Syrie : Un séisme géopolitique aux répercussions imprévisibles - David Bensoussan

Syrie : Un séisme géopolitique aux répercussions imprévisibles

 

David Bensoussan
L’auteur est professeur de sciences à l’Université du Québec

Le Proche-Orient vient de basculer dans une ère nouvelle. La chute brutale du régime de Hafez Al-Assad, longtemps considéré comme inébranlable grâce au soutien de la Russie, de l’Iran et du Hezbollah, a pris le monde par surprise. Pourtant, une convergence de facteurs a précipité sa chute : la désorganisation et la démotivation de l’armée syrienne, l’affaiblissement du Hezbollah, la réorientation stratégique de la Russie vers l’Ukraine et, surtout, l’appui du président turc Erdogan aux forces rebelles sunnites. Ces dernières, dominées par la mouvance salafiste Tahrir al-Sham (HTS), ont réussi là où tant d’autres avaient échoué : prendre le pouvoir à Damas.

Mais cette victoire en cache une autre, plus incertaine. Le nouvel homme fort de la Syrie intrigue et inquiète. Ancien salafiste, il tente aujourd’hui de se poser en garant de la stabilité, promettant la protection des minorités religieuses et la fin des ingérences étrangères. Pourtant, la présence de troupes turques, russes, américaines et israéliennes sur le sol syrien pose une équation complexe. Jusqu’où ira cette nouvelle autorité autoproclamée ? Et quelle est sa véritable ambition derrière son discours de « libération » ?

Un pays exsangue, un avenir incertain

Si certains célèbrent la chute d’un régime marqué par des décennies de répression, de massacres et de trafic de drogue, la réalité syrienne demeure tragique. Douze millions de personnes déplacées, un PIB réduit à un septième de sa valeur de 2011 et une économie gangrenée par le trafic de fentanyl orchestré par l’entourage du clan Assad. La reconstruction du pays s’annonce titanesque.

L’Iran, la Turquie et Israël : des stratégies en recomposition

Le séisme syrien a eu des répercussions bien au-delà de ses frontières. L’Iran, en première ligne, se voit contraint de revoir ses plans : ses proxys reculent en Syrie et au Liban, et ses milices irakiennes refusent d’engager un nouveau bras de fer avec Israël. Accablée par les nouvelles sanctions économiques américaines, la République islamique vacille, fragilisant l’ensemble de l’axe dit de la « Résistance ».

La Turquie, de son côté, joue un jeu dangereux. Depuis des années, Erdogan tente d’imposer son influence sur le monde sunnite en soutenant les Frères musulmans et en multipliant les incursions militaires en Syrie. Son soutien au Hamas et ses discours de plus en plus virulents contre Israël en font un acteur imprévisible.
Israël, quant à lui, se retrouve face à une réalité nouvelle. L’attaque du 7 octobre a mis en lumière les limites de son dispositif sécuritaire et la menace persistante du Hamas. Mais la chute d’Assad pourrait jouer en sa faveur : le sud syrien, majoritairement druze, et le nord-est kurde offrent des opportunités stratégiques pour contenir le Hezbollah et entraver l’approvisionnement en armes de l’Iran.
Dans ce contexte, la diplomatie israélienne s’active sur les enjeux cruciaux : la menace nucléaire iranienne, la militarisation du Sinaï par l’Égypte, l’avenir incertain de Gaza et le double jeu du Qatar, qui finance à la fois le terrorisme et son influence diplomatique. L’objectif prioritaire ? Accélérer le processus de normalisation avec l’Arabie saoudite, sceller de nouvelles alliances régionales et œuvrer à une cohabitation dénuée d’enseignement de la haine avec les Palestiniens.

Vers un nouvel ordre régional ?

L’effondrement du régime syrien marque la fin d’un cycle. L’axe de la « Résistance » est fracturé, et l’équilibre des forces au Proche-Orient se redessine. Israël, malgré les pressions internationales, parvient à affaiblir ses ennemis stratégiques. L’Arabie saoudite et les États du Golfe, longtemps figés dans une posture de soutien verbal à la cause palestinienne, montrent leur réticence à accueillir des réfugiés de Gaza.

Mais cette recomposition est loin d’être achevée. La chute d’Assad ouvre la voie à de nouvelles dynamiques, à la fois porteuses d’opportunités et de menaces. Un pouvoir sunnite en Syrie, même affaibli, pourrait-il rebattre les cartes du conflit israélo-palestinien ? La Turquie poursuivra-t-elle sa politique d’expansion néo-ottomane ? Et jusqu’où l’Iran ira-t-il pour conserver son influence ?

Plus important encore sera l’attitude des populations limitrophes d’Israël : le radicalisme sous sa forme nationaliste ou islamiste embrigadera-t-il une nouvelle génération de fous de Dieu ? Sera-t-il possible de mettre de côté les conflits du passé, oublier les victoires et les défaites du passé pour que tout au chacun contribue de son mieux et par ses moyens au bien-être général et à la paix des cœurs ?  
C’est l’heure des choix. Dans ce jeu d’ombres et de recomposition sur lesquels plane l’imprédictibilité du président Trump, il serait préférable pour la région de se prendre en main et œuvrer dans une vision d’avenir constructive.   

 

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