FRANCE - GARCHES VEUT DÉBAPTISER DEUX RUES QUI PORTENT LES NOMS D’ANTISÉMITES
Le Parisien
Faut-il débaptiser une rue lorsque celle-ci porte le nom d'un antisémite notoire ? À Garches, sans ciller, la municipalité répond oui. Trois endroits sont concernés : les rue et allée du Marquis-de-Morès et la place Charles-Devos, au centre-ville.
Le premier a été l'un des fondateurs de la Ligue antisémitique de France à la fin du XIXe siècle, un peu avant que l'affaire Dreyfus n'éclate. Il rédigeait aussi des articles dans le journal ouvertement antisémite, créé par Édouard Drumont, « La Libre Parole ».
Tout comme Charles Devos, qui a été maire de Garches à la fin de sa vie. Mais également, avant sa carrière en politique, directeur de la Librairie antisémite, à Paris, et trésorier du Comité national antijuifs.
L'évocation du passé du Marquis de Morès dans un documentaire à la télé choque des habitants
« On ne va quand même pas faire la promotion d'antisémites, de personnes qui ont déshonoré la France, dans une ville qui porte les valeurs de la République », s'insurge Jeanne Bécart, la maire (LR).
Depuis quelques années, le sujet était évoqué, de temps à autre, dans les couloirs de la mairie. « Certains propriétaires des endroits concernés n'étaient pas trop pour le changement pour des raisons administratives », explique Yves Menel, ancien premier adjoint, aujourd'hui conseiller municipal d'opposition.
Mais en début d'année, l'affaire refait surface à l'occasion de la diffusion d'un documentaire à la télévision, dans lequel le passé controversé du Marquis de Morès est mentionné. « On était en famille devant la télé et on a entendu son nom. Ça nous a choqués », se souvient un résident de l'allée du même nom.
« J'ai reçu une vingtaine de courriers et de mails de Garchois dérangés par cette découverte. On venait aussi m'en parler sur le marché », raconte Jeanne Bécart.
«Je ne vois pas pourquoi ma rue porterait le nom d'un enfoiré»
La maire décide donc d'évoquer l'affaire en conseil municipal, en février. Et propose l'organisation d'une consultation. « Je ne sais pas quelle forme elle prendra, si on interrogera seulement les habitants des rues concernées ou plus largement la population », précise-t-elle.
Les longues semaines de confinement ont repoussé l'échéance. L'actuel débat autour des figures controversées du passé est venu raviver l'affaire. « Pour moi, les deux sujets sont complètement déconnectés », assure Jeanne Bécart.
Mais à Garches, nombreux font déjà le parallèle avec l' allocution d'Emmanuel Macron, dimanche soir. Cette phrase-là, surtout : « La République n'effacera aucune trace de son histoire. »
« Changer le nom de la rue, c'est un peu en désaccord avec ce qu'a dit le président. Il faut assumer notre histoire, lâche une habitante de la rue du Marquis-de-Morès. En vérité, ça ne me pose pas de problème de le changer, ni de le laisser. Mais pour la propension de gens qui connaissent le Marquis de Morès… »
« C'est sûr que ce n'est pas Adolphe Hitler, ce n'est pas écrit sur le panneau qu'il est antisémite, renchérit un voisin. Mais quand on sait, c'est choquant. Je ne vois pas pourquoi ma rue porterait le nom d'un enfoiré. »
Le PS propose des noms de femmes
Un Garchois, croisé sur la place Charles-Devos, voudrait, lui, un changement « immédiat ». « Ces personnes-là ne devraient même plus être mentionnées », souffle-t-il. Une résidente de la place craint, quant à elle, que l'on « s'attaque à trop de sujets en même temps ». « Si on renomme toutes les rues, on perd la cause de départ », estime-t-elle.
Les conseillers municipaux d'opposition semblent plutôt favorables à la proposition de la majorité. « Il faut le faire mais en associant les habitants, en faisant de la pédagogie », avance Yves Menel (DVD).
En 2004, le lycée Florent-Schmitt, situé à Saint-Cloud, avait été rebaptisé Alexandre-Dumas pour les mêmes raisons. « Cela paraît logique de faire la même chose pour les rues. Cela fait même plusieurs années que nous le demandons, assure Françoise Guyot (PS). Nous espérons que les endroits seront rebaptisés avec des noms de femmes. Il n'y en a aucune à Garches. »
Une proposition qui ne tombe dans l'oreille d'un sourd. « C'est une bonne idée, abonde Jeanne Bécart. On en reparlera après les vacances scolaires. »