Tunisie : les fake news ne font pas ramadan

Tunisie : les fake news ne font pas ramadan

CHRONIQUE. Des réseaux sociaux aux rédactions, les rumeurs se propagent avec d'autant plus de vitesse que la défiance à l'égard de la parole officielle augmente.

Par notre correspondant à Tunis, Benoît Delmas - Le Point

Devenu la première source d'informations en Tunisie, Facebook est souvent le lieu d'où partent beaucoup de rumeurs.

Dans le Larousse, à la lettre R comme « rumeur », on lit : « Nouvelle, bruit qui se répand dans le public, dont l'origine est inconnue ou incertaine et la véracité douteuse. » Appliqué à la Tunisie, on peut dire que, en une semaine, l'actualité a connu plusieurs épisodes salés, dignes d'un mauvais feuilleton, genre télévisuel très prisé pendant la période ramadanesque. Inventaire.

Western salafiste à Radès
Ça commence comme un cauchemar, ça continue comme une bérézina de la réalité pour devenir un sujet de une. Dans la banlieue de Tunis, à Radès, ville connue pour son port qui truste 80 % des importations et des exportations du pays, un café de non-jeûneurs aurait été attaqué par « des centaines de salafistes armés de sabres ». Bigre. L'information prend ses racines sur Facebook, le média numéro un du pays. Elle est illico reprise par quelques sites web, sans vérification. Déborde sur les radios. Quelques dépêches d'agence partent à l'international. Le ministère de l'Intérieur publie alors une rafale de démentis, expliquant qu'il s'agit d'un acte de délinquance lié au trafic de drogues. Malgré les dénégations officielles, les propos off de sécuritaires du gouvernorat de Ben Arous (auquel est rattachée la ville), la rumeur peine à s'éteindre. L'affaire s'achève en une du quotidien La Presse de Tunisie sous le titre « L'expérience démocratique sous la pression de la rumeur ». « À l'épreuve » serait encore plus pertinent. Malgré les faits, malgré le poids de la parole du ministère de l'Intérieur, l'étiquette « vu sur Facebook » a primé chez un certain nombre. Donnant naissance à une seconde fausse information selon laquelle le ministère de l'Intérieur aurait fait pression sur les témoins. Un casse-tête tunisien.

Une députée accusée d'avoir bu de l'alcool dans sa voiture
Autre terrain, plus propice aux règlements de comptes via des pages financées : la politique. La rumeur suit le même sentier : Facebook, sites web ayant pignon sur rue, démentis de l'intéressée, en vain. Cette élue aurait été arrêtée dans sa voiture, en compagnie d'un ami, consommant de l'alcool. Son immunité parlementaire lui aurait permis d'échapper à la justice en cette période de ramadan (la consommation et la vente d'alcools sont interdites dans les lieux publics). La parlementaire proteste, promet les tribunaux à ceux qui ont relayé la malveillance. Peine perdue.

La nouvelle intervient une semaine après un incident survenu en Égypte. L'un des poids lourds du parti Nidaa Tounes, le député et patron du bloc parlementaire Sofiane Toubel, a été filmé dans un cabaret en train de jeter des billets de banque. Un sport que pratiquent avec assiduité les visiteurs des pays du Golfe. En plein Ramadan, la brève vidéo fait scandale, ce qui était son objectif premier. L'homme expliquera que ce n'était pas son argent qu'il dispersait, mais celui du propriétaire des lieux. Une page digne d'un roman de Naguib Mahfouz, pourfendeur amusé des Tartuffe de toutes obédiences. À quelques mois des législatives et de la présidentielle, les campagnes de diffamation orchestrées sur Facebook pointent leur nez. Et elles vont prendre de l'ampleur, tous les partis politiques en conviennent.

Des rabbins israéliens à Djerba
Dernière séquence de cette semaine prodigue en fake news : des rabbins israéliens (donc munis d'un passeport israélien) seraient à Djerba pour l'emblématique pèlerinage de la Ghriba. René Trabelsi, le ministre du Tourisme, Juif tunisien, dément. La fausse information a plusieurs objectifs : poursuivre la campagne contre le ministre sur le thème il est un « sioniste » déguisé ; suggérer que le gouvernement de Youssef Chahed est complaisant avec Israël – ce qui, pour un dirigeant arabe, relève de la trahison ; insinuer que, sous le couvert du pèlerinage, Israël envoie des espions sur le territoire tunisien. Dans le contexte d'espionnite aigu, la harissa peut vite monter au nez des complotistes.

Une défiance envers la parole officielle
Tout cela pourrait relever du venin qui s'épanouit dans l'anonymat bienveillant que procurent les réseaux sociaux. C'est une véritable menace qui pèse sur les prochains scrutins. « Ça va être sale », nous confiait l'un des dirigeants politiques du pays. La lutte pour le pouvoir, le garder, le prendre, se jouera autant chez Zuckerberg que sur les médias. Et ceux-ci, agissant dans une obscurité capitalistique que déplore le président du Syndicat des journalistes tunisiens, trient les fake news selon qu'elles plaisent ou non à leur choix politique. Ce qui s'est déroulé aux États-Unis, en Europe, n'épargne pas le Maghreb. La jeune démocratie tunisienne, actuellement dans une profonde période de doute, risque d'être plus vulnérable que les vieilles démocraties occidentales. Les pages sponsorisées, les comptes créés pour diffamer, risquent de faire des ravages. Les incidents cités ont une durée de vie limitée : une semaine, pas plus. Additionnés, ils délimitent un paysage infesté par la rumeur. L'État, à travers ses représentants nationaux, locaux, administratifs, peine à imposer une image de vérité, sinon de réalité. Un inquiétant fossé qui pourrait fausser toutes réalités.

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