en veulent peut-être pas. » [14]
Si les opinions exprimées en tête-à-tête avec des responsables occidentaux avaient été appliquées sur le terrain, le conflit israélo-arabe aurait été résolu depuis longtemps.
Quelles que soient les conversations privées de Nouri al-Sa'id, sa conduite envers Israël est restée constamment hostile. Nasser a fait trois fois la guerre à Israël. Indépendamment de leurs sentiments personnels, les dirigeants arabes honorent la question palestinienne. Si les opinions exprimées en tête-à-tête avec des responsables occidentaux avaient été appliquées sur le terrain, le conflit israélo-arabe aurait été résolu depuis longtemps.
Séduits – ou non – par les chuchotements
Le fait d'accorder plus d'importance aux informations confidentielles qu'à celles diffusées publiquement relève de l'intuition. Comme le dit l'écrivain espagnol Miguel De Unamuno, « certaines personnes croiront n'importe quoi si vous le leur dites en chuchotant. » Par ailleurs, les initiés attachent naturellement de la valeur aux propos exclusifs tenus lors de conversations confidentielles, en tête-à-tête, avec les dirigeants. C'est ainsi que les Occidentaux privilégient souvent les mots prononcés en privé par rapport à ceux tenus en public.
Fin 2007, Mahmoud Abbas a refusé publiquement de reconnaître Israël en tant qu'État juif, un problème majeur à l'époque, et s'est contenté de dire : « D'un point de vue historique, il y a deux États : Israël et la Palestine. En Israël, vivent des Juifs et d'autres personnes. C'est ce que nous sommes prêts à reconnaître, rien d'autre. » Malgré cette réticence manifeste à accepter la nature juive d'Israël, le Premier ministre israélien Ehud Olmert s'employait à déformer les propos tenus en privé par Abbas de façon à les substituer à ses propos publics.
J'ai l'impression qu'il veut la paix avec Israël et accepte Israël tel qu'Israël se définit. Si vous lui demandez de dire qu'il considère Israël comme un État juif, il ne le dira pas. Mais si vous me demandez s'il accepte dans son âme Israël, tel qu'Israël se définit, je pense qu'il l'accepte. Ce n'est pas négligeable. Ce n'est peut-être pas suffisant, mais ce n'est pas négligeable.
En 2010, WikiLeaks a publié des câbles diplomatiques rapportant que plusieurs dirigeants arabes ont exhorté le gouvernement américain à attaquer les installations nucléaires iraniennes. Dans un registre plus flamboyant, le roi d'Arabie saoudite, Abdallah, voulait que Washington « coupe la tête du serpent ». Les analystes américains ont généralement convenu que ces déclarations privées révélaient les véritables politiques des politiciens saoudiens et autres, malgré l'absence de commentaires publics comparables.
Eric R. Mandel « informe régulièrement les membres du Sénat américain, de la Chambre et de leurs conseillers en politique étrangère », ce qui fait de lui un initié. Dans un article de 2019 intitulé « Les Israéliens et les Arabes disent une chose en public et une autre à huis clos. Les politiciens et les experts doivent comprendre la différence », il soutient que les conversations privées sont plus utiles que les discours publics. Pour preuve, il constate que, « malgré quelques déclarations publiques en faveur de la cause palestinienne, le monde arabe sunnite sait que le conflit israélo-palestinien est tout au plus une 'question secondaire'. »
Les politiciens arabes disent peut-être aux Américains ce que ceux-ci veulent entendre.
En revanche, d'autres analystes mettent en garde contre l'effet séducteur des chuchotements, concluant comme le fait votre serviteur que les déclarations publiques comptent plus que les déclarations privées. Le journaliste Lee Smith note, en référence à la citation « Coupez la tête du serpent », que les politiciens arabes disent peut-être aux Américains ce que ceux-ci veulent entendre : « Nous savons ce que les Arabes disent aux diplomates et aux journalistes à propos de l'Iran », écrit-il, « mais nous ne savons pas ce qu'ils pensent vraiment de leur voisin persan. » Leurs appels pourraient faire partie d'un processus diplomatique consistant à refléter comme siens les peurs et les désirs de ses alliés. Ainsi, lorsque les Saoudiens prétendent que les Iraniens sont leurs ennemis mortels, les Américains ont tendance à accepter sans réserve cette prise de position semblable. Smith soutient, cependant, que « les mots adressés par les Saoudiens aux diplomates américains ne sont pas destinés à nous servir de fenêtre ouverte sur la pensée royale, mais à nous manipuler pour servir les intérêts de la Maison des Saoud ». Nous pensons qu'ils disent la vérité parce que nous aimons ce qu'ils disent. C'est là un point de vue dépourvu de sagesse.
