Lectures de Jean-Pierre Allali - Journal de grossesse de la vierge Marie, par Sophie Chauveau

Journal de grossesse de la vierge Marie, par Sophie Chauveau

 

Journal de grossesse de la vierge Marie, par Sophie Chauveau (*)

Voici un livre extraordinaire. Extraordinaire parce qu’il a le courage et le culot de traiter d’un sujet qu’on pourrait considérer comme intouchable et iconoclaste, celui de la grossesse de la « Sainte Vierge ». Extraordinaire parce que, ce faisant, l’auteure humanise en quelque sorte Marie alors qu’on a tendance à la mettre sur un piédestal divin. Par la même occasion, Jésus, Joseph et toute la sainte famille retrouvent leur statut d’hommes et de femmes. Extraordinaire, enfin, parce qu’en allant au plus près et au plus profond de leur quotidien, Sophie Chauveau rend, très légitimement leur caractère juif à des personnages que la chrétienté a eu tendance, au fil des siècles, à séparer de leurs racines naturelles. C’est, comme le disait Salomon Malka, « Jésus rendu aux siens » (1)

Nous sommes en terre d’Israël, alors occupée par les Romains au temps du roi Hérode. À Nazareth, en Galilée. Ou peut-être à Sepphoris ou Séphiris. Une jeune Juive de Galilée, Marie, dix-sept ans, se nourrit au quotidien de la Thora. Admiratrice de rabbi Hillel, elle donne même des cours à de petites élèves à la synagogue. Ses parents, Joachim et Anne, Yoakim et Hannah, des Juifs pratiquants, avec l’aide de quelques prêtres du Temple de Jérusalem, l’ont fiancée à un charpentier de Judée, Joseph. Le contrat a été signé lors des dernières fêtes de Rosh Hachana.

Et, un jour, soudain, au lendemain de Pourim, tout bascule dans la vie de la jeune fille. C’est la Visitation. Un bruit furtif comme un battement d’aile et l’archange Gabriel est là, devant elle et lui annonce qu’elle va porter un fils qui s’appellera Yéshoua, en d’autres termes, Jésus. 

Marie est désormais enceinte. Comment va-t-elle l’annoncer à Joseph et à ses parents. Surtout que bientôt ses formes vont s’arrondir ! Son fiancé va-t-il accepter cette situation ou l’accuser de trahison ? « Mais il est fort, mon Joseph, et il a l’âme bien trempée, il pourra le supporter. Et puis, c’est un bon Juif, l’annonce d’un nouvel enfant lui est forcément une joie et un cadeau de Dieu ».

Quant à Joachim et Anne : « Oh ! Mes parents m’en voudront sûrement sur l’instant. Eux aussi penseront à une faute. Mais, en même temps, je sais qu’ils vont se réjouir comme jamais. J’ai presque peur de causer une joie trop forte à mon vieux père ».

Le temps passe et le bébé ne va pas tarder à se manifester. « Enceinte de bientôt dix semaines, ça y est : j’ose y croire ». Dans les rues, de Jérusalem où la famille se rend pour Chavouot, des enfants courent et piaillent. « Je me reconnais dans ces enfants, j’en fus et j’imagine le mien dans trois-quatre ans, jouant avec eux. Cela me gonfle de bonheur ».

Tout au long des sa grossesse, Marie se pose des questions sur l’avenir de son fils : « Ton inscription dans le peuple juif m’importe, ô mon fils à venir, mon bel à-venir, nonobstant les misères qu’on encourt et les humiliations de Rome ». Et, quand elle rend visite à sa cousine Élisabeth et à son époux, Zacharie, elle est accueillie par ces paroles : « Salut à toi, Marie, pleine de grâces, le fruit de tes entrailles est béni… »

Élisabeth, elle-même enceinte donnera le jour à un petit Jean, cousin de Jésus.

Quand sa grossesse sera par trop apparente, Marie commencera à ne plus sortir de chez elle pour éviter la médisance et les cancans.

Alors que la Galilée est en émoi et que des échauffourées se multiplient entre Juifs et Romains, le père de Marie meurt. Il ne connaîtra pas le petit Jésus. Joseph, lui, est peu souvent à la maison car il a beaucoup de travail : « Joseph doit partir assembler l’armature de la charpente d’une future grande synagogue près de Jéricho, la plus ancienne de toutes les villes du pays de Canaan, sur les rives du Jourdain ».

Tandis que les escarmouches font rage entre Juifs et Romain, la naissance du fils de Marie se rapproche et la maman est inquiète. Dans quel monde va-t-il voir le jour ? « Lutter pour vaincre les menaces de soumission aux Romains, de domination par la force de tout ce à quoi je crois, mon peuple, ma race, ma foi, la Loi ».
D’autant plus que les choses se compliquent car Joseph a dit non à Rome, refusant un contrat juteux de fabrication de croix de supplice. Désormais, c’est le boycott et toutes les portes se ferment à l’énoncé du nom du charpentier frondeur de Nazareth. C’est le temps de l’exil et la petite famille en compagnie de leur ânesse, Nâ, ne trouve pas mieux qu’une grotte pour se réfugier.

24 décembre. Il est né le divin enfant. « La matrone a indiqué à Éliezer le nom et l’adresse d’un mohel de toute confiance ». «  Il y avait un monde fou autour de toi pour ta brit-mila ».

Puis c’est le rite de la présentation du nouveau-né au Temple de Jérusalem .avant la fuite en Égypte car le méchant roi Hérode a décidé de faire tuer tous les premiers-nés mâles de l’année.

« Et soudain, pense Marie, je me suis dit cette phrase étonnante : cet enfant est trop grand pour moi ».

Si l’on en croit les évangiles de Marc et Matthieu, Marie aura six enfants après Jésus, dont deux filles.

Une très belle histoire juive. À lire absolument.

Sophie Chauveau, qui a bien étudié le sujet, nous rappelle que la mère de Marie, Anne, n’a pas eu besoin de son époux, Joachim, pour engendrer sa fille qui, elle aussi est née d’une « immaculée conception ». Autre précision de taille, Jésus serait né six ans avant l’ère moderne, six ans avant lui-même

 

Jean-Pierre Allali

(*) Éditions Télémaque. Novembre 2019. 302 pages. 16,90 €.

(1) Salomon Malka. Jésus rendu aux siens. Enquête en Israël sur une énigme de vingt siècles. Éditions Albin Michel, 1999.

 
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