Hassen Zargouni - Témoignage :
Je suivais ma scolarité au lycée Janson de Sailly dans le 16e arrondissement de Paris en classes préparatoires pour les concours des grandes écoles scientifiques. L'ambiance studieuse et quasi carcérale de la prépa me poussait à prendre une liberté quotidienne vers 17h, celle de sortir du lycée avant les colles, ces examens oraux quotidiens, pour aller m'acheter une barre chocolatée pour avoir l'énergie suffisante pour attaquer le restant de la journée en bonnes conditions physiques et psychologiques, une petite bouffée d'air.
Un jour, en plein hiver Parisien sec et froid, en traversant la rue de la Pompe pour acheter mon Mars de 17h, j'ai été interpellé par une dame dans sa voiture noire, une Honda Civic, et qui me disait que ce n'était pas très sérieux de sortir dans ce froid sans être bien couvert, elle s'est présentée, Fabienne Moatti née Smadja, mère d'une camarade de lycée Mlle Emmanuèle Moatti.
Quelques jours plus tard, sa fille Emmanuelle vient me dire que sa famille me propose de loger chez eux, comme ça sa maman s'occupera mieux de moi afin de bien préparer les concours. Quelques semaines plus tard je m'installe chez eux, rue Raynouard, dans le quartier de Passy. Tous les soirs je reçois des tablettes de chocolats, des fruits, de quoi tenir des nuits entières pour réviser les concours les plus difficiles à 19 ans.
Deux années durant j'habite chez cette famille composée d'un père sérieux, a l'abord difficile mais attachant, Dr Lucien Moatti, un ORL, originaire de la Marsa, un professeur en médecine de renommée, il a plus tard écrit l'histoire de la médecine tunisienne de 1850 à 1950, ensuite Fabienne Moatti née Smadja, une dame au grand cœur, une Tunisienne racée de la digne lignée des Smadja, une grande famille de Tunis et de la Goulette, il y avait le fils Jean-Daniel, qui me surnommait Biloute (bien avant la sortie du film Les Ch'tis) et la douce Emmanuelle amie de mon meilleur ami Matthieu Gobbi.
Le nom Smadja resonnait fort déjà dans notre famille de Nefta, arrivée à Tunis et plus précisément à Halfaouine dans les années 1920. Ce nom raisonnait car c'était le nom du gynécologue de ma famille. Ce même Monsieur, a ma naissance à moi et celle de mon frère jumeau Houcine, a demandé à mes parents que quand les prémisses de l'accouchement se font sentir sérieusement ils n'ont qu'à aller le chercher, au cinéma El Hamra a Tunis, au dernier rang à droite, c'est qu'il n'y avait pas de GSM à l'époque.
Et mon grand-père a été le chercher en toute urgence et on est nés, mon jumeau et moi dans de bonnes conditions à l'hôpital Charles Nicolles a Tunis grâce à ce Monsieur.
Voilà, je vous raconte tout ceci pour vous dire mon attachement à tous ceux qui fondent notre Tunisie, toutes confessions réunies. Il fallait raconter cela ce soir particulièrement après avoir entendu les propos abjects de cette députée, qui ne me représente pas.
Je n'oublierai jamais quand je voyais Fabienne regarder en boucle à travers son lecteur de cassettes VHS le film Tunisien "Aziza" les larmes aux yeux parce qu'elle se voyait dans cette femme tunisienne qui voulait s'en sortir, s'émanciper par le travail, qui prenait les transports en commun dans Tunis entre Lafayette et la banlieue de la capitale. Elle se sentait privée de sa tunisianité, car déjà une forme d'intolérance pointait le nez.
Merci Fabienne, merci Lucien, merci Emmanuelle, merci Jean-Dan ! Merci mes compatriotes.