JOURNAL DE LA PERPLEXITE : LE DECES DE LA MOUCHE - Ami Bouganim

JOURNAL DE LA PERPLEXITE : LE DECES DE LA MOUCHE - Ami Bouganim

 

 

Un jour, il trouva une mouche entre ses murs. Il ne comprenait pas comment elle était entrée. Il n’ouvrait jamais la fenêtre et il entrebâillait à peine la porte. Le premier soir, il tenta vainement de la chasser avec un torchon. Le second, il l’attira dans les toilettes allumées et l’enferma. Le troisième, il dormit avec la fenêtre entrouverte. Puis comme elle était toujours là, il se procura un insecticide. La mouche, visiblement immunisée, résistait. Elle continuait de vrombir autour de lui. Il ne se décidait pas à ouvrir les volets, il ne les ouvrait plus depuis une dizaine d’années. Il ne voulait plus illuminer son intérieur, son intériorité risquait de se diluer dans la lumière crue du jour. En définitive, il attendit la nuit, éteignit les lumières et ouvrit grand les volets. Il découvrit alors que la mouche s’était tant habituée à lui qu’elle ne voulait plus le quitter. Il la poursuivit, la poussant vers la lumière de la rue. Elle était peut-être devenue aveugle. Il tenta alors de l’amadouer. On avait domestiqué des loups et dompté des tigres, il se concilierait les bonnes grâces d’une mouche. Il lui permettait de se poser sur ses bras et sur son visage, évitant les gestes brusques pour ne pas l’effaroucher. Bientôt, elle était partout, sur son nez, ses yeux, ses lèvres. Son chatouillement lui était désormais une caresse. De la tendresse s’insinuait dans leurs relations. Il ne quittait plus son taudis sans la saluer, ne le réintégrait pas sans la chercher.

Un jour, il ne la trouva plus. Il la chercha sous le lit et sous la table, dans l’évier et le bidet. Il alluma la lampe de chevet pour l’attirer. Elle était peut-être sortie. Elle gisait dans un coin, malade ou blessée. Elle était peut-être morte. Il découvrait l’inquiétude. La philosophie aussi. Une vulgaire mouche ! Sans nom. Des ailes, des yeux, des pattes. Quelle merveille ! Quelle malice ! Elle lui manquait tant qu’il se mit à chercher une autre pour la remplacer, entrouvrant la fenêtre de plus en plus largement, la porte aussi. Mais aucune mouche n’entrait. Le malheureux ne savait comment s’en procurer. Il n’allait tout de même pas se présenter à un herboriste en demandant :

« N’auriez-vous pas une mouche pour moi ? »

Il sillonnait les parcs, en quête de mouches, tentant de les séduire en portant de mauvaises couleurs et en s’enduisant de mauvais parfums. Quand il réussissait à en capturer une, il la glissait délicatement dans une boite d’allumettes vide et courait la libérer dans sa chambre. Mais il la trouvait morte dans la boite ou bien elle mourait au bout de quelques heures et il l’enterrait dans le pot de géraniums en plastique qui lui servait de cendrier. Il était désespéré, ne pouvant se résoudre de nouveau à sa solitude. Un jour, il ouvrit carrément sa fenêtre, prit son envol et alla s’écraser contre la chaussée. Seules les mouches étaient de ses obsèques.

 

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