21 juin 1306 : Le jour où Philippe le Bel a expulsé les juifs de France
Philippe IV est aux abois. À force de guerroyer en Flandre, il a vidé le trésor royal. Il lui faut d'urgence le renflouer. Comment faire ? Ses conseillers lui soufflent de piquer le trésor des Templiers et de confisquer les biens des richissimes banquiers lombards, mais cela ne suffit pas à combler le trou. Restent les juifs, enrichis par l'usure !
Et si on les expulsait pour s'emparer de leurs biens et surtout pour récupérer les sommes énormes dues par leurs débiteurs ? Le roi ferait même d'une pierre deux coups, puisqu'en expulsant les Juifs il affirmerait son autorité royale aux dépens des grands seigneurs du royaume qui osent prétendre que les juifs leur « appartiennent ». Le 21 juin 1306, une ordonnance royale décrète la saisie des biens des juifs, à moins qu'ils ne se convertissent au catholicisme. À l'époque, le royaume de France en compte 100 000.
Dans tout le pays, Philippe IV envoie des « commissaires aux affaires des juifs » – environ 114 – pour mettre à exécution son plan. Bien entendu, la majorité des enfants d'Israël refuse de se convertir. Les voilà donc arrêtés, puis invités à quitter le pays. Ils prennent la route pour l'Italie, la Savoie, l'Allemagne, l'Alsace, la Provence... Dans leur nouvelle patrie, les exilés prennent le nom du pays ou de la ville dont ils sont originaires : les Tsarfati (mot signifiant Français en Hébreux), les Bedersi (de Béziers), les Narboni (de Narbonne)... Leurs maisons, terres, meubles, vêtements et bijoux saisis par les commissaires sont revendus aux enchères. Mais les commissaires comptent surtout récupérer les créances dues aux usuriers juifs. Il y a là un butin énorme à se faire. Ils s'emparent donc des livres de comptes.
Volte-face
Mauvaise surprise : ceux-ci sont rédigés en hébreu. Incompréhensibles. Et, quand les débiteurs chrétiens sont enfin identifiés, ils minorent leurs dettes ou prétendent carrément les avoir déjà remboursées. Sans compter les grands seigneurs qui multiplient les procès contre le roi pour spoliation, considérant que les biens des juifs leur appartiennent. Finalement, un conseiller du roi propose de faire revenir les juifs pour qu'ils identifient leurs débiteurs en échange d'une petite partie des sommes récupérées. Peine perdue, à peine une poignée d'entre eux acceptent le deal. Le dur travail de recouvrement des dettes des juifs s'étale sur une vingtaine d'années, bien après la mort du roi. Au bout du compte, en 1325, l'administration royale renonce à poursuivre les frais, repassant le « bébé » aux autorités provinciales.
Entre-temps, Louis le Hutin est monté sur le trône de France. Il tente de faire revenir les bannis de 1306, sans doute pour qu'ils reconstituent leur fortune, afin de pouvoir ainsi de nouveau la saisir. Il leur fixe un temps de résidence de douze ans, leur demande un droit d'entrée de 220 000 livres et un impôt annuel de 10 000 livres. Bon prince, il s'engage à leur restituer les synagogues et les cimetières confisqués en 1306. Mieux encore : les juifs peuvent conserver le tiers des créances qu'ils auront réussi à récupérer, mais à condition de pratiquer un taux d'usure raisonnable. C'est-à-dire inférieur à... 43 %. Le répit est de courte durée puisqu'en 1321 les Juifs sont de nouveau expulsés par Philippe V dit le Long, et cette fois-ci non pour spoliation, mais sous la pression de l'opinion publique devenue antisémite.