Ramadan d’antan: quand les Beys de Tunis se procuraient leur « zlabia » à Nabeul

publié par Team "Mangeons Bien"

Texte: Mohamed Rached KHAYATI

Édition, collecte des témoignages et photoreportage: Team « mangeons bien »

Crédit photos anciennes: « Collection Salah NAJAR », Monique Hayoun & Neila HALI


Nabeul et sa sœur de lait Dar Chaâbane ont, de tout temps, été réputées pour leur « zlabia » succulente. Elles ont toujours eu ceci en commun sauf que pour la dernière nommée, la qualité est toujours au top, ça n’a pas bougé d’un iota. Et c’est tant mieux. Pour ce qui est de la ville des potiers, disons, tout simplement, que la relève n’a pas été assurée.

Même le sursaut d’honneur du brave Salah Najar qui a tenté de relancer l’activité familiale à son départ à la retraite, il y a quelques années, n’a pas été suffisant pour nous réconcilier avec la qualité dans la durée, avec cette douceur ramadanesque qui avait été pour longtemps, un vrai délice des palais beylicaux des trois derniers souverains de la dynastie husseinite (Ahmed II BeyMoncef Bey et Lamine Bey – Ndlr) – c’est à comprendre dans les deux sens – et qui nécessitait pour son transport en mode hippomobile jusqu’aux sérails du Bardo, de Carthage ou d’Hammam-Lif, tout dépendait de la rotation saisonnière du ramadan, l’emballage hermétique en terre cuite, encore en usage de nos jours.

Il n’était un secret pour personne que les anciens maîtres-pâtissiers nabeuliens faisaient dans la dentelle pour confectionner une « zlabia » si finement ajourée, qu’on pouvait, aisément, la comparer à la dentelle dans laquelle excelle jusqu’à ce jour, la gent féminine nabeulienne. Pour le bonheur des fins gourmets, ce plaisir des yeux et de la bouche est encore possible à Dar Chaâbane.

S’agissant des livraisons de SAR le Bey de Tunis et de ses vizirs, les fabriques de céramique nabeulienne les plus renommées rivalisaient de savoir-faire pour réaliser les plus beaux emballages en terre cuite émaillée et finement, historiée, enluminée et calligraphiée. Cheikh Mohamed Tahar Khayati, calligraphe à ses heures perdues, était très sollicité pour cette noble tâche. Si la « zlabia » de Nabeul avait eu tout cet aura, c’est parce qu’il y avait eu des maîtres-pâtissiers qui s’étaient investis dans cette activité typique de toute la Tunisie certes, mais jamais égalée quand il s’agit de production nabeulienne pure. 

 

La « zlabia » & ses grands maîtres-pâtissiers 

Parmi ces orfèvres de la pâtisserie bien de chez nous, le regretté Abdelkader Najar, affectueusement, appelé « Bay Gader » par la majorité des Nabeuliens et dont l’échoppe se trouvait à « Bab Bled », à l’entrée des souks couverts, pouvait se targuer d’en avoir été la figure la plus emblématique pour avoir pris part à des événements d’envergure internationale tels que l’Exposition Coloniale Internationale de Paris en 1931, qui lui a valu une médaille d’or, la seconda mostra internazionale d’arte coloniale (Naples 1934), l’Exposition Universelle de Bruxelles en 1935, l’Exposition universelle de 1937, officiellement Exposition internationale des « Arts et des Techniques appliqués à la Vie moderne », la Foire commerciale de Lille en 1938, la Foire Internationale de Lyon en 1939 ou encore, en outre-Atlantique et « The Sesqui-Centennial International Exposition of 1926 in Philadelphia, United States of Amercia » (l’Exposition de Philadelphie qui a célébré le 150e anniversaire de la signature de la déclaration d’indépendance des États-Unis et le 50e anniversaire de l’exposition du centenaire de 1876 -ndlr). En plus de l’art de la pâtisserie, « Bay Gader » excellait également, dans celui des chants soufis. N’avait-il pas, en effet, été membre de la prestigieuse troupe de « soulamia » de Cheikh Khemaïs Ternane à Bizerte avant de rejoindre celle du mythique Jaghali à Nabeul ?

D’autres non moins habiles spécialistes de la « zlabia » nabeulienne avaient, également, marqué de leurs empreintes la pâtisserie traditionnelle tels que les regrettés Abdel Aziz Slimane et par la suite son fils Mohamed (au passage sous-voûte jouxtant la Grande mosquée) qui en plus de sa dextérité manuelle dans la confection de la zlabia était réputé fin lettré et homme de savoir.

« Pour satisfaire la grande commande de SAR le Bey, ma mère affirmait que « Bay Gader » Najar sollicitait mes grand-père, Mohamed Ben Abdel Aziz Slimane. À l’époque, les maîtres-pâtissiers s’entraidaient pour respecter les délais de livraison des « zlabia » du Ramadan au sérail beylical. », souligne Neïla Hali, petite-fille de Mohamed Ben Abdel Aziz Slimane.

En 1985, c’était le tour de l’apprenti de Si Mohamed, Salem Ben Sassi de reprendre le flambeau. Et, aujourd’hui, c’est le neveu de ce dernier, Taher Ben Sassi qui continue de faire perdurer la tradition dans la rue des Forgerons (Nahj al-Haddadine, en arabe).

« Durant le mois du Ramadan, le maître-pâtissier Abdelaziz Slimane et son fils Mohamed vendaient près de 7000 pots en terre cuite remplis de Zlabia. Aujourd’hui, on n’arrive même pas à vendre une cinquantaine de pots tout au long du mois saint. Les temps changent. Ce n’est plus comme avant. Mon oncle me disait que dans les années 60, la boutique des Slimane vendait quotidiennement 500 « ftiras » (beignets, en français) par jour. C’était la belle époque… Ya hasra! », fait savoir Taher Ben Sassi avec beaucoup de nostalgie.

Il y avait aussi Machat (au tronçon menant de « Bab Bled » à « El Mahfar »), Kaouel à Tunis (« Bab Djedid », exactement), etc…Quant à la famille pionnière en la matière, elle portait fièrement, le nom Tanouis, un patronyme, aujourd’hui, définitivement disparu pour défaut de descendance mâle.

Nabeul qui se prévalait de la caractéristique très singulière d’avoir toujours eu une corporation de pâtissiers traditionnels composée essentiellement d’originaires de la ville, en plus des quelques Ghomrasnis du sud tunisien qu’on rencontrait au fin fond des faubourgs, comptait également, une maison de pâtisserie très réputée qui appartenait à un juif de la ville du nom de Pariente (« Barinti » en arabe). Il faisait de la bonne citronnade entre autres douceurs et avait pignon sur rue, à proximité du chausseur « Martine ». Sa « zlabia » était très prisée par ses concitoyens de confession musulmane qui se bousculaient devant son atelier-échoppe reconnaissable à la « zlabia maxi » qui pendait enveloppée de cellophane, durant tout le mois saint, au dessus de la porte.

Cependant, un regain de qualité est constaté depuis quelques années, comme un baume au cœur, avec l’apparition de l’enseigne « Oncle Saïd ». Saïd Salah n’est autre qu’un ancien aide de Salah Najar qui s’est installé pour son compte et s’est déjà, frayé un chemin auprès des amateurs de cette sucrerie ramadanesque très recommandée après une journée de pieux jeûne afin de pallier à une éventuelle hypoglycémie et à laquelle Ibn Al-Roumi, grand poète arabe du IXème siècle lui consacra un poème d’anthologie.

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