A une époque où ça ne se fait presque plus, je me bats au quotidien contre moi-même pour dire haut et fort que je suis un juif tunisien.
Aujourd’hui, en terres tunisiennes, je me retrouve en train de choisir entre ma religion et ma patrie. Un dilemme qui s’est presque imposé à moi depuis la révolution et je ne suis pas fier de l’avouer.
Je suis originaire de Djerba mais je vis dans la capitale depuis quelques années déjà. Depuis mon déménagement, ma frustration ne fait qu’augmenter. Je n’ose plus « afficher » cette identité, pourtant portée par mes ancêtres sans complexe depuis des siècles. Et les raisons sont multiples.
Comme presque tous les tunisiens, j’ai vécu la révolution de 2011. Je suis descendu dans les rues de Tunis, j’ai scandé fièrement le fameux « dégage » et je me suis improvisé en révolutionnaire 2.0 sur Facebook. Pourtant aujourd’hui quand j’en parle, j’ai droit à « Tu n’es pas musulman, de quelle révolution tu parles ? C’est nous qui l’avons faite, les tunisiens musulmans. »
N’ai-je pas droit d’appartenir à ce peuple -pourtant mien- à cause de ma religion? Certes le vent de l’Histoire est passé par la Tunisie, les lieux et les gens ont changé mais est-ce une raison pour faire disparaître les juifs tunisiens ? L’idée soulève en moi un sentiment profond d’injustice qui m’est juste intolérable.
Qu’est ce qui fait qu’en 2017, il y a encore des gens qui me disent «nous devons nettoyer notre pays de ces Kuffar ? » et qui, la seconde d’après te parlent de tolérance et d’ouverture d’esprit.
Je n’ai pourtant pas de signes extérieurs qui exposent ouvertement ma religion. Je ne porte ni l’étoile de David à mon cou, ni la kippa sur ma tête. D’ailleurs je ne parle de religion que quand on me pose la question ou quand je me sens dans l’obligation de remettre les pendules à l’heure lorsque j’entends « laazé fel ihoud ».
J’ai l’impression que beaucoup de mes compatriotes font toujours l’amalgame entre juifs et israéliens. On me pointe directement du doigt quand on évoque la cause palestinienne, me traitant de meurtrier et de sioniste et me disant que la Tunisie est une terre d’islam, que toute personne n’étant pas musulmane ne devrait même pas avoir la nationalité tunisienne!
J’en ai ras-le-bol d’expliquer qu’un juif a simplement la foi, que c’est une personne comme une autre, comme un chrétien, un musulman, ou un athée. Je me retrouve constamment en train de me justifier, de trouver des excuses à mes croyances.
Pourtant de mon côté, je pratique ma religion en silence, je souhaite un aid et un mouled mabrouk à tous mes amis musulmans, je suis un bon citoyen et je ne dérange personne.
Bien sûr, tout le monde n’est pas pareil, heureusement d’ailleurs. Mais quand on s’appelle Yaacoub (jacob), il est difficile de passer inaperçu.
Je me rappellerai toujours de la réaction de la dame qui allait me louer sa maison ; quand elle a su que je m’appelais Yaacoub, sachant qu’elle était musulmane et pratiquante, elle était en panique, visiblement, mon prénom l’avait terrifiée. Sans grande surprise, l’appartement m’avait filé sous le nez.
J’ai remarqué aussi que beaucoup de femmes acceptaient de sortir avec moi juste « pour l’expérience », parce que ça fait « kind-hearted, open-minded » de s’afficher avec un juif, alors qu’il n’en est rien. Je ne cherche ni la pitié ni la générosité des autres, je veux juste être une personne normale, un citoyen respecté dans ses croyances.
Etre juif tunisien est une identité à part entière, le judaïsme tunisien étant très particulier, souvent unique. Ça devrait être la preuve vivante que nous, tunisiens de tous bords, vivons ensemble en paix. C’est l’image même de la Tunisie ouverte et tolérante qui rejette toute forme de violence et d’extrémisme.
Aujourd’hui même si sincèrement je m’inquiète de la perte à terme de mon identité judéo-tunisienne et même si mon quotidien n’est pas toujours très évident, j’aime penser (et je l’espère) que je suis le seul à vivre ce dilemme.