Mes odyssées en Méditerranée | Luigia Mussalli : quand une femme fait basculer le destin d’un pays

Mes odyssées en Méditerranée | Luigia Mussalli : quand une femme fait basculer le destin d’un pays

Nous sommes sous le règne de Sadok Bey. Au bas de la Médina, dans le quartier francais, la «promenade de la Marine» qui partait de Bab el bhar (porte de la mer), lieu de rendez-vous de toute la colonie européenne : jolies femmes, dandys…

L’élément italien est dominant. A cette époque-là, on comptait 7.000 ressortissants de nationalité italienne contre 819 Français pour toute la Tunisie.

Élias Mussalli est le mari de Luigia. Indolent et paresseux, entré en 1847 au service du Bey comme premier interprète, il fut ensuite révoqué pour «indélicatesse» et il ne retrouvera son poste qu’en 1878, grâce à la protection du Consul de France, Théodore Roustan…

Mais Élias n’aurait joué qu’un rôle effacé sans sa femme Luigia Mussalli, fille aînée de Stefano Traverso, riche négociant génois bien connu. Luigia naît à Tunis le 1er juin 1835, se marie très jeune et elle a trois enfants, une fille morte en bas âge et deux fils Armando et Riccardo.
Ambitieuse, elle intriguait déjà quand Élias Mussalli était au service du Bey comme second, puis, premier interprète pour grimper encore dans l’échelle sociale gagnant la confiance et la faveur de Mustapha Khaznadar qu’il encourageait déjà dans une politique française contre les Italiens et les Anglais. Le Consul français, Léon Roche, avait également usé de toute son influence auprès de Khaznadar pour faire écarter les Anglais. L’Angleterre avait peu d’intérêts à occuper la «Régence» et à travers son Consul à Tunis, Sir Thomas Read, elle préférait que la France s’établisse à Tunis au lieu de l’Italie car celle-ci aurait tenu les deux rives du Détroit de Sicile, coupant la route de Suez, route devenue essentielle pour l’Empire britannique.

En 1866, le gouvernement de Tunis était pratiquement en état de faillite : paiement de la dette locale suspendue et panique financière aggravée par l’émission d’une grande quantité de monnaie cuivre, à 250 % de sa valeur, que les commerçants furieux refusaient et ne voulaient plus accepter !
Les prix montaient avec la dépréciation de la monnaie et l’inflation entraînant la fuite du blé vers l’Algérie : le pain commençait à manquer et se vendait à deux piastres et demie et l’huile à cinq piastres, alors que l’ouvrier tunisien ne gagnait que trois piastres par jour. Selon Charles Cubisol, des gens mouraient de faim tous les jours à Tunis, le Consul d’Italie envisageait de rapatrier gratuitement les familles italiennes qui voulaient quitter le pays.

Khaznadar n’avait que des projets d’emprunts pour faire face à ce chaos financier et finit par envoyer Élias Mussalli à Paris, avec le grade de général pour contracter un nouvel emprunt de cent millions, mais les négociations furent rompues et Mussalli révoqué.
A cette époque, Napoléon III voulait détrôner l’Italie de ses ambitions africaines. Le gouvernement italien changea cinq fois son Consul en cinq ans, car aucun d’entre eux n’arrivait à avoir, auprès du Bardo, l’autorité d’un représentant d’une grande puissance et de la colonie étrangère la plus nombreuse en Tunisie.
Ce qu’on ignorait dans les hautes sphères, c’est que la toute belle Madame Élias Mussalli les avait tous charmés et conquis les uns après les autres… surtout pendant son séjour dans la capitale française où Luigia Mussalli connut un très grand succès auprès du Tout-Paris. Femme d’une très grande beauté, blonde, aux yeux gris, avec une démarche insouciante et élégante qui cachait un esprit froid et calculateur.

Après quelques années et des moments difficiles, en dépit de leurs succès mondains les Mussalli rentrent à Tunis en 1879.

L’Italie envoie un autre Consul en Tunisie, Licurgo Maccio, assez critiqué dès le début de son arrivée pour être entré en Tunisie comme en pays conquis escorté d’une section d’Infanterie de la Marine… Dans la rue Zarkoun où se trouvait le Consulat d’Italie, les honneurs lui furent rendus et tout cela prenait une allure de provocation.
Luigia Mussalli est poussée dans les bras du nouveau Consul italien, on ne saurait dire par qui, ou par son mari ou bien par Théodore Roustan. En tout cas, à Tunis, personne n’ignorait leur liaison et on savait aussi que le Consul Licurgo Maccio entrait, tous les matins, par une petite porte, alors que le mari sortait par une autre.
La fortune de Luigia Mussalli s’est rétablie grâce à la générosité de Roustan, mais surtout grâce aux confidences que le Consul Maccio lui avait confiées sur l’oreiller…
Licurgo Maccio sera nommé au Monténégro, après l’échec de la politique italienne et la signature du Traité du Protectorat.

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