Ou, comme le note Dalia Dassa Kaye de la Rand Corporation, « entre ce que disent les dirigeants arabes aux responsables américains et ce qu'ils sont prêts à faire, il y a de la marge. ». Dans son étude de 1972 devenue un classique, Arab Attitudes to Israel, Yehoshafat Harkabi observait :
Si aux États-Unis une déclaration privée constitue un indice d'intentions réelles, c'est l'inverse qui, très souvent, semble être vrai dans les pays arabes, où les proclamations publiques sont plus importantes que les mots doux chuchotés aux journalistes étrangers. Même si les masses ne peuvent pas imposer leur volonté à leurs dirigeants par des processus démocratiques, l'importance des déclarations publiques réside dans le fait qu'elles créent des engagements et suscitent l'attente de voir les dirigeants mettre en pratique ce qu'ils prêchent. [15]
Aller plus en profondeur
Avant d'examiner la psychologie sous-jacente à ce phénomène, il convient de signaler certaines exceptions.
Nasser ordonnait aux officiers de l'armée de ne pas « prêter attention à tout ce que je peux dire en public à propos d'une solution pacifique » au conflit avec Israël.
Premièrement, lorsque les politiciens arabes s'adressent en privé non pas aux Occidentaux mais à leur propre population, ils ont tendance à dire la vérité. En 1967, trois jours après avoir accepté la résolution 242 du Conseil de sécurité de l'ONU appelant à « une paix juste et durable dans laquelle chaque État de la région puisse vivre en sécurité », Nasser a ordonné aux officiers de l'armée de ne pas « prêter attention à tout ce que je peux dire en public à propos d'une solution pacifique. » [16] Il en va de même pour Arafat. Après avoir officiellement reconnu Israël en signant les accords d'Oslo de 1993, il a exprimé ses véritables intentions en comité plus restreint lorsqu'il a invité les musulmans d'une mosquée sud-africaine « à venir se battre et faire le jihad pour libérer Jérusalem », un appel indirect à contribution pour mettre fin à l'existence d'Israël.
Deuxièmement, ce qui est dit en arabe compte plus que les propos tenus en anglais. Une étude des discours d'Arafat dans les deux ans qui ont suivi Oslo a révélé qu'il ne faisait que brandir « un rameau d'olivier pour l'Occident et une kalachnikov pour ses compatriotes arabes », la kalachnikov symbolisant ce qui est réellement mis en place.
Troisièmement, les politiciens ne parlent pas toujours différemment en public et en privé. Nasser a parfois confié en privé aux responsables américains des propos identiques à ceux tenus publiquement face aux Égyptiens, à savoir que le gouvernement américain « essayait de maintenir l'Égypte dans une position de faiblesse, une attitude qui résultait de l'influence juive » aux États-Unis.[17]
Quant à la cause de cet écart entre les vociférations et les murmures, Abdelraouf Al-Rawabdeh, Premier ministre de la Jordanie en 1999-2000, l'a expliqué de manière incisive dans une déclaration de 2013 qui mérite d'être citée intégralement :
Le prédicateur parlant du haut de la chaire, le philosophe, l'homme politique, le professeur d'université, l'instituteur – tous sont à l'écoute de la conscience de la nation, ... et sont fidèles à ce en quoi ils croient. Toutefois, ils ne sont pas responsables de sa mise en œuvre. Un prédicateur monte en chaire et déclare : « Nous devons affronter l'Amérique, le fer de lance de l'hérésie. » Bien. Que veut-il que nous fassions à ce sujet ? Il ne le dit pas. Vient ensuite l'homme politique, dont le travail consiste à comprendre les rapports de force locaux, régionaux et internationaux. Il parle alors uniquement de ce qu'il est en mesure de faire.
Un jour, alors que je me présentais aux élections, quelqu'un a essayé de me donner du fil à retordre. Il s'est approché de moi et m'a demandé : « Que pensez-vous de l'Amérique ? » Je lui ai demandé : « Posez-vous la question au politicien ou au candidat ? »
Il a répondu qu'il s'adressait au candidat. J'ai alors répondu : « L'Amérique est un État ennemi, qui fournit des armes à Israël, tue les Palestiniens, notre peuple, contrôle nos pays arabes, exproprie notre pétrole et détruit notre économie. » Il était satisfait de la réponse mais il m'a alors demandé : « Et en tant que politicien ? » J'ai répondu : « L'Amérique est notre amie. Elle nous soutient et nous apporte son aide. »
Il a rétorqué : « Ne voyez-vous pas cela comme une contradiction morale? ». Ce à quoi j'ai répondu : « Non, je dis que l'Amérique est un ennemi pour vous apaiser et je dis que c'est un ami pour vous procurer de la nourriture. À vous de me dire ce que vous préférez. » [rires]
Les politiciens mentent à la fois en public et en privé. Toutefois, les propos tenus en public sont un meilleur indicateur des actions à venir que les conversations privées.
