Raja Chebbi si vous aviez à vous définir vous diriez quoi ?
Je suis une femme tunisienne, qui assume contre vents et marées sa nature, sa nationalité et sa pensée.
« Chebbi » un nom de famille qui sonne la poésie, la « tunisianité »
celle de Aboul Kacem Echebbi. Est-ce un parent ?
Oui, j’appartiens à la grande famille CHEBBI, cette parenté a sûrement joué dans mes penchants littéraires, mais j’atteste que mon chemin de poète et d’écrivain a été tracé par mon père depuis ma prime enfance. Mes dons linguistiques et mon caractère solitaire ont fait le reste.
Un talent confirmé pour la lecture, la poésie dans trois langues et aussi en dialecte. Comment se fait-il que vous ayez eu une tout autre carrière à savoir “l’académie policière »?
Je n’ai pas été prédestinée à une carrière au Ministère de l’Intérieur, mais j’ai passé un concours, j’ai réussi, j’ai travaillé avec conscience et intégrité, j’ai cueilli les fruits de mon labeur. Je ne trouve pas que le domaine de la poésie soit contradictoire avec ma carrière, le patriotisme caractérise à la fois le poète et le soldat.
Vous paraissez aimer la vie et la terre… Vous avez même fait des
études en ce sens ?
Effectivement, j’ai étudié les sciences de la vie et de la terre à Montpellier en France, j’adore tout dans ce domaine, on devient conscient de ce qui nous entoure, on comprend mieux et on aime davantage cette terre qui nous porte et tous les êtres vivants qui s’y trouvent avec nous.
Vous êtes également diplômée en nutrition et vous avez été recrutée par le Ministère de l’Intérieur ?
C’est en tant que diététicienne que j’ai été recrutée au ministère de l’intérieur, puis je me suis engagé dans le corps actif en étant polyvalente. Je me souviens avoir eu le premier classement notamment dans le maniement des armes et du tir.
La poésie qui est en vous a fait rejaillir la sincérité, l’honnêteté d’une femme incorruptible. Cela vous valut le poste responsable de l’Audit dans un hôpital lié au Ministère de l’Intérieur. A un certain moment, vous avez relevé des anomalies, même des fraudes et vous les avez signalées. On vous en a voulu pour ça et au lieu de vous gratifier, on a cherché à vous écarter de votre noble fonction.
Tout à fait, c’était avant la révolution. Paradoxalement, la personne responsable de cette injustice occupe encore le même poste et continue à faire ses lois. J’ai été menacée de destitution, j’ai été persécutée ouvertement, mais je n’ai jamais courbé l’échine.
Vous avez si bien formé plusieurs jeunes au Ministère de l’Intérieur qu’ils vous ont dépassés de grade. Une blessure ? Une douleur ? Une frustration ?
Ce n’étaient pas mes élèves, mais des collègues très jeunes et nouveaux au travail. Ils ne m’ont pas dépassé en grade car je suis la plus haute gradée mais la moins « titrée ». C’est-à-dire qu’ils jouissent rapidement d’un titre ou d’une fonction, sans mérite. A titre d’exemple : chef de service, par le directeur pour bons et loyaux « services » au moment où j’ai été ignorée et marginalisée, à cause de mon intégrité. J’ai toujours gardé malgré tout ma dignité, jamais négociable.
Vous avez ressenti que votre talent dérangeait au sein de l’administration du Ministère de l’Intérieur et que les femmes n’étaient pas très désirables dans les hauts postes que vous aviez mérités. Par contre vous étiez très désirable autrement en ayant subi des harcèlements sexuels… Mais vous vous êtes battue…
Il ne faudrait jamais généraliser car j’ai connu et il y en a beaucoup, des responsables incorruptibles et honnêtes au ministère de l’intérieur et ailleurs, mais j’ai eu la malchance d’en connaître de très mauvais. Mon dernier directeur général en est un exemple on ne peut plus flagrant. J’ai subi et je continue à subir les affres de sa jalousie, de son antiféminisme et de son incompétence. Il est fréquent de subir des harcèlements sexuels, nous nous sommes jamais à l’abri de ce fléau dévastateur. Je ne veux pas parler de ma propre expérience. J’ai tenu tête mais j’ai payé le prix fort. Sans regrets.
Votre mal être et votre douleur à un certain moment de votre vie vous a transformé plus que jamais en poétesse.
J’ai toujours été poétesse, depuis ma prime enfance, mais ce sont mes maux qui jaillissent de mes mots, et en vérité c’est ma thérapie. Mes vers ont toujours été mon remède contre la médiocrité de la vie et des autres, quoique pas toujours efficaces, il y a des moments où il faut exciser le mal à sa racine, ne pas se contenter des paroles. Je l’ai appris à mes dépens.
Un futur projet ?
Un roman en lecture chez Sud Edition. Il s’intitule « La Tunisie est libre, moi non plus ». Il parait que ça plait beaucoup. J’envisage la publication très prochainement.
Aujourd’hui vous êtes la première femme Général en Tunisie après un dur combat pour vos droits. Qu’avez-vous à dire en poésie à tous ceux qui vous ont fait du mal ?
« Libérez la terre et les cieux
De vos personnages impurs
Et le monde ira bien mieux
Nous on est là, et on assure ! »
Entretien conduit par Nadia Ayadi