A force de démentis, les Tunisiens donnent de plus en plus crédit à la présence d'une base américaine sur leur sol. Les indices s'accumulent, mais Tunis refuse de l'officialiser. On comprend pourquoi.
Y a-t-il ou non une base militaire américaine secrète en Tunisie ? Plusieurs sources et indices ces dernières années laissent penser que c'est bel et bien le cas. On ne peut écarter l'hypothèse de simples "rumeurs", comme l'affirment les autorités tunisiennes. Mais l'accumulation des révélations, et surtout de leurs démentis, laissent songeurs.
Une base militaire ?
C'est le "Washington Post" qui a remis les pieds dans le plat mercredi 26 octobre. Selon le quotidien, "le Pentagone a secrètement élargi son réseau mondial de bases de drones en Afrique du Nord, en déployant des avions sans pilote et du personnel militaire américains dans une base en Tunisie afin d'effectuer des missions d'espionnage en Libye voisine". Le quotidien, qui cite des responsables américains sous couvert d'anonymat, date les premiers vols de drones Reaper Air Force depuis la base tunisienne à la fin juin soulignant que ces derniers "ont joué un rôle clé dans l'offensive américaine aérienne contre le bastion de l'État islamique en Libye voisine". Ils auraient notamment servi à des opérations de renseignement à Syrte où les Etats-Unis ont mené plus de 300 frappes aériennes depuis août.
Dans un premier temps, l'ambassade de Tunisie a refusé de commenter ces informations auprès du quotidien. Jusqu'à ce que les autorités tunisiennes les démentent clairement auprès de Reuters et de l'agence tunisienne TAP. Le ministre de la Défense a ainsi indiqué que, certes, Tunis avait "reçu récemment des avions de reconnaissance et des drones non-armés mais qu'ils étaient destinés à l'entraînement et à la surveillance de la frontière sud".
Quant à la présence de troupes étrangères dans le pays, elle est officiellement justifiée par des "coopérations militaires internationales". Autant d'explications fort à propos… que Tunis ne sort pas de son chapeau pour la première fois. Les autorités jonglent en effet depuis plusieurs années avec les démentis autour de cette base dont bien d'autres éléments ont été révélés.
Une information ancienne
En 2013, plusieurs médias s'étaient fait l'écho de l'implantation d'une base militaire américaine alors "en cours", dans la zone placée sous contrôle militaire à Remada, dans le sud de la Tunisie (70km au sud de Tataouine), à la suite d'un décret présidentiel publié quelques mois plus tôt. Selon des proches du Premier ministre tunisien cités à l'époque, cette base avait été au centre des discussions entre le général David M. Rodriguez, patron de l'Africom (Commandement des États-Unis pour l'Afrique) et le Premier ministre tunisien, Ali Larayedh, lors de leur rencontre du 20 novembre 2013. Mais le ministère de la Défense avait alors strictement démenti toute implantation dans la ville même de Remada.
En juillet 2015, c'est le journal "al Arab" publié à Londres qui, citant cette fois une source italienne, affirmait que la base serait bientôt installée en Tunisie en remplacement de celle active en Sicile. Une décision qui aurait été confirmée par les présidents américain et tunisien lors de la visite de ce dernier à Washington en mai de la même année selon "al Arab". Ce que tend à confirmer le "Washington Post" aujourd'hui. Selon le quotidien américain en effet, "l'accès du Pentagone à cette base tunisienne serait issu du memorandum d'entente signé par Mohsen Marzouk et John Kerry le 20 mai 2015 aux Etats-Unis".
Pourquoi tant de démentis ?
Mais pourquoi tant de démentis côté tunisien ? Pourquoi est-il aussi gênant qu'une telle coopération sécuritaire puisse exister entre les deux états ? Attachée à son indépendance, la Tunisie post-révolutionnaire a toujours voulu marquer sa volonté de n'être l'affidée d'aucune puissance étrangère, que ce soit la France, les Etats-Unis, ou les Etats du Golfe. Dans ces conditions, toute coopération internationale avec l'un ou l'autre de ces acteurs reste mal vue de l'opinion publique tunisienne.
Les cinq dernières années qui ont permis une transition en douceur pour le pays après la chute de Ben Ali ont vu se succéder des gouvernements fragiles qui n'avaient pas besoin de nouvelles protestations dans le pays. En outre, la Tunisie a subi ces dernières années plusieurs attaques de groupuscules islamistes et notamment des attentats revendiqués par Daech. L'on comprend que l'annonce d'une coopération sécuritaire avec les Etats-Unis serait susceptible d'attiser un peu plus les fanatiques de tout poil.
Relations régionales
Enfin, cette coopération, si elle existe bien, pose la question des relations avec les voisins proches de la Tunisie : que pensent la Libye et l'Algérie voisines de la possibilité pour les Américains de faire partir des drones du sud tunisien pour d'éventuels survols de leur territoire ? Si le gouvernement libyen est en demande d'une aide internationale dans sa lutte contre Daech, l'Algérie est soucieuse de son intégrité territoriale. Or, il est capital pour la Tunisie de maintenir des rapports au beau fixe avec son voisin occidental.
Autant de raisons qui expliquent la ténacité tunisienne à démentir la présence de toute base américaine secrète sur son territoire. Et il reste qu'à ce jour, personne n'a donné de preuve concrète de son existence.
Céline Lussato