La candeur de Rawabdeh rend compte avec concision du contraste entre les slogans de campagne et les nécessités diplomatiques : ceux-là donnent forme à la politique mise en œuvre et ceux-ci en détournent l'attention. En d'autres termes, les politiciens mentent à la fois en public et en privé, si bien qu'aucun des deux ne constitue une boussole infaillible. Toutefois, les propos tenus en public constituent un meilleur indicateur des actions à venir que les conversations privées. Les informations privilégiées ont tendance à induire en erreur et les chuchotements ont tendance à distraire.
Quels enseignements peut-on tirer de ce tour d'horizon ? Pour comprendre la politique, il faut se fier aux déclarations publiques et non aux murmures ou aux chuchotements. Pour comprendre la politique du Moyen-Orient, mieux vaut lire les journaux et les communiqués de presse ou écouter la radio et la télévision que lire les câbles diplomatiques confidentiels ou parler en privé aux politiciens. C'est la rhétorique, et non ce qui se transmet discrètement de bouche à oreille, qui est opérationnelle. C'est ce que les masses entendent qui compte. Celles-ci apprennent les politiques mises en place, tandis que les Occidentaux de haut rang tombent dans le piège de la séduction.
Cette règle empirique explique d'ailleurs pourquoi des observateurs lointains voient parfois ce qui échappe à l'œil des diplomates et journalistes présents sur place.
M. Pipes (DanielPipes.org, @DanielPipes) est président du Middle East Forum. ©2023. Tous droits réservés.
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[1] Foreign Office 371/16903, E 1724/105/93, 22 mars 1933. Cité dans Mohammad A. Tarbush, The Role of the Military in Politics: A Case Study of Iraq to 1941 (Londres, Kegan Paul International, 1982), pp. 53-54.
[2] Waldemar J. Gallman, Iraq under General Nuri: My Recollections of Nuri al-Said, 1954-1958 (Baltimore, Johns Hopkins Press, 1964), p. 167.
[3] Miles Copeland, The Game of Nations: The Amorality of Power Politics (New York, Simon and Schuster, 1969), pp. 69-70, 113.
[4] Michael B. Oren, The Origins of the Second Arab-Israeli War: Egypt, Israel and the Great Powers, 1952-56 (Londres, Frank Cass, 1992), chap. 5.
[5] Michael B. Oren, Six Days of War: June 1967 and the Making of the Modern Middle East (New York, Oxford University Press, 2002), p.316.
[6] Foreign Broadcast Information Service, Daily Report, Near East and South Asia, 21 septembre 1962, no. 185.
[7] Richard Nixon, Memoirs (New York, Grosset and Dunlap, 1978), p. 1013.
[8] Henry Kissinger, Years of Upheaval (Boston, Little, Brown, 1982), p. 657.
[9] The New York Times, 31 août 1979.
[10] Jimmy Carter, Keeping Faith: Memoirs of a President (New York, Bantam Books, 1982), p. 302.
[11] The Jerusalem Post, 12 juin 2001.
[12] My Enemy's Enemy: Lebanon in the Early Zionist Imagination, 1900-1948 (Detroit, Wayne State University Press, 1994), p. 23.
[13] Moshe Dayan, Breakthrough: A Personal Account of the Egypt-Israel Peace Negotiations (New York, Alfred A. Knopf, 1981), p. 162.
[14] The Nation, 30 décembre 1991.
[15] Jerusalem, Israel Universities Press, 1972, p. 390.
[16] Cité dans Mohamed Heikal, The Road to Ramadan (New York, Quadrangle/The New York Times Book Co., 1975), p. 54.
[17] Télégramme de George V. Allen, 1er octobre 1955, Foreign Relations of the United States, 1955-1957, vol. 14, Arab-Israeli Dispute 1955 (Washington, D.C., U.S. Government Printing Office, 1989), p. 539.
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Addendum, 21 décembre 2022 : (1) Le présent article a été rédigé à partir d'une version beaucoup plus courte publiée en 1993 : « Le double discours des dirigeants arabes ».
(2) Concernant le sujet connexe de la contradiction entre les vérités dites en arabe et les contre-vérités prononcées dans les langues occidentales, voir l'article que j'ai co-écrit en 1995, « Arafat aux deux visages ».