Le grand roman français d’Emmanuel Macron
Le bloc-notes de Bernard Henri Lévy, paru dans Le Point, sur la victoire d'Emmanuel Macron.
C’est un roman qu’auraient refusé tous les éditeurs du monde.
Un président sortant qui, pour la première fois, renonce à se présenter…
Les caciques de la droite qui se détruisent l’un l’autre au profit d’un candidat que l’on pensait sans reproche et que rattrapent les affaires…
La gauche qui élimine son Premier ministre et se partage entre un apparatchik précipitant lui-même les conditions d’un score dérisoire et un insoumis pour Halloween, ami des dictateurs et de son hologramme, qui trébuche au seuil du second tour…
La candidate de l’extrême droite, suicidée en direct lors d’un débat où on la vit, telle une actrice de boulevard, retirer, au dernier acte, le masque de respectabilité dont on avait tenté de l’affubler et clamer, entre deux grimaces, au terme d’un strip-tease rhétorique embarrassant, «voyez mon vrai
Visage – c’est celui de l’éternel parti factieux»…
Jusqu’aux ultimes minutes de la bataille où le principal lieutenant de la candidate parut ratifier, en un tweet fatal, le hold-up électronique que venaient de commettre les hackeurs de l’Internationale rouge-brun et qui révélait que le mouvement En Marche ! payait ses salariés, envoyait des courriels pour réserver des tables au restaurant et s’échangeait des pièces jointes…
Et, à la fin des fins, au bout de cette succession de péripéties improbables et que n’aurait osé imaginer le plus inventif des scénaristes, à l’heure du dénouement d’un drame qui aura repoussé comme jamais les limites de la fameuse « suspension consentie de l’incrédulité » dont un poète anglais fit le principe du roman français, ce dimanche 7 mai 2017, à 20 heures, un jeune homme, presque inconnu il y a un an, entre à l’Elysée !
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Il restera à faire l’histoire vraie, détaillée, de cette campagne désastreuse et magnifique, insensée et miraculeuse, dont on eut parfois l’impression que les deus ex machina, acharnés à la perte du jeune homme, erraient quelque part entre Moscou, Washington et Montretout.
Il reste, pour le nouveau président, à relever les défis que lui impose cet incalculable concours de circonstances : il lui faudra faire et convaincre ; il lui faudra ne pas perdre de vue que le refus du pire ne valait pas toujours assentiment au programme qu’il portait ; il lui faudra reprendre et reprendre encore, dès les premières heures de son jeune règne, le travail de vérité et, par conséquent, de rassemblement dont il a, en bon lecteur de Paul Ricoeur, fait l’axe de sa campagne ; il lui faudra, pour autant, ne pas céder à ceux des siens qui, dans l’ivresse de la victoire, le voudront démiurge et thaumaturge ; il lui faudra, tel le roi Canute de la légende qui, agacé par les flatteurs et rêveurs qui l’imaginaient maître de lui-même comme de l’univers, voulant leur remontrer que son pouvoir était humain, faillible et humble, ordonna aux vagues de ne pas toucher son trône, puis, plaçant le trône sur une plage, fit la démonstration de l’éminente fragilité de ses ordres et de son empire, il lui faudra, oui, avoir le triomphe modeste et, comme devant les ouvriers de Whirlpool, ramener l’œuvre politique à sa juste mesure et à ses raisonnables proportions ; il lui faudra, en un mot, ne pas oublier que si, par son simple surgissement, il a révélé au monde politique l’absent de tous bouquets, le chemin qui s’ouvre devant lui n’en sera pas moins, désormais, semé de ronces.
Mais nous n’en sommes pas là.
Et l’on n’a, pour l’instant, qu’une envie : saluer l’homme qui, d’un coup de dés, a aboli les chances et hasards placés sur sa route et est devenu, ce faisant, le plus jeune président du monde.
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Non que la jeunesse ait jamais été, en soi, un argument.
Et je connais, comme chacun, la mise en garde de l’Ecclésiaste aux pays dont le roi est un enfant.
Mais on sait aussi, depuis Machiavel, qu’il y a dans la fougue de la jeunesse, dans son impétuosité et sa hardiesse, dans sa furia, sa virtu et, pour tout dire, son désir, quelque chose à quoi se soumet plus volontiers la fortune – n’est-ce pas Hoche et Saint-Just ? n’est-ce pas Bonaparte ? n’est-ce pas le second Bonaparte (jusqu’à ce soir, le plus jeune président de l’histoire de France) ? n’est-ce pas Benazir Bhutto, Kennedy, Jacques Decour, Theodore Roosevelt ?
Et je sais surtout qu’il y a trop de conservatismes dans ce pays, trop de blocages et de thromboses, je sais que s’y comptent trop de fascistes des deux bords qui ont juré d’une même voix, avant même son élection, de haïr le banquier devenu président et de le mener sans délai à la roche Tarpéienne, je sais que s’y trouvent en trop grand nombre les populistes de gauche (l’amer M. Mélenchon) ou de droite (le minable Dupont-Aignan détalant devant les caméras, à la sortie, vendredi, de la cathédrale de Reims) qui, sous couvert de détester la finance, trahissent l’esprit vrai de la France, je sais que les passions tristes y sont si virulentes qu’il est devenu presque impossible d’y forger ces autres «notions communes» qui font le lien social républicain – et je sais qu’il y a dans l’enthousiasme du vainqueur d’aujourd’hui, dans sa passion joyeuse, dans son optimisme juvénile et raisonné, fervent et didactique, quelque chose qui, d’ores et déjà, répond au malaise dans la civilisation française.
Fini, cet interminable entre-deux-tours où la France a semblé vaciller.
S’engage le combat clair, front contre front, entre ceux qui ne croient pas morte l’aventure de la liberté et ceux qui en ont fait le deuil.
Tous ont abattu leurs cartes.
Bonne chance, Emmanuel Macron !